Une Semaine en Haïti – n°675– Lundi
10 novembre 2003
Nouvel assassinat d’un puissant chef d’organisation dite populaire
Interrogations sur les assassinats successifs de chefs de groupes Lavalas
Trouble au sein de Lavalas
L’opposition veut pouvoir s’exprimer librement
Les députés votent une loi réglementant les organisations
non gouvernementales
Un expert nommé par l’ONU témoigne de la dégradation
des droits de l’homme en Haïti
>>> Nouvel assassinat d’un puissant chef d’organisation dite populaire
La situation s’est calmée pendant quelques jours aux Gonaïves,
où le gouvernement affirme avoir mis en échec ceux qu’il
appelle des « terroristes ». Mais un peu plus d'un mois après
la fin tragique d'Amiot Métayer, c’est un chef tout-puissant
de Cité Soleil lié à Lavalas, Rodson Lemaire, alias
Colibri, qui a été tué par balles le 31 octobre.
Deux thèses s’affrontent. Selon Robenson Thomas, un autre chef
de bande Lavalas très influent à Cité Soleil et connu
sous le sobriquet de La Bannière, Colibri a été tué lors
d'une opération menée par la police. Deux policiers auraient été blessés
lors de cette intervention.
Par contre, selon Fritz Joseph, le maire de Cité Soleil, Colibri a été tué par
un groupe de gens en représailles contre un meurtre qu’il avait
commis. Selon lui, la disparition de Colibri est plutôt accueillie
avec soulagement par la population de Cité Soleil. C’est aussi
l’avis de Dread Wilmer, un chef de bande du quartier Bois Neuf, qui
a lancé des menaces contre Robenson Thomas.
Les 3 et 4 novembre, les partisans de Colibri sont descendus dans les rues
de Cité Soleil pour réclamer l'arrestation et le jugement du
maire de Cité Soleil, qu'ils rendent responsables du crime. Ils ont
réclamé le départ du pouvoir de Jean-Bertrand Aristide.
Des habitants du quartier Boston, le fief de Thomas Robenson font état
de plusieurs morts suite à l’intervention de la police le 5
novembre. Ils sont redescendus dans les rues le vendredi 7. Les violences
enregistrées à Cité Soleil auraient fait au moins cinq
morts durant cette semaine.
Selon l’Agence haïtienne de presse, des proches de Robenson Thomas
ont depuis déclaré qu’ils regrettaient certains de leurs
propos, et ont souhaité qu’une messe soit chantée pour
consacrer leur réconciliation avec leur rival Dread Wilmer. Ils auraient
fait cette déclaration au Palais national. Jean-Bertrand Aristide
a en effet reçu des habitants de différents quartiers de Cité Soleil,
dont des parents de Colibri, le Père Yves Volel et le maire de la
commune. Il a appelé la Justice et les responsables de la mairie à prendre
toutes les dispositions nécessaires pour ramener la paix dans la cité et
faire la lumière sur l'assassinat de Colibri.
>>> Interrogations sur les assassinats
successifs de chefs de groupes Lavalas
De sa cachette - car il craint d'être le prochain nom sur la liste
- Robenson Thomas a accusé le maire de Cité Soleil, le ministère
de l'Intérieur et le Palais national. « Eux seuls savent pourquoi
ils ont éliminé Colibri après tout le travail qu'il
a fait [pour eux] » a-t-il déclaré. Il a ajouté : « De
la manière dont se présente la situation, Aristide est prêt à sacrifier
ses propres filles pour célébrer 2004 ». Robenson Thomas
affirme que des documents compromettants pour le gouvernement seront rendus
publics si jamais il lui arrivait malheur. Il a déclaré que
lui et ses collègues ont mené des opérations pour
faire échouer des manifestations de l'opposition et des secteurs
sociaux. « Maintenant, ils demandent plus et comme nous refusons,
ils veulent nous tuer » a-t-il affirmé.
Selon un bilan dressé par Evans Paul, dirigeant de la Convergence
démocratique, du milieu des années 90 à aujourd'hui,
vingt-cinq puissants chefs de groupe lavalas ont été éliminés.
Dans une interview accordée à Radio Métropole, Monseigneur
Poulard, a rappelé que le meurtre de plusieurs chefs de bande Lavalas
avait été annoncé par un ex-employé de la mairie
de Cité Soleil, Johnny Occilius, actuellement en exil aux Etats-Unis.
Le prélat se souvient qu’il avait cité les noms de
Colibri et de Thomas Robenson.
Le Palais national, par la voix de Dismay César, a déclaré que
seule une enquête policière pourra déterminer l'origine
du crime. Le secrétaire d'État à la Communication,
Mario Dupuy dit « constater l'existence d'un plan pour éliminer » les
chefs de bande Lavalas. Il pointe du doigt des secteurs liés à l’opposition
qui, selon lui, veulent entretenir un climat de violence qui ne soit pas
propice à la tenue d’élections.
>>> Trouble au sein Lavalas
La mort de Colibri et les déclarations faites à cette occasion
ont jeté un certain trouble au sein de Lavalas. Contrairement à l'ordinaire,
René Civil et Paul Raymond, deux figures notoires des organisations
populaires Lavalas, gardent le silence Des députés cherchent à se
démarquer des dirigeants de groupes Lavalas qu’ils qualifient
de « mercenaires » et d’affairistes.
Le sénateur Prince Pierre Sonson estime que « le pouvoir a fait
de ces organisations une sorte de pivot politique ». « Mais,
après avoir servi, je constate avec amertume que tous les chefs d’organisations
populaires sont lâchement assassinés », a-t-il déclaré.
Ce sénateur voit une contradiction flagrante entre le discours du
président Aristide et ce qui se passe réellement dans le pays.
Il parle de naufrage social. « Nous nous sommes enlisés dans
une sorte de crise superficielle par rapport à la crise sociale profonde
qui date de plusieurs années », estime ce sénateur. Selon
lui, en dépit des sanctions économiques internationales, les
autorités disposaient de ressources internes suffisantes pour éviter
le pourrissement de la situation. Il dénonce l’infiltration
au sein du pouvoir d’opportunistes qui, d’après lui, ne
défendent que leurs intérêts individuels. « Ceux
qui ont la bonne foi de changer l’ordre des choses sont prisonniers
de cette clique », a-t-il ajouté.
>>> L’opposition veut pouvoir s’exprimer librement
Le 4 novembre, la police a effectué une perquisition au local du
CEPEM, un centre sportif administré par l’ancien colonel Himmler
Rébu, ainsi qu’à son domicile. Ces fouilles n'ont abouti à aucune
découverte. Selon Himmler Rébu, ces perquisitions sont motivées
par ses déclarations récentes sur la dérive totalitaire
du pouvoir. Mercredi 5, des membres d’organisations populaires pro-Lavalas
ont empêché des sympathisants de l’opposition de manifester
dans la région de Petit-Goâve. Vendredi 7, un rassemblement
en soutien à la presse s’est par contre tenu sans incident devant
le local de Caraïbes F.M.
Au Cap Haïtien, un responsable de l’Initiative citoyenne, Frandley
Denis Julien, a annoncé que le Front de l’Opposition dans le
Nord ne tiendra pas compte de la décision prise par le délégué Lavalas
dans cette région, Myrtho Julien, d’interdire toute manifestation à caractère
politique jusqu’au 19 novembre.
Le Groupe des 184 organisations et institutions de la société civile
a annoncé la tenue d’un rassemblement pacifique au Champ-de-Mars,
le vendredi 14 novembre. Ce regroupement entend dénoncer la situation
du pays et présenter une proposition de sortie de crise « équilibrée »,
a précisé Andy Apaid Junior. Ce responsable du Groupe des 184
s’attend à ce que le rassemblement soit perturbé par
les partisans du pouvoir. Néanmoins, il estime qu’il faut « s’imposer
par la détermination et le nombre pour délivrer un message
fort afin de changer la direction que prend le pays, prôner un nouveau
contrat social et prier pour Haïti ».
>>> Les députés votent une loi réglementant les organisations non gouvernementales
Selon l’Agence haïtienne de presse, la chambre des députés a voté un projet de loi fixant le statut des organisations non gouvernementales (ONG), et régissant leur implantation et leur fonctionnement. Selon ce document, les ONGs ont pour mission d'aider l'Etat dans l'amélioration des conditions de vie de la population. L'Etat se fera le devoir de fixer les normes et de contrôler la qualité de travail des ONGs à travers le pays, a indiqué Yves Cristalin, le président de la Chambre des députés. Selon lui, le texte a été élaboré en accord avec les représentants du secteur public, de la communauté des ONGs et des bailleurs de fonds.
>>> Un expert nommé par l’ONU témoigne de la dégradation des droits de l’homme en Haïti
Le gouvernement semble avoir été très contrarié par
les propos tenus par Louis Joinet, l’expert indépendant nommé par
l’ONU pour étudier la situation des droits de l’Homme
en Haïti. A l’issue d’une mission de treize jours en Haïti,
ce magistrat français a déclaré lors d’une conférence
de presse que « l'État d'impunité se substitue toujours
plus à l'État de Droit ». Il a lancé une mise
en garde à l'endroit des commanditaires des violations des droits
de l’Homme en leur rappelant qu’il existe désormais une
justice internationale. « Qu'ils se méfient avant qu'il ne soit
trop tard, de cette épée de Damoclès! » a-t-il
lancé en conclusion.
La situation est "très grave" au sein de la police nationale
d’Haïti, estime Louis Joinet. Il a dénoncé l’existence
des "brigades spéciales" de la police qui agissent comme
une "police parallèle" et a réclamé leur suppression.
Il a souligné la réapparition des « attachés »,
ces individus, qui seraient chargés d'exécuter « les
basses oeuvres ». Il a aussi posé le problème de la situation
des prisonniers en attente de jugement et du non-respect, par les plus hautes
autorités de l'État, de l'indépendance des magistrats.
Il a ajouté qu’au cours de cette mission, il s’est également
intéressé aux droits économiques et sociaux. Dans ce
cadre, il s’est fait l’écho de l’action contre le
sida menée par diverses ONG et par le comité présidé par
Mildred Aristide, l’épouse du chef de l’Etat.
Un bulletin du Collectif Haïti de France
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