Metellus Bekens est né en 1976 à Jacmel. C'est est une petite ville aux allures coloniales, capitale de la Province du sud-est de la République d'Haïti. Nichée au bord d'une mer aux eaux transparentes, la petite ville cache mal la misère qui sévit alentour dans la campagne. C'est là que Bekens grandit. Son père, invalide - il a été blessé lors des événements tragiques de 1991- fait vivre avec difficulté la famille nombreuse. Cependant, Metellus fréquente l'école primaire, puis secondaire, jusqu'en première. Jacmel est la ville des peintres. Là ont vécu les nombreux artistes Haïtiens qui exposent aujourd'hui à travers le monde. Metellus, enfant, a déjà du talent . Il fréquente l'Ecole de peinture de Jacmel. Mais les difficultés économiques qui touchent cruellement le peuple haïtien vont l'amener à s'exiler.
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Nous sommes à l'époque - en 1996- où l'exil emporte les Haïtiens vers les champs de canne à sucre de Saint Domingue. C'est une vieille tradition : Duvalier, le dictateur de sinistre mémoire, vendait des ouvriers à la république de Saint Domingue et touchait un pourcentage sur chaque vente ! Le jeune Metellus arrive à Cayacotra, il sera ouvrier coupeur de canne comme l'ont été ses ancêtres. Le travail est pénible, très mal rémunéré, dangereux. Le rêve s'éloigne. Les fièvres sont fréquentes. Il en gardera des séquelles. Bekens comprend vite que là n'est pas son destin. Que faire ? |
C'est le mauvais sort qui va se charger de son destin. Quelques semaines après son arrivée, Metellus, plus adroit à tenir un pinceau qu'une machette s'entaille profondément la jambe. Après plusieurs semaines d'hôpital, le 13 février, il se retrouve à Boca Chica, sans ressources, sans avenir. La chance va croiser son destin : un peintre qu'il rencontre et à qui il dévoile sa passion, lui offre une toile, un peu de couleur et deux pinceaux. Metellus ne se séparera plus de ses pinceaux. Petit à petit, son talent s'affirme : surtout dans l'art naïf propre à Haïti qui fait fleurir les couleurs les plus vives, il sait rendre avec ses pinceaux l'âme sauvage de son île, il sait transfigurer sur la toile la couleur et le mouvement , le rêve d'une île perdue. | ![]() |
Les touristes aiment s'arrêter devant le vieux chevalet de Metellus, installé sous son banian, dans la rue de la plage de Boca Chica. Petit à petit, Metellus évolue dans son art. Il a déjà exporté en Angleterre, et, plus régulièrement en France, en Italie. Il est devenu le chouchou de notre Association " Enfants-Soleil ", qui expose en France des tableaux de peintres haïtiens , au profit des enfants défavorisés des bidonvilles d'Haïti. Ainsi verrez-vous des oeuvres de Bekens dans diverses expositions dans toute la France. (Boutique : http://www.bsv.fr/enfantssoleil.) Espérons que Metellus trouvera bientôt son style propre et -qui sait- qu'il deviendra un jour célèbre.
G. Renard
Ce tableau de Metellus Bekens , jeune peintre haïtien, représente une cérémonie vaudou à la campagne, en plein air et en plein jour.
Analyse du tableau.
L'espace réservé au cérémonial est circulaire, contrairement à l'espace fermé qu'est d'ordinaire le temple ou Oufo. Deux des quatre points cardinaux sont suggérés par des chemins au second plan et des collines. La cérémonie aura lieu à la croisée des chemins.
Au centre de l'espace sacré ainsi délimité
se trouve le poteau mitan ou axe du monde qui relie, comme dans la mythologie
chrétienne le monde terrestre et le monde d'en haut.
Dans la liturgie vaudou, la verticale représente l'esprit, l'horizontale
représente la matière. Le poteau mitan ou la croix sont la rencontre
de l'esprit et de la matière. L'espace sacré est tendu vers
cette union. ( La croix du christ n'est-elle pas celle du dieu fait homme
?) Mais la croix n'est pas présente dans ce tableau.
L'autre monde, le monde lointain, accessible grâce à la médiation
des esprits ou Lwa, est suggéré par le bleu de l'horizon et
du ciel. On retrouve la même circularité dans les représentation,
au Moyen Age du paradis terrestre, lieu et moment de communication entre le
divin et l'humain. Le cercle est la figure parfaite. Le bleu, ou l'eau, étaient
le symbole du voyage. Mais il ne s'agit que d'une réminiscence, le
vaudou ayant intégré, digéré, transformé
métamorphosé certains aspects des représentations chrétiennes.
Une représentation hors du temps et de l'histoire
Les esprits arriveront, au terme d'un voyage, auprès
des hommes par ce mât central symbolique auquel sont accrochés
une bouteille et un wanga, paquet magique.. Le grand maître règne
(dieu, providence, destin) dans cet autre monde, il ne serait pas accessible
sans la médiation des esprits. Mais les esprits n'arriveront pas lors
de cette cérémonie : le tableau a seulement pour but de les
nommer et d'en faire une uvre : le fait que cette cérémonie
ait lieu en plein jour vient confirmer l'idée que Metellus Bekens n'a
nullement l'intention d'une peinture réaliste ou documentaire. Les
trois tambours usuels sont d'ailleurs représentés en un seul
tambour.
Au pied du poteau mitan, sur un socle, sont déposés les objets
symboliques offerts aux esprits. Une tête de mort, ( souvent des crânes
dans la réalité ) une bouteille. Ce sont les attributs de baron
Samdi, confirmé par la couleur violette des habits de quelques initiés,
le chef des Gédés qui sont les esprits de la mort. sa présence
est signifiée (tête de mort noire) par le maillot d'un des initiés
à droite. Il boit du rhum, joue du tambour, porte un maillot bleu et
un pantalon rouge : ce sont les couleurs (bleu rouge vert) de Cousine Azaka,
Lwa de la campagne, protectrice des cultures. Le personnage sollicite donc
en même temps deux Lwa.
Mais le premier Lwa sollicité dans chaque cérémonie est
Papa Legba. Il est lié à la nature, comme Azaka, il vit à
la croisée des chemins : nous sommes donc sur leur domaine. Il ouvre
le chemin vers les autres Lwa. La couleur orange est la sienne : elle est
rappelée par les pantalons ou chemises de certains participants.
Le peintre a représenté en même temps les attributs de
plusieurs esprits. ( Ils sont parfois sollicités au cours d'une même
cérémonie.) mais ces présences sont seulement suggérées.
L'aspect rassembleur du vaudou est évoqué par l'arrivée
joyeuse des campagnards.
Les personnages dansent , et certains entrent en transe au son des tambours,
éléments essentiels des cérémonies, et des vaccines,
qui sont des trompettes de bambous. Ils portent les attributs de plusieurs
esprits, parfois rivaux, mais qui sont ici tous présents. Ce n'est
donc pas une cérémonie au sens réaliste, mais le tableau
suggère le culte vaudou en général.
Les foulards rouges sont les attributs des prêtres et des initiés,
acteurs de la cérémonie.
Les serpents, sur les habits des participants sont les symboles de Dambala,
le Lwa rival de Baron samdi. Il est un esprit plutôt bénéfique
et doux. Il habite dans les sources et les rivières (les Lwa sont terrestres
mais assurent la communication avec le monde des esprits).
Le personnage au centre, qui arbore le serpent sur son maillot, imite dans
sa danse les mouvements de la couleuvre. Il est représenté plus
grand, car il est ici plus important. Nous sommes à la campagne et
la cérémonie se déroule plutôt dans la bonne humeur
dans une atmosphère festive. Dambala, dont il est le symbole, est un
esprit doux.
Le feu, à gauche du tableau, dont les bûches sont en forme de
V sont le signe de la présence d' Ogou Feray : Lwa vaillant et courageux,
il a entre autres comme attribution la lutte contre la misère. Le feu
est son attribut. Sa présence est souhaitée : la campagne est
misérable dans la réalité. Pas dans le tableau qui représente
un instant de fête.
Le femme debout près du poteau mitan a sur sa robe un vèvè
(dessin magique). C'est un vèvè unique : celui d'Ayizan : Lwa
de l'initiation. Il est constitué de deux V entrecroisés, symboles
de l'androgynité originelle . Ayizan donne aux initiés la connaissance
des herbes et des plantes. Epouse de Legba, le chef de tous le Lwa, elle est
le symbole de l'autorité et de la puissance. Sa taille montre son importance
dans la représentation. Metellus emprunte un système de représentation
lointain qui faisait fi de la perspective.
De chaque côté du poteau mitan, deux palmiers donnent l'impression
d'être tout près, presque accrochés au mât. Lors
des cérémonies d'initiation, des feuilles de palmier royal sont
accrochées au mât. Pour protéger et chasser les mauvais
esprits. Le palmier représente la sérénité, la
paix. Cette cérémonie reprend les rites du vaudou, tout en mettant
en garde contre les déviances : la sorcellerie est toujours un danger
de déviance du vaudou originel. Ce tableau contient aussi ce message
de Metellus.
Il y a donc l'idée que cette cérémonie est celle de l'initiation
d'une prêtresse. Le petit personnage au premier plan, à moitié
masqué, qui a un foulard rouge noué au poignet est le seul a
tenir les attribut des oungans ( prêtres) ou des manbos (prêtresses)
: une calebasse remplie de vertèbres de serpent qu'elle agite pour
donner le rythme des danses de la cérémonie. Sa taille, comme
le fait qu'elle soit à la marge du tableau et à demi cachée,
signifie sans doute qu'elle n'est pas encore intronisée. Mais aussi
que l'aspect liturgique n'est pas l'essentiel du tableau.
Plusieurs moments sont donc représentés sur le même tableau.
La cérémonie en est à son début, puisque des participants
arrivent seulement, mais elle n'est plus à son début à
cause de la présence des Lwa. Mais ces Lwa sont tous présents
en même temps. Ceci confirme l'aspect non réaliste de la scène
représentée.
Le tableau à travers le prétexte d'une cérémonie
Vaudou, est un jeu sur les mouvements et les couleurs. La violence en est
exclue. Nulle allusion aux sacrifices, ni au sang.
Les premiers et les plus grands peintres haïtiens furent des peintres
du Vaudou. Ils décoraient les temples et les tombes. ( Saint Soleil
et sa peinture spontanée en est le premier exemple connu, porté
à la connaissance du public par quelques artistes occidentaux et par
André Malraux.) En dehors d'elle : point d'histoire, une simple naissance,
car, comme pour l'Art africain, l'artiste ne voit pas, dans les formes de
son art, des figures inventées, mais découvertes. Ce tableau
est en opposition complète avec celui des esclaves dans la mine. Il
est l'autre aspect d'un même discours vers la liberté et la paix.
Vaudou et représentation picturale.
La peinture haïtienne n'a aucune correspondance en Afrique.
sauf, peut-être, byzantine, dans la lointaine et maigre Ethiopie. (Saincilus
Ismaël a dû, quelque part, s'en souvenir) Elle est unique au monde.
Elle puise sa force dans son adéquation avec la réalité
haïtienne, qui , elle-même ne se comprend qu'à partir du
vaudou. Mais elle transcende l'une et l'autre en un jeu sur les mouvements
et les couleurs, offrant au spectateur une scène d'apparence naïve
et débonnaire, dans un coin de campagne. Mais cette peinture nous dit
que les choses ne sont pas comme on croit, et leur qualité esthétique
ne les représente pas tout entières.
L'irrationnel qui émerge à travers les allusions au Vaudou,
n'est pas, lui, individuel. Il suscite des formes et des questions primordiales
qui sont de l'ordre du destin des hommes. Il participe en cela du grand dialogue
intemporel de la création artistique. " L'être humain porte
en lui des langages et des formes transcendent les civilisations " dit
Malraux. (La métamorphose des Dieux)