Mai 2004.

 La situation des enfants à Haïti . L’impact de la crise politique.

« Sous l’initiative de l’UNICEF, convaincu de la nécessité d’une évaluation rapide de l’impact de la crise politique sur la situation des enfants en Haïti, plusieurs institutions travaillant dans le domaine de l’enfance, notamment Save the Children-Canada, World Vision, Plan International et Save the Children USA ont rapidement rejoint cette idée et sont convenus de l’importance d’une telle action qui vise à rassembler les informations importantes capables de guider leurs stratégies et interventions avec et pour les enfants, dans le contexte et l’urgence actuelle. Cette démarche revêt une importance particulière lorsqu’on considère que les enfants ont non seulement un besoin spécial de protection, mais qu’ils sont aussi les détenteurs et acteurs de défense de leurs droits, qui sont indivisibles et universels. »

[Dernière catastrophe...

Au moment où est rédigé ce rapport, (Fin mai 2004) la nouvelle d’une catastrophe écologique vient s’ajouter aux problèmes évoqués ci dessus. Des pluies d’une rare intensité, de nature cyclonique, ont fait pour le moment plusieurs centaines de morts dans les régions du Nord-Est et du centre. Rivières débordant, glissements de terrains dans les zones à risque envahies au flanc des montagnes par les bidonvilles où se réfugient les plus pauvres, destruction des récoltes. Nous risquons d’avoir à déplorer, suite à cette nouvelle catastrophe, des conséquences humaines au delà de tout ce qui peut être imaginé. La ville de Fonds Verrette ( 45000 habitant) st d’Haïti frontière de Saint Domingue, a paraît-il été en partie détruite par l’invasion des eaux et des coulées de boue et des centaines de personnes sont portées disparues.]

En effet, les quatre principes directeurs de la convention relative aux droits de l’enfant : non discrimination, survie et développement, intérêt supérieur de l’enfant et participation ont deux implications majeures pour la protection des enfants. La première est qu’ils font de ceux-ci de véritables détenteurs actifs et légitimes de droits, habilités à en exiger le respect. La seconde consiste en la détermination d’un ensemble de structures, groupes, acteurs, reconnus comme des débiteurs de ces droits et responsables de leur garantie.

Les états ou organes gouvernementaux sont les premiers débiteurs de ces droits. Mais il incombe également à d’autres groupes, institutions et structures de la société, y compris les enfants eux-mêmes et leur famille de jouer un rôle actif dans réalisation des droits garantis par ladite convention. Familles, communautés, Institutions partenaires, politiques, programmes nationaux, environnement de la politique macro-économique.

Contexte.

Haïti a été spécialement marquée, depuis les 20 dernières années, par une détérioration progressive des conditions socio-économiques sur fond de crise politique. Pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, il est classé au 150ième rang mondial sur 173 pays, selon le rapport de l’ONU sur le développement humain – en 2003. Cette situation, combinée aux faiblesses structurelles et institutionnelles, a eu un impact à long terme sur plusieurs secteurs de développement, dont la sécurité alimentaire, l’eau et l’état sanitaire de la population, la santé et la nutrition. Haïti est vouée à une détérioration rapide des indicateurs dans le cadre d’une urgence complexe. Avec une population estimé à plus de 8 millions d’habitants, constituée de plus de 48% d’enfants, vivant dans un contexte caractérisé par une densité de population de 290 habitants au Km², et qui peut atteindre 1480 au Km² en zone urbaine, on peut facilement deviner ce que signifie l’impact sur les enfants des conflits armés qui entraînent une atmosphère de peur sur fond de misère et de marasme économique.

Près de 52% des enfants proviennent de milieux pauvres ou très pauvres. Trois millions de filles et de garçons survivent dans des conditions terribles. Une grande majorité des enfants du pays est en danger, autant en milieu rural qu’en milieu urbain. Une étude sur le VIH Sida indiquait en 2000 que sur la base des indicateurs de santé, d’éducation et de revenus, 25% des enfants d’Haïti étaient en situation de vulnérabilité avant les événements.

La crise de ces derniers mois a entraîné une situation de malnutrition chronique et une situation alarmante de santé des enfants (25%), pas d’accès aux médicaments, et aux services sociaux de base. L’intensification de la crise s’accompagne de violence, (aussi bien entre les divers acteurs politiques que pour ce qui est des affrontements entre les gangs armés). Tous les départements du pays sont affectés par l’insécurité et beaucoup d’entre eux ont été isolés des structures de distribution de produits de première nécessité. L’exode de nombreuses familles vers d’autres régions jugées plus sûres, souvent vers l’extérieur (Jamaïque, Cuba, République Dominicaine, Canada, USA…) a des conséquences considérables sur les enfants. Beaucoup d’organisations de soutien aux enfants ont dû interrompre leurs activités sur le terrain. Toutes les agglomérations ont été touchées par la violence armée. (Cap Haïtien, Port-de-Paix, Fort-Liberté, Hinche, Gonaïve, Port au Prince, Cayes, Jérémie, Jacmel…) Les secteurs de la santé, de l’éducation, du transport, de la communication de la sécurité alimentaire sont profondément affectés. L’administration publique a cessé ses activité dans le pays pour au moins trois mois.

Dans diverses régions, des enfants sont impliqués dans les conflits et sont confrontés à un environnement très hostile, ils sont isolés de tous les services de base.( Santé, nutrition, logement, éducation, récréation…) Ceux qui survivent dans les conditions les plus difficiles en sont les premières victimes : enfants des rues et enfants en domesticité. Les premiers parce qu’ils vivent directement dans les rues où ont lieu les violences, les seconds parce qu’ils sont les premiers à être utilisés par les familles pour les services, ce qui les expose souvent aux situation d’insécurité.

Le travail d’évaluation se focalise principalement sur le besoin de prise de décision, en particulier évaluation des besoins humanitaires des enfants.

Enfants des rues.

Une définition qui explique pourquoi certains enfants qui ne correspondent pas à tous ces critères ne sont pas codifiés comme enfants des rues. (Enfants = moins de 18 ans)

1 ) Il vit en groupe. Bien que constituant son pôle de référence, le groupe ne régit pas totalement sa vie car il demeure un être doté d’un esprit d’indépendance.

2 ) Il est un mendiant, s’adonne à divers petits travaux, souvent à la prostitution.

3 ) Il mène une vie d’adulte. Ses besoins et ses « loisirs » ne sont pas souvent de son âge.

4 ) Hygiène très mauvaise. Il ne se nourrit qu’en fonction des gains de sa journée.

5 ) Son quotidien est empreint de violence.

6 ) Il est le plus souvent en situation de santé précaire. (Maladies de peau, gastrites, MST , sont monnaie courante).

7 ) Il développe un sentiment de malaise, il est marginalisé par la population et les institutions.

8 ) Il reconnaît et interprète les situations de danger, établit un jugement et réagit en conséquence.

9 ) Il reconnaît et interprète les situations de l’autre, et tâche de les convertir en opportunités.

10 ) Il reconnaît et adopte des postures, attitudes et langages adaptés selon les circonstances, apprend gère, crée des langages codés, gestes…

11 ) Il connaît l’espace public avec un maximum de détails, les routes, espaces de ressources, lieux de fuite, refuges…

Enfants en domesticité.

Il travaille dans un foyer qui n’est pas celui de ses parents. Il accompli des corvées ménagères (nettoyage, lessive, préparation des repas, garde des enfants…), il fait les courses et accomplit toute autre tâche requise par les parents d’accueil, ainsi que les enfants et toute autre personne occupant la maison. Ceci (théoriquement) en échange de la nourriture, vêtements, soins, et dans certains cas, éducation.

(Dans les faits, bien peu de ces compensations lui sont apportées, et il a à subir – au mieux- le mépris, au pire des violences physiques, voire sexuelles)

L’Agenda humanitaire.

L’agenda humanitaire, qui a pour base la protection de la vie, la santé, la subsistance, l’éducation et la sécurité physique, ne peut se réduire à cela. Il devrait comporter la préservation de la dignité, et une dimension de pénétration de l’intérieur psychosocial du problème se société à laquelle l’enfant est aujourd’hui confronté. En effet, face à une situation de détresse anthropique plusieurs paramètres de long terme peuvent être considérés comme des paramètres d’urgence.

Besoins humanitaires.

Ce travail recommande à la fois une analyse basée sur le « risque critique », compris comme étant le produit des menaces et vulnérabilités présentes et imminentes et une analyse basée sur le concept même, ambigu, de besoin. En effet, même si dans le cas d’une intervention humanitaire, une analyse de risque critique en relation aux menaces clés de la vie, la santé, la subsistance et la sécurité, fournit une base plus forte pour une distinction plus claire entre l’analyse d’un problème et la formulation des solutions y relatives, l’analyse du concept de besoin est importante dans notre cas, car il s’agit pour nous d’imprégner notre démarche d’une approche des droits de l’enfant.

Qu’est-ce que la Protection humanitaire .

( Inter-Agenci Standing Comittee.)

«  Toute activité visant à la création d’un environnement qui conduit au respect des êtres humains, qui prévient ou mitige les effets de certains abus spécifiques, et qui restaure des conditions de dignité, par la réparation, la restitution, la réhabilitation. » Le secrétaire de l’ONU, Koffi Annam a introduit la notion de « Droit à la protection »

(Selon la croix Rouge Internationale)

La protection implique toutes les activités mettant en œuvre le respect des droits de l’individu en accord avec les droits internationaux de l’Homme. Les droits de l’homme et les organisations humanitaires doivent développer leurs activités d’une manière impartiale ( sans considération de race, nationalité, origines ethniques etc.)

Il est reconnu à l’enfant, en raison de sa vulnérabilité un régime de protection spéciale dans le droit humanitaire international, en plus de la protection généralement accordée aux populations ne participant pas aux conflits .

 Enquête réalisée et démarche méthodologique.

 Une enquête quantitative, opérée à l’aide d’un questionnaire dans 31 zones. Le questionnaire comprenait quatre axes principaux :

Sécurité physique, protection de la vie.

Santé et nutrition

Education

Réhabilitation.

Enquête qualitative opérée dans des zones supplémentaires significatives, ou les questionnaires n’ont pas pu être acheminés.

Zones touchées par l’enquête (nombre de questionnaires par zone)

Departement de l’ouest : 150

Plateau central : 85
Artibonite : 75
Nord : 34
Nord Est 22
Nord Ouest : 21
Sud-Est : 18
Sud : 21
Grands Anse : 12

Modèle d’analyse.

Il est inspiré des principes d’une approche des droits de l’enfant lié aux principes d’intervention en situation d’urgence qui impliquent que les décisions soient basées sur des analyses de risques et de besoins.

 LES ENFANTS FACE A LA CRISE. . SITUATION ET REALITES.

Sécurité physique et protection de la vie.

La violence extrême de cette crise (conflits entre les différentes fractions armées, actions de gangs) a directement et profondément affecté les enfants.

Seules les zones du sud Ouest, du nord Ouest et du Nord Est ont en partie échappé à cette violence.

Beaucoup d’enfants ont participé dans les gangs armés comme acteurs manipulés. Comme l’indique le tableau, dans 22 des 31 zones (71% des régions) les personnes et organisations contactées ont dénoncé la présence de gangs armés, , en 33% des ces régions ont indiqué la présence d’enfants dans ces gangs.

Lieux où l’Association Enfants Soleil est implantée (Ecoles, cantines, parrainages, santé)

Départements

Zones ciblées

Présence de gangs armés

 

 

Nombre de régions Comportant des gangs

Nombre de région avec des gangs Régions incluant des enfants dans les gangs
Enfants blessés ou tués

Nord *

04

02

02 00 04

Nord Est *

03

03

00 01 01

Nord Ouest

02

00

02 00 01

Artibonite *

05

05

00 02 02

Centre *

06

05

01 02 05

Ouest *

04

02

02 02 03

Sud Est

03

02

01 01 02

Sud

02

01

01 01 00

Grand’Anse

02

02

00 01 01

Total

31

22

09 10 19

La présence de gangs ne comptabilise par ( en particulier dans le Nord Ouest) la présence de civils armés. Port au Prince (en particulier ses nombreux bidonvilles) est infestée de gangs armés : Elle en contient plus à elle seule que toutes les autres régions réunies. D’autres zones, non répertoriées voient la présence de gangs ( Léogane, Grand goâve, Petit Goâve …)

Certains des enfants présents dans les gangs sont des enfants des rues, qui, naturellement sont entraînés et utilisés par les aînés, d’autres accompagnent les membres de leur famille dans les scènes de violence.

Enfants blessés ou tués.

Sans avoir de chiffres exacts, nous pouvons dire que beaucoup d’enfants ont été physiquement victimes de ces conflits. Certains ont été blessés, plusieurs ont été tués, surtout dans le cas des enfants des rues de Port au Prince. Doublement victimes, ils sont manipulés, utilisés, et parfois pour avoir été témoins de crimes trop importants, ils ont été exécutés. La situation qui a entraîné une réduction des activités économiques les a rendus encore plus vulnérables. Le CRALI comme le foyer Lakay ont dénoncé l’assassinat de plusieurs enfants des rues de Port au Prince. Selon les données recueillies à travers le pays, il y a presque partout des cas d’enfants tués ou blessés, ou battus dans les écoles.

Onze régions enquêtées ont indiqué que des enfants blessés soit par balle, par armes blanches, soit battus par les gangs proches du pouvoir.

D’autres enfants ont été tués lors des actes de banditismes liés à la crise. Le tableau n’est en rien exhaustif.

Départements

Zones touchées

Caractéritiques de l’insécurité

Nord

4

Banditisme, vols à main armés, absence d’autorité légale, agressions physiques et verbales, incendies, malversations policières

Nord Est

3

Vols et règlements de comptes

Nord Ouest

2

Violence physique et verbale, trafic de drogue, intimidations

Artibonite

5

Profusion d’armes, pillages, banditisme, absence d’autorité légale, tirs nourris…

Centre

6

Règlements de comptes, hold-up, malversations policières, black out

Ouest

4

Pillages Assassinats, enlèvements, vols à main armée, tirs nourris, règlements de compte, malversations policières

Sud Est

3

Vols à main armée par des évédés de prison, banditisme, (chimères), vols de bétail…

Sud

2

Attaques sur les commerçants, assassinats, tirs …

Grand’Anse

2

Vols, menaces, black out, tirs…

Les enfants en domesticité.

Il existe partout, en dehors des rues, des enfants en domesticité (25000 à Port au Prince) qui ont été les plus maltraités et exposés aux conséquences de la crise la situation économique des familles ne leur permettant plus de subvenir aux besoins de leurs propres enfants. Manque de protéines, de minéraux et d’aliments énergétiques frappant les enfants en général, les événements ont eu une incidence encore plus dramatique sur les enfants en domesticité, qui sont les derniers servis. Ce sont eux aussi, qui, pendant les conflits, sont envoyés dans les rues pour l’achat de produits, la collecte de l’eau, et même la vente de produits pour les familles de commerçants.

Les filles violées.

Le nombre de filles violées a augmenté avec la crise, mais dans des zones de conflits intenses bien déterminées. Beaucoup dans la zone métropolitaine, y compris des viols de mineures. (Mais la prostitution est à Haïti, comme partout où sévit la misère, la fin de la route pour les jeunes filles de familles complètement démunies.) Cependant, ces viols sont plutôt cachés par les familles des victimes.

Les trafics d’enfants.

Si la question ne faisait pas directement partie de l’enquête, selon les informations reçues dans les zones frontalières, il n’en est pas moins vrai que le trafic, déjà important a sans doute connu une augmentation durant la crise. Mais ce n’est pas d’aujourd’hui que ce trafic existe dans le Nord et Centre. Bon nombre de familles ont envoyé leurs enfants mendier en République Dominicaine, ou pour être exploités dans l’agriculture, ou pour le commerce du sexe. D’autant que les écoles étaient fermées, et que certaines n’ont pas rouvert leurs portes.

SANTE ET NUTRITION

Les conditions de santé des enfants d’Haïti, déjà classées parmi les pires du monde, se sont énormément aggravées pendant la crise.

Aucun hôpital, à travers tout le pays ne disposait (ne dispose,) d’assez de médicaments, ni de personnel soignant. Cette carence a causé la mort de beaucoup d’enfants à travers le pays. Certains orphelins du Sida, eux-mêmes infectés sont morts par manque de nourriture et de médicaments. Les lits des hôpitaux pour les enfants sont très limités. Certains ne disposent pratiquement pas de toilettes. A Port au Prince, l’Hôpital Général a dû suspendre ses services pendant plus d’un mois. Dans beaucoup de régions, le personnel des centres de santé a dû abandonner les centres à cause des menaces, et beaucoup d’enfants blessés, souvent en fuyant la violence causée par les gangs armés, n’ont pas pu trouver de soins.

Le dispensaire « L’éternel est bon » de Cité Soleil, géré par le Docteur Ostene à Cité Soleil, financé et ravitaillé par l’Association Enfants Soleil est détruit. Peu de matériel pillé, car des précautions avaient été prises.

PERSONNEL DE SANTE. MATERIEL ET MEDICAMENTS.

Si les hôpitaux et centres de santé ont été fermés durant la crise, dans trois seulement des 31 zones sondées, il n’en demeure pas moins que dans tous les cas, ils ne disposaient pas de suffisamment de médicaments, de matériel ou de personnel soignant. Le tableau suivant montre les réponses fournies.

Cette absence de médicaments et de matériel a encore empiré les indicateurs de santé des enfants, entraînant une augmentation de la mortalité et de la morbidité infantiles à travers le pays.

Département

Zones

Personnel de santé

Médicaments

 

 

Suffisant

Insuffisant

Suffisant

Insuffisant

Nord *

4

1

3

0

4

Nord Est *

3

0

3

0

3

Nord Ouest

2

0

2

0

2

Artibonite *

5

0

5

0

5

Centre *

6

0

6

0

6

Ouest *

4

0

4

0

4

Sud Est

3

0

3

0

3

Sud

2

0

2

0

2

Grand’Anse

2

0

2

0

2

Total

31

1

30

0

31

La pénurie de gaz a affecté la marche de beaucoup de centres. Les stocks de vaccins réfrigérés ont été perdus pendant que l’approvisionnement a été coupé. Les activités de vaccination ont été ralenties ou suspendues dans plusieurs régions, ce qui potentiellement peut provoquer un resurgissement de certains maladies des enfants.

NUTRITION

Au niveau nutritionnel, la situation est très préoccupante pour les enfants, encore davantage avec la crise qui sévit. Au sein des familles, l’augmentation des prix des produits de première nécessité a entraîné une misère sans précédent. Dans certains endroits, souvent les plus éloignés des centres d’approvisionnement, le coût de la vie a même triplé. Les familles ne peuvent plus se procurer les produits nécessaires à la santé de leurs enfants, comme les produits importants à base de protéines, vitamines, énergie.

Le tableau suivant donne une idée de l’augmentation des prix des produits de première nécessité à travers le pays.

100%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

90%

95%

 

 

 

 

 

 

 

 

80%

 

75%

 

 

83%

60%

 

 

 

70%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

60%

 

 

 

 

 

 

 

65%

 

50%

 

 

50%

60%

 

 

 

 

55%

40%

 

 

 

 

 

 

42%

 

 

30%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

20%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

00%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nord N. Ouest N. est Artibonite Centre Ouest S. Ouest Sud G. Anse

L’augmentation des prix a un lien avec le niveau de conflit et l’accès. Les département qui peuvent s’approvisionner en République Dominicaine ne subissent qu’une augmentation de 20 à 40%. Les ONG, comme Enfants Soleil , qui financent directement les écoles et les cantines subissent ces augmentations. Mais on sait que la région centre vient d’être touchée par les pluies et que les récoltes sont hypothéquées.

Un bilan a été fait de la réduction de la ration alimentaire des enfants jusqu'au début de la crise.

Sur les 31 zones : avant la crise

Dans 3 zones les trois repas par jour ont été en gros respectées.

Dans 13 zones réduction à deux repas par jour

Dans 14 zones réduction à un repas par jour.

Sur les 31 zones pendant la crise.

Dans O zone : 3 fois par jour.

Dans 0 zones : 2 fois par jour.

Dans 24 zones : 1 fois par jour

Dans 7 zones : presque rien. (Famine)

Ces données représentent une moyenne. Compte tenu de l’insuffisance nutritionnelle des repas « normaux », on peut évaluer l’impact de cette crise sur la santé des enfants.

Le tableau suivant rend compte des carences, selon les réponses recueillies dans les 31 zones considérées.

 

Protéines

Vitamines

Energie

Fer

Calcium

Nord

+

+

+

+

+

Nord Est

+

+

+

+

+

Nord Ouest

+

+

+

 

 

Artibonite

+

+

 

+

+

Centre

+

+

+

 

 

Ouest

+

+

 

+

+

Sud Est

+

 

 

 

 

Sud

+

 

 

 

 

Grand’Anse

+

 

 

 

 

Cette situation est dramatique, surtout dans certaines zones marginales comme le Nord Ouest et plusieurs régions du Sud Est. Certains hôpitaux et centres de santé qui fournissaient des repas à leurs patients, et en particulier aux enfants, ont dû cesser cette activité.

En ce qui concerne l’eau et les infrastructures sanitaires, les conflits ont détruit beaucoup d’équipements existants, déjà insuffisants.

Une crise de l’eau encore plus grave depuis les événements sévit déjà à Port au Prince et dans plusieurs autres villes. Port de Paix vit sous la boue et le système d’eau potable est défaillant, ce qui entraîne un nombre considérable de diarrhées et autres maladies infectieuses. L’eau potable est rare et constitue le problème majeur au niveau de la population. Jacmel connaît le même problème. La situation environnementale est très précaire, dans certaines villes comme Saint Marc et certains endroits de la capitale, les cadavres jonchaient les rues mêlés aux détritus ; ce qui provoque des problèmes de santé publique. Port au prince, et en général toutes les villes du pays sont recouvertes d’ordures.

EDUCATION.

Presque partout, le système scolaire a été pratiquement stoppé durant les mois de crise. (Depuis décembre 2003). Menaces aux enseignants, et aux élèves par les gangs, et certains acteurs politiques, manifestations anti ou pro gouvernementales, batailles de rues, peur des parents face à l’insécurité, pillages.

Dans les 31 zones sondées, 29 ont eu leurs écoles fermées. 18 zones ont subi des menaces aux enseignants, 14 des menaces aux élèves. Dans plusieurs zones, la cantine scolaire était la seule source de nutrition pour les enfants. Cependant, la cantine scolaire financée par Enfants Soleil a pu continuer – sauf durant les pires moments de crise, avant le départ d’Aristide. La Zone de l’Artibonite est l’une des plus violentes du pays. Un enfant du collège a malheureusement été tué dans la rue.

REHABILITATION.

En dehors de quelques régions isolées, (Jean Rabel, Saut l’eau, Pointe à Raquettes, Anse à Pitres, …) on peut dire que toutes les régions du pays ont connu une atmosphère de peur. Surtout à partir de décembre 2003. Cette pression psychologique, plus aiguë dans certaines zones ( Gonaïve, saint Marc, Port au Prince, Cap Haïtien, Mirebalais, Petit Goâve, Trou du nord, Hinche, Saint Raphaël…) a eu un impact considérable sur les enfants, renforcé par la présence de cadavres dans les rues, pour certains ayant été brûlés vifs, et exposés au regard des enfants. Les enfants ont parfois été témoins d’actes d’assassinats.

MIGRATIONS

La situation de crise a très nettement accentuée les mouvements de migration, lorsque les conflits armés ont commencé à s’intensifier. La peur et le besoin de sécurité ont porté beaucoup de familles accompagnées de leurs enfants, à abandonner leur environnement naturel d’existence pour aller chercher refuge ailleurs. Dans 71% des 31 régions, des familles ont dû abandonner leur maison. Les départs pour les USA, le Canada, ont été nombreux, parmi les familles les plus nanties. Vers la République Dominicaine pour certaines autres. Rappelons que l’une des raisons de la présence des troupes des Etats Unis a été de contrer les très nombreuses tentatives des « Boat peoples » pour quitter le pays pas tous les moyens possibles, avec le risque pour l’administration américaine de les voir arriver en masse sur les côtes de Floride. Témoins, contraints ou victimes, les enfants ont toujours vécu ces situations exceptionnelles.

Le besoin est grand aujourd’hui de la prise en charge psychologique de ces enfants traumatisés par la vision des scènes de pillages, tueries. Certains d’entre eux, acteurs, sont recherchés et craignent pour leur vie.

Les enfants démunis qui étaient pris en charge par des institutions qui ont été pillées et ont dû fermer leurs portes, se sont trouvés livrés à eux mêmes, et donc particulièrement vulnérables.

Recommandations générales (nous transmettons quasi intégralement les recommandations diffusées par les auteurs Seuls sont élidés les passages répétitifs.)

1 ) Dans le souci d’une action efficace visant un impact global et significatif sur l’enfance en Haïti, concerter et mettre en place une stratégie d’intervention coordonnée dans l’optique d’une programmation des droits de l’enfant

Ce travail a été initié par des organisations internationales qui jouent un rôle important en Haïti dans le domaine de l’enfance, mais qui en même temps, à plusieurs égards, interviennent avec des approches et des expertises différentes. Aussi serait-il recommandé que les interventions planifiées à la lumière de cette évaluation soient empreintes de cohérence, de synergie, de complémentarité afin d’arriver à un plus grand impact global sur les enfants et au niveau du pays.

Face aux défis en Haïti, la coordination et la concertation sont incontournables.

2 ) Utiliser ce cadre de travail pour créer et maintenir un système de coordination d’échanges et de soutien mutuel entre les partenaires de référence.

Il serait bon que les partenaires en présence, commanditaires et réalisateurs de ce travail, profitent de ce cadre pour maintenir une coopération beaucoup plus ferme qu’avant ; qui pourrait s’avérer fructueuse pour le futur. Il est bien évident que selon notre compréhension de l’approche basées sur les droits de l’enfant, l’accomplissement de ces droits, tenant compte des limites et des différents centres d’expertise, ne sera réalisé qu’à partir de la mise en commun des forces.

3 ) Employer des stratégies qui prennent en compte le fait que les besoins humanitaires d’aujourd’hui en Haïti sont causés par des désastres anthropiques, (Conflits armés et déboisement) et non naturels, et qu’il faut de toutes façons envisager des stratégies de long terme avec les actions de court terme.

Il est important de maintenir à l’esprit, dans le cadre des interventions, que les mesures et décisions à prioriser doivent s’inspirer de la dimension anthropique de la situation haïtienne. En effet, les troubles et les désastres causés par l’homme nécessitent des stratégies d réhabilitation qui font de toutes façons appel au moyen et au long terme. Les paramètres de l’Agenda humanitaire ne peuvent pas être considérés seulement au niveau de la dimension « intervention d’urgence  à court terme ».

Recommandations spécifiques .

Santé et nutrition.

4 ) Planifier et implanter à court terme, à travers tout le pays, un programme d’urgence de santé et de nutrition centré sur l’enfant.

La situation de santé et de nutrition des garçons et filles en Haïti est un problème national. Si dans bien des cas elle a considérablement empiré avec la crise, il n’en demeure pas moins vrai que dans certaines régions moins touchées par les conflits, la situation a toujours été chronique et grave. Ce programme qui tient une place importante dans les zones de conflits intenses, comme l’Artibonite, l’Ouest, le Centre, et le Nord, devrait trouver une emphase spéciale dans le Nord Est et dans la partie Est du département du Sud Est., partant de belle Anse pour arriver à la frontière. Le programme devra en même temps comprendre une dimension préventive importante en termes de formation et d’information et être lié au système éducatif en cours.

De plus il ne faudra pas négliger un appui important à l’amélioration du système d’approvisionnement en eau potable dans diverses régions. Le problème de l’accès à l’eau potable est l’une des causes des maladies infectieuses chez l’enfant.

Réhabilitation.

Planifier et implanter à court terme, dans les zones les plus affectées par les dernières violences, c’est à dire le département de l’ouest l’Artibonite, le Nord et le Centre, un programme d’appui psychosocial et de DDRR ( désésarmement, démobilisation, réhabilitation, réinsersion) centré sur les enfants.

Ce programme devra mettre l’accent sur la musique, l’art en général, la récréation, le jeu, le sport…Il devra aussi tenir compte que des adultes ont aussi pu être traumatisés. Le stress placé sur les parents est un élément important à retenir aussi dans une perspective de protection de l’enfant. […]

Mettre l’accent sur la question du trafic des enfants vers la république Dominicaine, la question des enfants des rues, des enfants en domesticité et des enfants en conflit avec la loi.

Beaucoup d’efforts ont déjà été faits en Haïti dans ces domaines. Des organisations ont travaillé à la ratification de la Convention 182 sur le travail des enfants. Il est important aujourd’hui de profiter du contexte actuel pour faire aboutir cette démarche. Le pays nécessiterait un plan national de lutte contre la domesticité des enfants où tous les acteurs concernés, en particulier les partenaires de ce présent travail, devraient apporter leur contribution.

En ce qui concerne les enfants des rues, particulièrement affectés par la crise, beaucoup d’expériences ont été jusqu’à présent acquises. Nécessité d’une stratégie de réhabilitation sociale et stratégie de prévention basée sur la mise sur pied de structures locales à travers le pays, travaillant avec les enfants à risque.

Les enfants en conflit avec la loi, qui sont le plus souvent des enfants des rues, sont pris en charge par un système judiciaire défaillant. Leurs cas devraient être l’objet d’une attention particulière et des organismes concernés devraient travailler avec l’état en place pour mettre à leur disposition une ou des structures spéciales de réhabilitation.

Dans ce même ordre d’idées, l’accent doit être mis tant sur un plaidoyer pour la ratification du code de l’enfant que sur une campagne nationale d’information sur le contenu de ce code.

Sécurité physique et protection.

Soutenir le gouvernement dans la mise en place d’une stratégie globale de protection de la sécurité physique des enfants, et dans la mise en oeuvre de cette stratégie surtout dans le département de l’Ouest et en particulier dans la zone métropolitaine.

La sécurité physique est du ressort des autorités établies et ne peut être fournie par les agences d’appui. Aussi serait-il intéressant que l’Etat haïtien soit secondé dans une stratégie spécifique visant à rendre le pays «  child-friendly » caractérisé par la mise en place de structures de prévention et de protection, la formation des débiteurs de droit, des responsables légaux de la sécurité publique, dans le cadre des droits de l’enfant.

Nous pouvons prendre comme exemples les nombreux cas de beaucoup de filles et garçons des rues de Port au Prince qui ont été filmés dans des actes de pillages et qui sont maintenant recherchés. Ils craignent pour leur vie et se sont mis à couvert : la question de la réhabilitation, de la sécurité et de la protection doit se poser.

Utiliser ce cadre de travail pour créer et maintenir un réseau national de référence capable de porter réponse partout dans le pays en cas de désastre naturel ou anthropique.

Il serait bon qu’un réseau national de référence, incluant au moins les chefs-lieux de départements, (au mieux les communes) soit activé et renforcé de façon que les réponses rapides puissent être apportées en tout endroit.

En effet, dans le cadre de l’enquête, il a été maintes fois suggéré que l’UNICEF décentralise son approche, soit par la mise en place de structures sous-jacentes régionales, soit par la constitution d’un réseau de partenaires régionaux capables d’intervenir en toute situation nécessitant une protection spéciale pour les enfants.

Education.

Aider à l’implantation à court, moyen et long terme, d’un programme national d’éducation civique adressé aux enfants et aux jeunes, dans les écoles et les associations locales des neuf départements du pays.

Le gouvernement vient de décréter qu’Haïti est en situation d’urgence. Cependant, il nous faut maintenir à l’esprit que cette situation vient de causes qui sont anthropiques. Ainsi, il y a aussi urgence en Haïti aujourd’hui, à orienter la vision existante vers des pratiques de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la justice. Il faut mettre l’accent sur la nécessité de préparer les générations futures, à pouvoir initier un vrai contrat social.

Prendre en compte le fait que la remise en état du système éducatif peut être une excellente occasion de transformer l’éducation afin qu’elle réponde mieux aux besoins du pays et comprendre en même temps que l’éducation peut aussi servir de mécanisme contribuant à la prévention des situations d’urgence

Le système éducatif haïtien a des faiblesses qui méritent d’être prises en compte et des potentialités qui méritent d’être utilisées. En même temps, à bien des points de vus, il a été affecté par la crise politique et mérite aujourd’hui une attention spéciale. Aussi peut-il être intéressant de faire d’une pierre deux coups ; d’intensifier l’approche « école – amis des enfants » afin d’apporter ce qui manque et d’exploiter pleinement les potentialités.

46% de la population est analphabète. L’éducation demeure inaccessible pour un grand nombre d’enfants à Haïti. Malgré les investissements réalisés par l’Etat et l’aide internationale ; les statistiques demeurent édifiantes. Plus de 500 000 enfants d’âge scolaire n’ont pas accès à l’école et ce, malgré un taux de scolarisation en primaire de 60% (FAFO 2003) . L’ »espérance de vie scolaire » est d’environ 4 ans (PNUD / BCP 2000) 355 élèves sur 1000 finiront le primaire ( six années) ceci nécessitera 14 ans en moyenne. Cette situation est particulièrement exacerbée dans le milieu rural et dans les villes secondaires de province, 20% des professeurs ont la formation nécessaire pour enseigner, dans les zones urbaines, contre 8% seulement dans les zones rurales. Aussi la question de la qualité de l’éducation offerte, même bien avant le conflit, a toujours constitué une grande problématique en Haïti.