Une Semaine en Haïti – n°680– Lundi
15 décembre 2003
Réactions indignées après l’attaque de la Faculté des
Sciences humaines
Des dizaines de milliers de manifestants réclament le départ
de Jean-Bertrand Aristide
Atmosphère de fin de règne au sein du parti au pouvoir
Les partisans du régime veulent conserver coûte que coûte
le contrôle de la rue
>>> Réactions indignées après l’attaque
de la Faculté des Sciences humaines
Selon le dernier bilan, ce sont trente personnes qui ont été blessées
par des partisans de Lavalas le 5 décembre, lors de l’attaque
de la Faculté des Sciences humaines. Plusieurs témoignages
sont venus illustrer l’horreur de ce qu’on a commencé à appeler
le « vendredi noir ». Le gouvernement a annoncé l’ouverture
d’une enquête.
Un film montre une bastonnade féroce et prolongée de deux étudiants.
L’un d’entre eux manque d’être précipité dans
le vide lorsque ses bourreaux s’aperçoivent qu’ils sont
filmés. Les locaux dévastés de la Faculté des
Sciences humaines et de l'Institut national d'administration, de gestion
et des hautes études internationales (INAGHEI) témoignent de
la brutalité des agresseurs : vitres brisées, impacts de balles
sur les murs, taches de sang sur le sol. Pour la PAPDA (Plate-forme haïtienne
de plaidoyer pour un développement alternatif), il s’est agi
d’un « massacre planifié ». Elle fait remarquer
que jamais dans l’histoire d’Haïti, de tels faits ne se
sont déroulés dans des lieux de transmission du savoir. Le
professeur Christian Rousseau estime que Jean-Bertrand Aristide veut affaiblir
l’Université d’Etat au profit de l’université privée,
soit disant populaire, qu’il vient de créer à Tabarre,
avec le soutien de Taiwan et de Cuba.
Les responsables de la Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL) et
de la bibliothèque Monique Calixte ont témoigné de la
complicité de la police avec les agresseurs. Depuis les locaux de
la bibliothèque, où ils ont dû rester enfermés
pendant six heures, les membres du personnel ont pu suivre tout le déroulement
des événements. La bibliothèque est voisine de la faculté des
Sciences humaines. Ils disent que « des groupes de milices lavalassiennes,
communément appelées chimères » se sont regroupés
sous leurs yeux, « visiblement déterminés à attaquer
la manifestation d’étudiants prévue pour ce jour-là. ».
Ils détaillent les armes dont ils disposaient. Ils décrivent « leurs
chefs, hommes et femmes, équipés de walkies-talkies et de téléphones
portables » qui organisaient et donnaient des consignes aux commandos.
Ils affirment qu’à plusieurs reprises la police leur a ouvert
la voie et a couvert leurs arrières.
Des membres du service culturel de l’Ambassade de France se trouvaient
ce jour là en visite à la bibliothèque Monique Calixte
et ont pu observer les événements de près. Dans un communiqué,
l’ambassade de France souligne que la police « a montré tout
au long des incidents une intimité surprenante avec les voyous, certains
munis d’armes à feu, venus attaquer les locaux universitaires ».
L’ambassade des Etats-Unis et la mission de l’OEA ont fait part
de leurs réactions quelques jours plus tard. Au Canada, d’anciens étudiants
de la faculté des Sciences humaines de Port-au-Prince se mobilisent.
Des Haïtiens réfugiés en France prennent des premières
initiatives de solidarité (rassemblement devant l’ambassade
d’Haïti le 17 décembre, pétition à l’intention
des universitaires).
>>> Des dizaines de milliers de manifestants réclament le
départ de Jean-Bertrand Aristide
Le jeudi 11 décembre à Port-au-Prince, plusieurs blessés
ont été enregistrés, dont un par balle, lors d'une manifestation
anti-gouvernementale de plusieurs dizaines de milliers de personnes. La manifestation,
conduite par des étudiants, réclamait le départ du président
Aristide et dénonçait les violences. Débutée
vers 9 heures, la marche ne s’est achevée que vers 16 heures.
Dispersés par la police une première fois, tout près
du palais national, les manifestants se sont rapidement regroupés
et ont parcouru plusieurs rues avant de devoir se séparer à nouveau.
Des partisans du pouvoir appuyaient la police et lançaient des pierres
contre le cortège. Mais ils ont dû reculer à plusieurs
reprises, face à l'ampleur de la manifestation et à la détermination
des étudiants.
La mobilisation anti-Aristide a gagné également en intensité en
province, particulièrement aux Gonaïves, à Jacmel et à Petit
Goâve. Le sang a encore coulé les 10 et 11 décembre aux
Gonaïves. Le 10 décembre, un élève, Charles Daniel,
a été atteint par balles lors d'une manifestation anti-gouvernementale
de plusieurs milliers de personnes. Il est mort le lendemain. Le 11 décembre,
au moins cinq personnes auraient été tuées et une douzaine
d'autres blessées par balles lors d'une violente opération
de la police dans le quartier populaire de Raboteau. Elle était à la
recherche des chefs du Front de résistance anti-Aristide.
Après la manifestation du 11 décembre, les menaces contre la
presse indépendante se sont précisées. Des groupes d'individus
ont tenté d'attaquer pour la énième fois le local de
Radio Caraïbes. Des rumeurs persistantes font état de plans d'attaques
imminents, conçus en haut lieu, contre divers media. En raison des
menaces reçues, plusieurs stations de radio ont suspendu leurs émissions
d'information le 11 décembre en fin de journée. Des appels à la
solidarité ont été lancés. Déjà,
quelques jours auparavant, des hommes en armes avaient tenté d’intimider
la journaliste Nancy Roc en stationnant pendant une journée et demie
devant sa résidence.
>>> Atmosphère de fin de règne au sein du parti au pouvoir
Le 10 décembre, Jean-Bertrand Aristide tenait une conférence
de presse pour condamner les violences et affirmer que ses opposants n’étaient
qu’une poignée à l’université tout comme
aux Gonaïves. Il a déclaré à nouveau qu’il
irait jusqu’au bout de son mandat. Cependant, son pouvoir se trouve
très affaibli et ses partisans se divisent. Des rumeurs invérifiables
circulent sur son prochain départ en exil et sur un ultimatum lancé par
les Etats-Unis.
Les sénateurs Prince Sonson Pierre et Dany Toussaint étaient
présents dans la manifestation du 11 décembre. Dany Toussaint
a dénoncé l’instauration d’un « fascisme
créole » et a annoncé qu’il quittait Fanmi Lavalas.
Il a donné la garantie qu’en cas de départ de Jean-Bertrand
Aristide, il pourrait rétablir le calme en 48 heures.
La ministre de l’Education nationale a présenté sa démission.
Horrifiée, dit-elle, par les événements du 5 décembre.
Parce qu’elle allait être évincée pour corruption,
répond son ancien collègue Mario Dupuy. L’influent sénateur
Lavalas, Gérald Gilles, a révélé sur radio Vision
2000 « qu’il y a un certain essoufflement au niveau de certains
ministres ». En larmes, il a réaffirmé son « attachement
viscéral, idéologique et sentimental » envers le président
de la République. « Ceux qui veulent abandonner le navire ,
qu’ils partent » s’est-il exclamé.
D’autres parlementaires se montrent moins sentimentaux. Le député Nahoum
Marcellus a appelé à la lutte armée contre ceux qui
veulent le départ du chef de l'Etat. « Jean-Bertrand Aristide
ne fera pas un pas, sortez vos armes… » aurait-t-il déclaré sur
les ondes de sa station de radio, Radio Africa, qui émet dans le Nord
d'Haïti.
>>> Les partisans du régime veulent conserver coûte que coûte le contrôle de la rue
Vendredi 12 décembre, des civils armés circulant à bord
de véhicules d'entreprises publiques sillonnaient tôt dans la
matinée certaines rues de la capitale. Ils y déposaient de
vieux pneus qu’ils enflammaient. Des groupes de partisans du régime,
dont des enfants de 12 ou 13 ans, stationnaient en divers points. Certains
d’entre eux se seraient emparés d’un dépôt
d’armes, ont annoncé plusieurs radios, bientôt démenties
par la police. Sur la route de l’Aéroport international, des
individus armés rançonnaient les rares automobilistes qui circulaient.
Pour la troisième fois en une semaine, des coups de feu ont été tirés
contre les dortoirs de la Faculté d’Agronomie.
Un millier de partisans du pouvoir, munis d'armes à feu, de bâtons
et de machettes ont pris position près du palais national Pendant
ce temps, plusieurs milliers de personnes manifestaient contre le régime
entre Port-au-Prince et Pétionville avec, à leur tête,
André Apaid Junior, du Groupe des 184, et le musicien, Théodore
Beaubrun « Lòlò », de Boukman Eksperyans. Samedi
13 décembre, des partisans du chef de l’Etat auraient tiré directement
sur un cortège de quelques centaines de personnes, la police se contentant
de tirer en l’air.
>>> EN BREF
Conduite par l’écrivain Régis Debray, une mission de réflexion sur les relations franco-haïtiennes est arrivée le 11 décembre à Port-au-Prince. En revanche, une délégation de huit parlementaires américains a préférer annuler son voyage. Elle devait s’entretenir avec le président Aristide, des représentants de l’opposition et de la société civile. L’ambassade des Etats-Unis a fermé ses portes vendredi et demandé à son personnel et aux citoyens américains de rester chez eux.
Deux étudiants, Gérard Mathieu et Marie Michel Obas, arrêtés sous l'accusation d'avoir frappé le Premier ministre à l’hôpital du Canapé vert le 5 décembre, ont été libérés quelques jours plus tard. Yvon Neptune dément avoir été frappé.
Le Premier ministre a effectué une visite surprise aux Gonaïves le 6 décembre. Le chef du gouvernement voulait faire un état des lieux avant la célébration du bicentenaire le 1er janvier. Il était, dit-on, accompagné de quelques Sud-Africains qui préparent la venue du président Thabo Mbeki. Mais cette visite fut mouvementée. Le Front de Résistance anti-Aristide affirme avoir mis le feu à deux véhicules du cortège officiel après y avoir confisqué des armes et une mallette remplie d'argent.
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