Une Semaine en Haïti – n°672 – Lundi 20 octobre 2003

Commémoration des neuf années du retour d’exil du Président Aristide
Les mobilisations anti-Aristide se poursuivent dans plusieurs villes.
Rationnement sévère du courant électrique dans la capitale.
La Banque mondiale prête 23 millions de dollars à une société dominicaine pour l’extension d’une zone franche en Haïti.


>>> Commémoration des neuf années du retour d’exil du président Aristide.

Contraint à l’exil pendant 3 ans après le coup d’Etat de 1991, Jean-Bertrand Aristide revient le 15 octobre 1994 en Haïti, suite à l’intervention d’une force multinationale et sous la protection de 23 000 soldats américains.
Neuf ans après, cet anniversaire est l’occasion de commémorations et de bilans.
Pour Lavalas, les plus grandes réalisations depuis « ce retour à l’ordre constitutionnel » sont la dissolution de l’ancienne armée et la demande de restitution de la dette. Les autres promesses n’auraient pu être tenues, du fait des sanctions économiques et d’un embargo injuste.
Pour la population, ce neuvième anniversaire est accueilli avec une certaine indifférence, les conditions de vie ne cessant de se détériorer. Le pays vit une grave crise politique depuis les élections contestées de mai 2000, marquées par des violences récurrentes et l’impossibilité d’organiser un nouveau scrutin.

>>> Les mobilisations anti-Aristide se poursuivent dans plusieurs villes

Ce 15 octobre 2003 a été marqué par des mobilisations anti-gouvernementales dans plusieurs villes. Aux Gonaïves, qui en est à sa 4e semaine de mobilisations, 3 personnes dont un policier ont été blessées par balles lors d'une nouvelle journée de tension. Au cri de « Aristide kontra w fini » (Aristide, ton contrat a pris fin), de nombreux Gonaïviens ont défilé dans le quartier de Raboteau, fief de feu Amiot Métayer. Le fait que le président ait reçu la famille Métayer le 12 octobre au palais national n'a pas changé grand-chose, semble-t-il.
Un porte-parole du mouvement anti-Aristide aux Gonaïves, Winter Etienne, a annoncé une intensification de la mobilisation, à partir de la semaine prochaine. « Dès la semaine prochaine, une opération de dechoukaj sera déclenchée. Nous marcherons après sur Port-au-Prince pour mettre la main sur Jean Bertrand Aristide », a déclaré Winter Etienne. Il a annoncé que l’Armée cannibale, dont Amiot Métayer était le chef, changeait de nom et se transformait en « Front de Résistance des Gonaïves pour le renversement de Jean-Bertrand Aristide ». Ce front a conclu un accord politique avec l’Association des Entrepreneurs de l’Artibonite.
La ville de Saint Marc a vécu le 15 octobre sa troisième journée de manifestation anti-Aristide. Des partisans de l'opposition sont descendus dans la rue, malgré des menaces proférées la veille par des parlementaires Lavalas. La manifestation a été brutalement dispersée par la police, qui aurait, par contre, encadré une contre-manifestation de partisans du président.
A Petit Goâve, une manifestation anti-Aristide prévue le même jour a été étouffée dans l'oeuf par la police qui a tiré des coups de feu en l'air et fait usage de gaz lacrymogènes. A Jacmel, des partisans de l'opposition ont organisé le 15 octobre, pour la deuxième journée d'affilée, une « operasyon bat tenèb » (un concert de casseroles) pour réclamer le départ du pouvoir de Jean-Bertrand Aristide. A Port-au-Prince, des étudiants de l'Université d'Etat ont manifesté, également le 15 octobre, à la Faculté d'Ethnologie pour exiger la démission du chef de l'Etat. Les manifestants ont annoncé à cette occasion la relance de la mobilisation anti-Aristide au sein de l'Université.
Le secteur Lavalas cherche à lancer une contre-offensive. Des membres d’organisations populaires de Cité Soleil ont manifesté, le 15 octobre dans les rues de la capitale pour apporter leur soutien au président Aristide. Le dirigeant de Jeunesse Pouvoir Populaire (JPP), René Civil, a lancé ce qu’il appelle l’opération « étau bouclier » qui, dit-il durera jusqu’en janvier 2004. Selon Radio Métropole, ses sympathisants auraient annoncé qu’ils feront un massacre lorsque l’opposition descendra dans la rue le 21 octobre.

>>> Rationnement sévère du courant électrique dans la capitale

Le 2 septembre, le ministre des Travaux publics, Harry Clinton, avait annoncé une amélioration de la distribution du courant électrique dans la région métropolitaine. En effet, l’État haïtien et la compagnie américaine Aservin venaient de conclure un contrat de deux ans pour la fourniture de 30 mégawatts supplémentaires. Le président Aristide était même allé inaugurer le nouveau matériel installé dans la centrale électrique de Varreux. Port-au-Prince a connu pendant quelques semaines une nette amélioration. Cependant, un mois plus tard, la ville connaît à nouveau un sévère rationnement.
Les habitants de Port-au-Prince se posent des questions sur le sort réservé aux fameux 30 mégawatts supplémentaires. A la fin du mois de septembre, le président de la compagnie Electricité d’Haïti (EdH), Lionel Jeune, avait indiqué que le personnel avait été tenu à l’écart de la signature du contrat avec la société Aservin. Il avait exprimé la crainte que ce contrat ne soit le premier pas vers la privatisation de l’EdH. Il avait également souligné qu’à la fin du contrat les problèmes de pénurie de courant électrique pourraient revenir si des mesures ne sont pas prises pour rendre l'EdH opérationnelle. Selon Lionel Jeune, l'EdH fait face à une crise financière aigüe. « Plus de 500 transformateurs sont en panne. L'EdH ne dispose pas de moyens pour les remplacer Les employés n'ont pas encore reçu le salaire de la deuxième quinzaine du mois d'août », a indiqué Lionel Jeune à l’agence Alterpresse.

>>> La Banque mondiale prête 23 millions de dollars à une société dominicaine pour l’extension d’une zone franche en Haïti

Il y a quelques mois, dans la plaine fertile de Maribahoux, plusieurs dizaines de paysans ont été expulsés des terres qu’ils cultivaient pour permettre l’installation d’une zone franche proche de la frontière dominicaine. Certains ont reçu une indemnitié, d’autres non. Des paysans qui ont essayé de récolter des fruits sur les arbres qu’ils avaient dû abandonner ont été chassés par des policiers armés. La société dominicaine Grupo M s’est installée sur 65 hectares ainsi libérés. En Haïti, elle emploierait pour le moment environ 300 ouvriers pour coudre des jeans Levi Strauss. Elle aurait l’intention d’ouvrir deux autres ateliers dans la même zone.
Le Grupo M a eu récemment des problèmes avec la Confédération internationale des syndicats libres. Cette confédération a démontré que dans ses usines dominicaines, le Grupo M violait régulièrement les droits des travailleurs. Des ouvriers qui voulaient s’organiser dans des syndicats ont été violemment agressés. Il semble qu’à la suite de ces révélations le Grupo M ait réduit ses activités antisyndicales. Cependant, le Haiti Support Group, basé à Londres, indique qu’en Haïti, 20 ouvriers du Grupo M ont déjà été licenciés pour activités syndicales. La Banque mondiale vient d’accorder un prêt 23 millions de dollars au Grupo M pour lui permettre d’étendre ses activités sur la frontière qui sépare Haïti de la République dominicaine. Néanmoins, sous la pression de la Confédération internationale des syndicats libres, la Banque mondiale aurait demandé au Grupo M de respecter le droit d’organisation des travailleurs de la zone franche.

>>> EN BREF

Les pécheurs d’Anses-à-Pitres, dans le Sud-Est d'Haïti, dénoncent les abus dont ils sont victimes de la part de la marine dominicaine, qui va jusqu’à s’emparer des moteurs de leurs bateaux. Ils se félicitent par contre de leur bonne entente avec les pêcheurs dominicains. Dans une conférence de presse, il a été demandé à l'État haïtien de promouvoir le commerce des produits de pêche en Haïti « pour améliorer la situation nutritionnelle de la population ». Il est également demandé que l’Etat prenne des mesures dans les domaines de l'assistance financière et technique et de la formation en vue de renforcer la productivité des pêcheurs.

Un colloque sur la « restitution » de la dette de l’indépendance s’est tenu au palais national. Le secrétaire d’État à la Communication, Mario Dupuy, s’en est pris aux intellectuels haïtiens qui critiquent la «démagogie» avec laquelle le pouvoir Lavalas aborde la question. Il les a traités d’« intellocrates, francophiles, acculturés ». Selon l’écrivain français Claude Ribbe, qui a pris part au colloque, ces intellectuels haïtiens risquent, dit-il, de « rater le train ». Cet écrivain est notamment l’auteur d’un ouvrage sur le père d’Alexandre Dumas. Son compatriote Pierre Bichot, qui est l’avocat du gouvernement Lavalas pour cette affaire, a insisté sur la nécessité d’aborder le dossier avec professionnalisme.

Le ministre des Haïtiens vivant à l’étranger, Lesly Voltaire, a annoncé que les festivités du Bicentenaire s’étendront tout au long de l’année 2004 tant en Haïti qu’à l’étranger. Il a précisé que le gouvernement prévoyait la tenue de manifestations à Port-au-Prince et aux Gonaïves , les 1er et 2 janvier. Il a affirmé que le chef de l’État se rendra aux Gonaïves pour célébrer cet évènement d’importance que, selon lui, « l’Occident veut gommer ». Il a annoncé la présence de 25 délégations étrangères en Haïti le 1er janvier.

Le 16 octobre, la Police Nationale d’Haïti, apparemment appuyée par les agents de la Drug Enforcement Administration américains, a arrêté le présumé trafiquant de drogue, Eliaubert Jasmé, dit ED1. Ce propriétaire d’une entreprise de construction, recherché par la justice américaine, a été conduit aux USA, 3 mois après l’arrestation d’un autre trafiquant, Jacques Ketant.

 

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