Une Semaine en Haïti – n°668 – Lundi
22 septembre 2003
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Au Cap Haïtien, deux manifestations se terminent de manière tragique
Affrontements sanglants entre partisans de Lavalas à Cité Soleil
Le Sénat partagé sur le projet d’amendements de la constitution
Jean-Bertrand Aristide met le cap sur les élections
Washington fait souffler le chaud et le froid à Port-au-Prince
L’Union européenne publie une déclaration sur la situation
haïtienne
>>> Au Cap Haïtien, des manifestations se terminent de manière tragique
Dimanche 14 septembre, au Cap Haïtien, une manifestation organisée
par le Front de l'Opposition du Nord (FRON) et une contre manifestation de
partisans du pouvoir se sont soldées par 1 mort et une quinzaine de
blessés.
Ces manifestations se sont tenues dans une situation très tendue. Des
partisans de Lavalas avaient multiplié les déclarations menaçantes
et même exhorté les propriétaires des pompes funèbres à se
tenir prêts. Le chef du cabinet du secrétaire d’Etat à la
Sécurité publique, Dany Fabien, avait déclaré que
la police ne pourrait pas contenir la colère des partisans du gouvernement. « Si
l’opposition exige le départ du président Aristide, les
partisans du régime ne peuvent pas se croiser les bras », avait-t-il
annoncé.
Pour sa part, le secrétaire d'Etat à la Communication, Mario
Dupuy, avait affirmé que toutes les dispositions avaient été prises
par la Police nationale pour sécuriser les deux manifestations. Et de
fait, la police n’avait peut-être jamais été aussi
nombreuse dans les rues du Cap Haïtien. Elle a lancé des gaz lacrymogènes
pour disperser plusieurs centaines de partisans de Lavalas puis les quelques
milliers de personnes répondant à l'appel de l'opposition. Les
contre-manifestants pro Lavalas s’étaient installés près
du parcours de l’opposition et auraient commencé à lancer
des pierres et des tessons de bouteilles. Les policiers, qui faisaient écran
entre les deux groupes, sont intervenus et ont blessé et appréhendé plusieurs
personnes.
Lors de négociations tenues la nuit précédente, la police
aurait rejeté les propositions faites par les dirigeants de l'opposition
pour éviter des affrontements. Evans Paul, dirigeant de la Convergence
démocratique, a stigmatisé le comportement de la police et l'attitude « de
complaisance vis-à-vis du régime », qu’auraient affichée
les représentants de l’OEA lors de ces négociations. Cependant,
dans un rapport, David Lee, chef de la Mission de l'OEA en Haïti, a plutôt
rejeté la responsabilité des incidents sur le parti au pouvoir.
Il a déclaré que Fanmi Lavalas avait un plan pour bloquer la
manifestation de l'opposition et a déploré que la police n'ait
pas empêché les deux manifestations d’emprunter des itinéraires
qui se rejoignaient. De tels comportements vont, selon ce diplomate canadien, à l'encontre
des principes de la démocratie, de la constitution haïtienne et
de la convention interaméricaine des droits de l'homme.
Le député Nahoum Marcellus, qui participait à la contre-manifestation,
a déclaré : « nous allons occuper les rues jusqu'à la
tenue des prochaines élections pour empêcher toute manifestation
contre notre président constitutionnel ».
Gracia Dorcin, qui était dans les rangs des contre-manifestants, est
mort de ses blessures au lendemain de la manifestation. L’Agence haïtienne
de presse, proche du pouvoir, affirme qu’il a été tué par
des membres de l’opposition. Selon d’autres journalistes, il a été blessé par
des policiers.
L’appel à la grève lancé à Cap Haïtien
par le Front de l’Opposition dans le Nord pour protester contre les brutalités
policières n’a pas été suivi. Tous les secteurs
d’activité ont fonctionné comme à l’ordinaire.
>>> Affrontements sanglants entre partisans de Lavalas à Cité Soleil
Mardi 16 septembre, des affrontements ont opposé des groupes rivaux à Cité Soleil.
Bilan : cinq morts et des blessés dont l’un des maires adjoints
de Cité Soleil. Le lendemain, les affrontements ont repris. Au moins
une personne, qui se trouvait entre les groupes rivaux, aurait été tuée.
Les activités de Cité Soleil sont affectées par cette
situation. Certains habitants ont commencé à quitter la zone.
Ces violences opposeraient des partisans de Lavalas entre eux. Des proches
du régime seraient à la recherche d’un chef d’organisations
populaire, Thomas Robenson alias La Bannière. Il serait victime des
remous créés par les révélations de Johnny Auxilius,
un ancien employé de la Mairie de Cité Soleil aujourd’hui
réfugié aux Etats-Unis. Certains partisans du pouvoir accuseraient
Thomas Robenson d'avoir orchestré une opération de jets de pierres
contre le cortège présidentiel le 8 septembre. Interrogé sur
Radio Métropole, Thomas Robenson a nié cette accusation et a
renouvelé son attachement à Lavalas. Il affirme que le ministre
de l’intérieur, Jocelerme Privert et l’ex-directeur de la
Police nationale, Jean-Claude Jean Baptiste, ont donné des ordres pour
le faire assassiner. Selon Radio Métropole, Thomas Robenson serait un
proche de l’ex-directrice départementale de la police de l’Ouest,
Hermione Léonard, aujourd’hui démissionnaire, et du chef
de la sécurité présidentielle, Oriel Jean.
>>> Le Sénat partagé sur le projet d’amendemendements de la constitution
Les députés issus des élections du 21 mai 2000 ne reviendront
plus siéger, sauf s’ils sont convoqués en session extraordinaire
par le président de la République. Ils ont terminé leurs
travaux sur une note amère le lundi 8 septembre. Le projet d’amendements
de la constitution qu’ils laissent à leurs successeurs se trouve
en effet dans une situation délicate. Selon certains légistes,
ils auraient dû procéder à un vote, alors qu’ils
ont apposé individuellement leur signature au bas du texte.
Et surtout, leur projet n’a pas obtenu l’accord des deux tiers
du Sénat comme le prévoit la constitution. Cela tient à deux
raisons. D’une part, 7 sénateurs ont démissionné depuis
longtemps. D’autre part deux sénateurs Lavalas, en désaccord
avec le projet visant à amender la constitution, se sont absentés
au moment du vote. Ces deux sénateurs, Dany Toussaint et Prince Pierre
Sonson, ont été rappelés à l’ordre par la
direction de leur parti. Ils refusent que l’on amende la constitution
sans un débat préalable au sein de la société.
Le président de la Conférence épiscopale, Hubert Constant,
a salué la position de ces deux sénateurs. Il a indiqué que
la population «ne laissera pas passer les choses comme ça ».
L’opposition et de nombreuses associations s’élèvent
elles aussi contre la manière dont le pouvoir essaye d’amender
la constitution.
Les sénateurs favorables au processus d’amendements ont voté une
motion demandant à la prochaine législature de tenir compte du
fait que le Sénat actuel fonctionne avec seulement 19 membres. Mais
cette démarche ne s’appuie sur aucun article de la constitution,
fait-on remarquer.
>>> Jean-Bertrand Aristide met le cap sur les élections
Des élections coûte que coûte : voilà en substance
les propos tenus le 15 septembre par Jean-Bertrand Aristide en visite à la
Caisse d'Assistance Sociale. Il y a, a dit le président, un complot
pour empêcher les prochaines élections. Mais elles auront lieu,
a-t-il affirmé. Il a convié tous les secteurs à prendre
le chemin du dialogue. Il a fustigé une fois de plus la communauté internationale
qui, selon lui, impose un embargo à Haïti. « Les élections
vont permettre au pays de sortir de la misère », a affirmé Jean-Bertrand
Aristide.
Il aurait déjà choisi le dossier de l’amendement de la
constitution comme l’un des thèmes centraux de la campagne électorale.
Il a encouragé les Haïtiens à se rendre en masse aux urnes
afin que la prochaine législature entérine l’abolition
des forces armées d’Haïti et le projet sur la double nationalité.
Victor Benoît, de la Convergence démocratique, estime qu’en
amendant la constitution, le pouvoir veut permettre à l’épouse
de Jean-Bertrand Aristide, qui serait citoyenne des Etats-Unis, de lui succéder à la
tête de l’Etat.
Le chef de la Mission spéciale de l’OEA, David Lee, met en garde
contre l’organisation d’élections en dehors du cadre de
la Résolution 822. Il a cependant noté que Jean-Bertrand Aristide
n’avait pas indiqué si les élections auraient lieu d’ici
la fin 2003, comme cela avait été annoncé précédemment.
Pendant ce temps, le chef de l’ancien CEP, Alix Lamarque, a déclaré que
quatre firmes ont déjà été retenues pour l’impression
des bulletins et que certains organismes internationaux lui ont promis leur
appui.
>>> Washington fait souffler le chaud et le froid à Port-au-Prince
Un des responsables de la politique extérieure des Etats-Unis, Roger
Noriega a déclaré le 8 septembre que « les Etats-Unis accordent
quelques semaines au gouvernement Lavalas pour prouver sa bonne foi dans le
cadre du processus visant à la résolution de la crise politique ».
Il a expliqué que les Etats-Unis exercent des pressions supplémentaires
pour que le gouvernement haïtien fasse des pas en avant pour restaurer
la confiance en matière de sécurité. C’est la condition,
explique-t-il pour que le peuple haïtien puisse réellement prendre
part au processus électoral. Roger Noriega a cependant précisé que
les Etats-Unis n’imposeraient pas de sanction sans l’appui des
Etats de la Caraïbe membres du CARICOM.
Pour sa part, le président des Etats-Unis George Bush a accordé une
dispense à Haïti afin que ce pays puisse continuer à bénéficier
de certaines formes d'aide. Cela concerne notamment les projets d’aide
au micro-crédit et les programmes concernant la résolution des
conflits. Cette décision a été prise notamment en raison
des mesures qu’aurait prises le gouvernement haïtien pour réduire
le trafic d’êtres humains. Neuf autres pays, dont la République
Dominicaine, bénéficient de la même mesure. Selon une note
de l'ambassade américaine en Haïti, " ces 10 pays méritent
d'être reconnus pour leur action rapide à corriger des problèmes
relatés dans le rapport du département d'Etat de juin 2003 sur
le trafic humain".
Dans un rapport publié le 15 septembre, le gouvernement des Etats-Unis
dresse la liste de 23 pays ayant un rôle majeur comme lieu de production
ou de transit des drogues. Selon le rapport, deux de ces 23 pays, la Birmanie
et Haïti ont échoué de manière patente à remplir
leurs obligations en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants.
>>> L’Union européenne publie une déclaration sur la situation haïtienne
Dans une déclaration publiée la semaine dernière, l'Union
Européenne se dit très préoccupée par la situation
politique en Haïti. Elle met l’accent sur le fait que les membres
du Conseil électoral provisoire n'ont pas pu être désignés.
Elle s’inquiète des informations sur l'éventuelle organisation
d'élections hors du cadre fixé par l’OEA. Elle réaffirme
que « la coopération institutionnelle au développement
avec Haïti ne pourrait reprendre qu'à la condition que les obligations » figurant
dans ces résolutions « soient pleinement respectées ».
Par ailleurs, l'Union européenne « observe avec inquiétude
des atteintes de plus en plus fréquentes et graves aux droits de la
personne et aux libertés individuelles ».
>>> EN BREF
Depuis sa cachette, le président des coopératives d’épargne Cœur Unis, David Chéry, lance de nouvelles accusations. Il affirme que pour pouvoir s’enfuir il a versé 110 mille dollars américains au directeur de l’administration pénitentiaire, Clifford Larose, qui aurait partagé cette somme avec le vice-gouverneur de la Banque Centrale, Ansy Pierre Louis. En outre, il aurait confié 500 mille dollars à Clifford Larose pour dédommager les épargnants et dit attendre toujours un reçu. Ses ennuis avec Jean-Bertrand Aristide auraient commencé quand il a refusé d’acheter avec l’argent des épargnants un immeuble destiné à la mairie de Tabarre.
Le Groupe des 184 organisations et institutions de la Société civile a présenté à la presse un nouveau membre, l’organisation vaudouisante Zantray basée aux Gonaïves. Les dirigeants de Zantray expliquent leur adhésion par la nécessité de mettre fin à l’exclusion qui règne dans la société haïtienne depuis 200 ans. Ils disent soutenir en conséquence le projet de contrat social du groupe des 184.
Deux ans après le lancement par le gouvernement de ce qu’il avait appelé une campagne d'alphabétisation, les résultats ne sont pas encore disponibles a reconnu le secrétaire d'État à l'Alphabétisation, Stéphen Francisque. « L'objectif du gouvernement est de réduire à 15% le taux d'analphabètes d'ici décembre 2004 », a-t-il indiqué. Il a annoncé le lancement d’un programme baptisé « alpha scolaire ». Son objectif est que les élèves, de la 9ème année fondamentale à la terminale, deviennent des moniteurs et des superviseurs des centres d'alphabétisation.
L’ambassadeur de France, Yves Gaudeul, quitte ses fonctions. Il a suscité la colère de partisans du régime en déclarant lors d’une soirée d’adieu que la situation allait être difficile en Haïti et qu’il fallait se préparer à des tempêtes.
Jonathan Demme, le réalisateur américain de "Philadelphia" et du "Silence des agneaux", a présenté au festival du cinéma de Venise « L’Agronome », un film consacré au journaliste haïtien Jean Dominique, assassiné le 3 avril 2000. Le film sortira en salles aux Etats-Unis et en France. Ce n'est pas seulement l'histoire d'un homme et de son pays, mais un film sur "la liberté d'expression, les principes démocratiques et les principes tout court", a déclaré Michèle Montas, la veuve de Jean Dominique.
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