L’Art et le Sacré.

Dans son livre « Dons de Mémoire de l’Afrique à la Caraïbe. » aux Editions L’Harmatthan, Lucie Pradel souligne les « filiations et concordances entre entités et croyances africaines et figures et traditions caribéennes, et l’absence de limite entre l’art, le social et le sacré dans la tradition africaine.
« La place centrale accordée à la religion ( en Afrique) met en relief une caractéristique essentielle de la vie Africaine. La religion traditionnelle , comme le commente le théologien John Mbiti, domine tous les aspects de la vie de l’individu et exerce la plus forte influence sur son être. De la naissance à la mort, la vie s’articule autour du religieux. Celui-ci investit tous les domaines, est inscrit dans toutes les expériences. En participant aux rituels, aux cérémonies, aux festivals, l’individu témoigne son double attachement à son groupe et à Dieu., car la constitution sociale est intrinsèquement religieuse.
Les caractéristiques des religions peuvent se résumer ainsi :
- Croyance en un être suprême créateur éloigné des affaires terrestres et suppléé par des intermédiaires divins
- Recherche d’harmonie et d’équilibre sur terre grâce à la médiation des divinités, des ancêtres et des spécialistes du sacré
- Absence de dichotomie entre l’art et le sacré, le social et le sacré, le profane et le sacré, le naturel et le surnaturel, le monde visible et invisible
- Interpénétration de la magie et de la religion […] » ( Pages 17-18 )

L’importance de la religion traditionnelle en Afrique se retrouve, transformée, masquée parfois, et souvent réinventée, dans la religion populaire Vaudou des Caraïbes et en particulier à Haïti., ou elle fut, dès l’arrivée des premiers esclaves jusqu’à aujourd’hui, contrainte au silence et à la clandestinité.
D’autres filiations profondes peuvent se reconnaître dans les personnages et les lieux sacrés.

« Personnages et lieux sacrés . » Pages 18/19 Dons de Mémoire…Lucie Pradel.
Tous les peuples africains reconnaissent l’existence d’un être suprême théoriquement transcendant, mais en réalité immanent, à la fois omniprésent et omniscient, cet Ëtre est source et principe de vie. Sa dénomination varie selon les ethnies et plus d’un millier de mots foisonnent d’un bout à l’autre du continent pour suggérer la richesse de ses attributs. Son acte de création s’étend à l’univers : monde visible et invisible, terre et ciel que certains peuples décomposent en zones terrestres , céleste et souterraine. Cet ensemble est parcouru de forces émises et maîtrisées par lui.
Captées par les intercesseurs (divinités secondaires, ancêtres spécialistes du sacré), ces forces produisent sur terre l’équilibre indispensable au maintien de l’harmonie et du bien-être de l’humanité. Du fait d’une relation anthropocentrique, l’individu se situe au centre de cet univers. Par devoir il se soumet aux lois universelles : lois de la nature, lois morales et mystiques. Au sein de sa collectivité, l’ordre moral régit les institutions, les coutumes, concourt à la préservation de la vie.
Les lois de la nature dictent son attachement à son environnement physique. Grâce à l’ordre mystique, il bénéficie du pouvoir manipulé pas les esprits et les spécialistes du sacré.
Dans un même ensemble figurent donc les mondes visible et invisible. Analogie et distinctions forment leurs caractéristiques. Au terme d’une vie terrestre, à la fin de la dernière étape biologique, les défunts prolongent dans le monde invisible une existence pérenne et spirituelle. Ancêtres, souverains, héros fondateurs ou culturels divinisés constituent dans l’au-delà un groupe d’intercesseurs veillant à la bonne marche de leur communauté d’origine.
Du monde invisible sont issues les divinités secondaires. Entités privilégiées, elles sont en relation directe avec l’être suprême. D’apparence humaine, elles le « personnifient » dans ses activités, ses manifestations. Capables d’épouser des formes variées, ces esprits investissent la nature, les phénomènes météorologiques, , les espèces végétales et animales. Parmi leurs lieux d’accueil, on dénombre les collines, les montagnes, les pierres, les arbres et les forêts. Sous toutes ses formes, l’eau atteste leur présence, qu’elle soit lac, fleuve, rivière, cascade ou lagon. Chaque divinité apporte une réponse mystique, symbolique aux problèmes posés par la nature. De ce fait, les cultes des dieux de la nature sont pléthoriques […]
Les divinités occupent une place prépondérante et sans commune mesure avec leur position hiérarchique. Déléguées aux affaires terrestres, elles suppléent l’Ëtre suprême trop éloigné des préoccupations des humains pour agir efficacement. Ces intercesseurs reçoivent prières et offrandes, en échange de leur médiation auprès de Dieu. De façon pragmatique, ils partagent sa puissance. Intermédiaires incontournables, ils maîtrisent le double langage de la communication humaine et divine. »
Si certaines œuvres d’art haïtiennes rappellent à l’évidence les pratiques cultuelles du vaudou,
( comme les œuvres de grands maîtres anciens ou contemporains, comme Tiga, André Pierre ou Richard Antilhomme, Seymour Etienne Bottex, Georges Valris, Lafortune Felix, Louisiane Saint Fleurant, Prospère Pierre Louis, Levoy Exil, Gabriel Bien Aimé, Serge Jolimeau et bien d’autres pour la peinture, pour la sculpture, d’autres, subissent ou intègrent, aujourd’hui, consciemment ou non, parfois avec humour, des éléments où l’art semble procéder quelque part du religieux. Les paradis terrestres, si lumineux de couleur et de fraicheur, font part du désir de l’artiste, et à travers lui des humains, de retrouver la condition originelle des mythes fondateurs. « Les mythes, écrit Lucie Pradel,( page 26) évoquent une époque paradisiaque durant laquelle Dieu vécut parmi les hommes. Entre eux régnait la paix et l’harmonie. Cette relation privilégiée garantissait l’abondance sur terre, la prospérité, l’immortalité. ».
Art et vaudou ( Pages 220/221)
« La capacité des traditions Vaudou à transfigurer l’Art, s ‘étend non seulement à la littérature mais à divers domaines artistiques. Essence des arts haïtiens , le vaudou constitue le socle fertile sur lequel s’épanouirent aussi bien la peinture, la musique la danse, le cinéma ou les traditions carnavalesques. »
Pour Jean Metellus ( Haïti, une nation pathétique. Denoël Paris 1987) « la peinture haïtienne essaie de restaurer la trame brouillée de la naissance, de l’histoire du peuple haïtien ; elle redessine sur la nappe déchiquetée des habitudes les ressources originelles, l’ouverture et les possibilités d’accès au monde ; c’est l’irruption de l’essentiel, de la végétation, de la grâce, dans l’expression du monde . C’est la capacité de richesse des hommes qui est saisie ».

Histoire d'Haïti
Le Vaudou