Une Semaine en Haïti – n°678– Lundi 01 décembre 2003

Nouvelles menaces contre des journalistes
Plusieurs manifestations sont dispersées ou se terminent violemment
Des militants du Groupe des 184 occupent les locaux de l’OEA
Deux sénateurs Lavalas dénoncent le régime du président Aristide
Des associations de femmes interpellent l’Office de protection du citoyen

>>> Nouvelles menaces contre des journalistes

Le 24 novembre, des habitants de Port-au-Prince ont fait une découverte qui les a glacés d’horreur. Ils ont trouvé la tête d’un jeune homme près d’un tas d’ordures. Elle était, dit-on, entourée de tracts menaçant de mort des journalistes, des hommes politiques de l’opposition et des membres de la société civile. Selon le directeur de la police judiciaire, la tête appartenait à un bandit qui été lynché, et la présence de tracts à ses côtés était une simple coïncidence. Il a ajouté que, contrairement à ce qu’affirment certains organes de presse, aucun acte du même type n’a été commis récemment dans la capitale,
Les journalistes sont également l’objet d’autres formes de menace. Au Cap Haïtien, Jean-Robert Lalanne, le directeur de Radio Maxima, et opposant notoire, a été blessé chez lui dans des circonstances qui font l’objet d’une polémique. A Petit-Goâve des membres de Lavalas ont contraint les responsables de Radio EKo 2000 à mettre un terme à leurs émissions de nouvelles. Ils les auraient menacés et auraient tiré des coups de feu contre les locaux de la station.
Des journalistes de Radio Timoun et Télé Timoun auraient gagné le maquis, a rapporté une station de la capitale. Ces journalistes feraient l’objet de menaces de mort de la part de certains membres d’organisations lavalas. Pourtant, les media qui les emploient sont logés dans les locaux de la Fondation Aristide pour la démocratie. L’Association des journalistes haïtiens a confirmé que quatre journalistes de Télé Timoun se sont réfugiés dans une ambassade étrangère. Cette affaire pourrait refléter la crise qui secoue le mouvement Lavalas. Le 28 novembre, le coordonnateur de Fanmi Lavalas Jonas Petit a lancé un avertissement à des ambassades étrangères qui, selon lui, exercent des pressions sur des cadres de son parti pour les inciter à s’exiler et à dénigrer leur gouvernement.

>>> Plusieurs manifestations sont dispersées ou se terminent violemment

Le 24 novembre, à Petit Goâve, des partisans du pouvoir ont dispersé violemment une nouvelle manifestation d’élèves qui réclamaient le départ de Jean-Bertrand Aristide. Ils auraient tiré de nombreux coups de feu depuis un véhicule. Trois personnes ont été atteintes par des balles, dont une fillette de deux ans, Douny Michaëlle Chéry, blessée très grièvement à la tête. Ses parents ont lancé un S.O.S. pour permettre son transfert vers un hôpital spécialisé à l’étranger.
Le 28 novembre, une messe a été célébrée aux Gonaïves à l’occasion de l'anniversaire de l’assassinat de plusieurs élèves lors des mobilisations antiduvaliéristes de 1985. Une manifestation s’est tenue à l’issue de la messe, avec la participation d’élèves. Elle s’est terminée par la mort d’un peintre en bâtiment, atteint d’une balle à la tête alors qu’il travaillait. Des tirs d'armes automatiques ont été entendus un peu partout dans la ville.
Le 28 novembre également, des étudiants opposés au gouvernement ont pu parcourir quelques rues de Port-au-Prince avant d’être attaqués par des partisans de Lavalas. Plusieurs manifestants ont été blessés. A Jacmel, la police a empêché la tenue d’une manifestation d’élèves en tirant des grenades lacrymogènes.

>>> Des militants du Groupe des 184 occupent les locaux de l’OEA

Le 24 novembre, le chef de la Mission spéciale de l’OEA, David Lee, a indiqué avoir fait part au gouvernement de son mécontentement. Il dit avoir été très déçu par la façon dont la police s’est comportée le 14 novembre pour empêcher la tenue au Champ de Mars du rassemblement du Groupe des 184.
Ce jour là, la police a notamment arrêté deux dirigeants du Groupe des 184, David Apaid et Charles Baker, vice-président de l'Association des Industries d'Haïti (ADIH). Le 25 novembre, neuf membres du Groupe des 184 ont entrepris l’occupation du bureau de la Mission de l’OEA, situé dans les hauteurs de Port-au-Prince. Ils exigent une intervention de l'OEA en faveur de leur libération. Le 27 novembre, la mission de l’OEA a demandé instamment au Groupe des 184 de « retirer immédiatement » ses représentants de ses locaux diplomatiques. La mission précise avoir mis le gouvernement haïtien et « les pays amis d'Haïti » au courant de cet « incident ». Le Groupe des 184 a rejeté cette injonction.
Selon la Justice, Charles Baker et David Apaid ont été arrêtés pour "détention illégale d'armes". Les avocats des prisonniers soutiennent que leurs clients sont maintenus en prison pour « motif politique », car ils étaient munis d’un permis de port d'armes. Des représentants de la Convergence démocratique n’ont pas pu voir les deux détenus malgré une autorisation de visite signée par le Parquet.

>>> Deux sénateurs Lavalas dénoncent le régime du président Aristide

Le sénateur Dany Toussaint est sorti d'un long silence à l'occasion de la présentation d'un ouvrage de son collègue Pierre Sonson Prince, intitulé « L'État de choc ». Dans ce livre, l'auteur, qui appartient comme Dany Toussaint au parti Fanmi Lavalas, critique la dérive du régime. « S’ils me tuent, tout le monde saura que c’est Lavalas : ma seule protection, c’est la presse», a affirmé Pierre Sonson Prince.
Dany Toussaint a été souvent présenté comme un homme dangereux, impliqué dans le trafic de drogue, et prêt à employer n’importe quelles méthodes pour parvenir à ses fins. Aujourd’hui, c’est lui qui se fait accusateur. Dans une interview accordée à Radio Kiskeya, il affirme que ce à quoi nous assistons aujourd’hui constitue « la négation absolue de la démocratie ». Il dénonce le règne de « la force brute » avec « des crimes odieux et révoltants », tel celui perpétré sur la personne d’Amiot Métayer aux Gonaïves. Il déplore que le Groupe des 184 n'ait pas pu présenter son projet de contrat social le 14 novembre au Champ de Mars. Car, selon lui, cela aurait pu « favoriser l'ouverture d'un débat qui profiterait sans nul doute à la démocratie ».
Selon Dany Toussaint, l’option prise aujourd’hui par le pouvoir n’a pas grand chose à voir avec le programme de Fanmi Lavalas, auquel il croit encore. Il dénonce la manipulation des masses, notamment des organisations populaires, dont les membres sont utilisés pour des actes répréhensibles. Il estime que les membres de ces organisations, qui sont ébranlés par le fait que plusieurs de leurs chefs aient été tués, se trouvent à « un point de non-retour ». En effet, dit-il, « ils n’ont d'autre choix que de défendre Lavalas vu que l'opposition ne leur offre aucune garantie ».
Il clame haut et fort n'être pas disposé à s'engager dans la voie proposée par le président Aristide qui ne conduit, dit-il, « qu'à la mort, à la prison ou, au mieux, à l'exil ». Aux policiers, il rappelle qu’il est possible de désobéir à ses supérieurs, comme lui-même l’a fait quand il était militaire.

>>> Des associations de femmes interpellent l’Office de protection du citoyen

A l’occasion du 25 novembre, journée internationale contre les violences envers les femmes, la Coordination nationale de plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP) a interpellé l’Office de protection du Citoyen. Cet office est en principe chargé de lutter contre les abus de l’Etat. Dans une lette ouverte, la CONAP dénonce les violences politiques et les violences particulières exercées sur les femmes. Elle explique que « les brigandages du pouvoir Lavalas ont créé un climat où les femmes sont de plus en plus menacées ». Ainsi, écrit-elle, « la police et les gangs de « chimères » s’associent pour organiser des viols collectifs de femmes ; la violence politique et l’impunité permettent à des hommes de se sentir davantage autorisés à violenter les femmes, en les bastonnant, en les violant et en les harcelant et ce, sans être le moindrement inquiétés ». « Les conjoints violentent leurs compagnes, sans que cela leur pose problème. », ajoute la CONAP.
La coordinationdemande notamment à l’Office de protection du Citoyen d’établir clairement les responsabilités des instances gouvernementales et étatiques dans la répression actuelle, et de faire diligence « pour faire appréhender et juger les auteurs et commanditaires des actes de répression, en particulier M. Jean-Bertrand Aristide, le chef suprême des gangs de chimères ».
La CONAP estime que si l’Office de protection du citoyen respecte sa mission, il ne peut que décréter hors-la-loi le gouvernement Lavalas. La lettre ouverte est signée par des dirigeantes des associations Enfofanm, Fanm Yo La, Kay Fanm et Sofa.

>>> EN BREF

Le gouvernement haïtien demande aux agents américains travaillant à l’aéroport Toussaint Louverture de suspendre leurs activités. Ils sont chargés de contôler les passagers en partance pour les Etats-Unis. Cette décision intervient trois jours après l’annulation du visa américain du ministre de l’Intérieur, Jocelerme Privert.

La Coalition nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR) a adressé une lettre ouverte à Jocelyne Pierre, directrice générale de la police nationale. La coalition dénonce l’accumulation d’irrégularités qui se sont produites depuis qu’elle a remplacé Jean-Robert Faveur à la tête de la police. C’est ainsi que Jeanty Edner, simple agent de police, a été nommé, au début du mois de novembre, Inspecteur général de la Police nationale, franchissant ainsi huit grades en une journée.

 

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