Une Semaine en Haïti – n°681– Lundi 22 décembre 2003

RLe régime est de plus en plus contesté
Les lycéens et les étudiants restent très mobilisés
De nouvelles formes de répression sont employées
Le président Aristide affirme vouloir trouver un compromis
Le parti au pouvoir a tenu son second congrès
Des viols attribués à des partisans de Lavalas

>>> Le régime est de plus en plus contesté

Des voix s’élèvent au sein de nombreux secteurs de la société et dans la diaspora, pour condamner la violence du pouvoir et exiger son départ. Même à Cuba, trente étudiants haïtiens ont signé un texte dans lequel ils condamnent une « montée fasciste dans le pays ». Une plate-forme d'organisations du mouvement social a appelé les secteurs de la solidarité internationale à exercer des pressions pour venir à bout du régime. Des manifestations anti-Aristide ont été enregistrées aux États-Unis et en France, où un Front pour la démocratie en Haïti s’est constitué.
Des organisations sociopolitiques, regroupées autour du Comité de résistance de la Grande Anse, appellent à la mise en avant des revendications populaires dans la mobilisation pour mettre fin au régime actuel. De même, dix-huit organisations de la société civile soulignent la nécessité de rester mobilisés après le départ de Jean-Bertrand Aristide afin de « promouvoir d’autres pratiques politiques dans le pays » et « une société où règne la justice sociale».
Plusieurs membres du gouvernement ont démissionné. Le dernier cas en date est celui du Ministre de l'Environnement, Webster Pierre, qui estime que le poste de Président de la République doit être supprimé de la constitution. Auparavant, la Ministre du Tourisme, Martine Deverson, celle de l'Education, Marie-Carmel Austin, le directeur général du ministère de la Santé, Emile Herard Charles, et l'ambassadeur en République Dominicaine, Guy Alexandre, avaient déjà renoncé à leurs fonctions. Le Conseil de l’Université d’État d’Haïti a lancé un appel aux enseignants qui occupent des postes importants au sein du régime à suivre leur exemple. Le vice-président du Conseil électoral dissout il y a un an, Volvick Rémy Joseph a également démissionné.

>>> Les lycéens et les étudiants restent très mobilisés

Le 13 décembre, le Premier ministre Yvon Neptune a signé un communiqué du Conseil Supérieur de la Police Nationale. Il rappelle en substance qu’un décret pris par le général Namphy en 1987 est toujours en vigueur. Selon ce décret, tout attroupement d’individus dépassant vingt personnes doit être déclaré 48 heures à l’avance à la police, faute de quoi il sera interdit. Le responsable de la manifestation ou du rassemblement est pénalement responsable des propos qui y sont tenus et du contenu des écrits qui y sont distribués. Il risque un an de prison et une forte amende. L’opposition dénonce dans cette mesure un Etat de siège déguisé. Une grève générale de protestation lancée à Port-au-Prince n’a cependant été suivie que de manière limitée.
Le mouvement de protestation s’étend néanmoins à travers le pays. Les manifestations sont constituées en grande partie de lycéens et d’étudiants, qui font preuve d’une grande détermination. La semaine dernière, à Jacmel, la police a protégé les manifestants. Mais en général, les policiers, souvent épaulés par des partisans du régime les ont dispersés très brutalement. A nouveau on doit déplorer des morts et des blessés. A Trou du Nord, un lycéen a été tué par balle lors de la dispersion d'une manifestation. En réaction, le feu a été mis à plusieurs bureaux publics.

>>> De nouvelles formes de répression sont employées

La ville des Gonaïves vit une situation particulièrement difficile. Trois organisations de défense des droits humains dénoncent une vague d'arrestations et d'enlèvements. Le 13 décembre, des policiers accompagnés de civils armés seraient brutalement intervenus dans le quartier populaire de Raboteau, tuant plusieurs personnes et blessant de nombreuses autres. Des cadavres auraient été « mis dans des sacs et emportés ». Il y a une semaine, durant la nuit, des groupes motorisés auraient sillonné les rues de la ville de l’Indépendance et systématiquement arrosé de balles les maisons à hauteur des fenêtres et balcons.
De nouvelles formes de répression sont expérimentées. A Port-au-Prince, au moins trois étudiants qui avaient été arrêtés se seraient vus administrer un produit suspect au moyen de piqûres intraveineuses. Un médecin, qui a soigné l'un des étudiants, a confirmé disposer de preuves matérielles, y compris des photos, sur cette nouvelle méthode mise en œuvre par le régime.
Un document se présentant comme le compte-rendu d’une réunion tenue au palais national circule dans les milieux politiques. Son authenticité n’est pas avérée. Cependant, une série d’actions qu’il recommande ont été effectivement mises en œuvre, de l’enlèvement de plusieurs étudiants à l’attaque de pompes à essence.
Le 14 décembre, la voiture où se trouvait le sénateur dissident Prince Pierre Sonson a essuyé des tirs d'armes provenant d'un véhicule de l'Etat. Le sénateur dit y avoir identifié le député James Desrosins.
Un chanteur de Boukman Eksperyans, Théodore Beaubrun Junior, qui a pris la tête de plusieurs manifestations, a été l'objet d'actes d'intimidation perpétrés par des civils armés. Il estime que « cet Etat instauré depuis 1804 qui a produit tant de dictateurs arrive à sa fin ».
Les députés Nahoun Marcellus et Wilnet Content ont demandé aux sympathisants Lavalas de préparer leurs armes. Ces propos ont été condamnés par un porte-parole du gouvernement. Les journalistes restent des cibles de choix et certains sont menacés d’être décapités. Au Cap Haïtien, des policiers ont fait irruption au local de Radio Maxima et ont cassé une partie du matériel. La police, qui dit y avoir trouvé des armes, est à la recherche de son directeur, Jean-Robert Lalanne.

>>> Le président Aristide affirme vouloir trouver un compromis

Le 18 décembre, le Président Aristide a invité les secteurs politiques d'opposition, les secteurs civiques, le secteur privé et son propre parti à se mettre d'accord sur un compromis. Il s’est référé à une proposition de l'Église catholique faite au mois de novembre. Elle suggérait des réformes au sein du gouvernement et de la police et la création d'une « commission de sages » de neuf membres pour assister le Président, à partir de la fin du mandat du parlement en janvier prochain.
Mais, selon Mgr Guire Poulard, cette proposition des évêques a été rendue caduque par la violence aveugle qui s’est abattue sur les étudiants le 5 décembre. Pour Micha Gaillard, porte-parole de la Convergence Démocratique, le Président, qui ne respecte jamais ses promesses, est pris de panique. Il appelle la communauté internationale à ne pas se faire « complice » de cette manœuvre de la dernière chance.

>>> Le parti au pouvoir a tenu son second congrès

Selon l’Agence Haïtienne de Presse, le coordonnateur national de Fanmi Lavalas Jonas Petit, s'est déclaré satisfait du déroulement du 2ième congrès national du parti. Selon lui, ce congrès a permis aux cadres de Fanmi Lavalas de se rendre compte qu'ils sont sur la bonne voie dans la perspective de l'établissement d'un Etat de droit. Une délégation d’Afrique du sud y a assisté. Dans son allocution, Jean-Bertrand Aristide a déclaré : « Je vous donne l’ordre aujourd’hui de vous mobiliser sans relâche. ». Le congrès s’est achevé, selon l’Agence Haïtienne de Presse par une manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes en soutien au chef de l’Etat.

>>> Des viols sont attribués à des partisans de Lavalas

Dans la région de Petit-Goâve, des membres d’organisations Lavalas ont violé hommes et femmes de plusieurs familles, rapportent des correspondants de presse. A Port-au-Prince, une patiente a été violée dans la cour de la maternité publique Isaïe Jeanty. Ses deux agresseurs étaient munis d’armes à feu.
Les personnels médical et infirmier de l’hôpital de
l’Université d’Etat d’Haïti ont observé une grève de 48 heures pour dénoncer ce viol et un autre événement qui s’était déroulé juste avant : l’intrusion dans leur établissement d’hommes armés se présentant comme des partisans du chef de l’Etat. Selon le quotidien Le Nouvelliste, ils ont dérobé une ambulance et une arme du service de sécurité.

>>> EN BREF

Le parti Fanmi Lavalas a déclaré déplorer les brutalités exercées par des étudiants et des partisans du groupe des 184 contre une équipe de journalistes de Radio Solidarité lors d'une manifestation tenue à Port-au-Prince. Radio Solidarité est une radio pro-gouvernementale.
Le maire adjoint de Savonnette (Plateau-Central) Amorgue Cléma a été tué par balles. L'ancien sénateur du Plateau-Central Simon Dieuseul Desrats voit dans ce meurtre un acte politique. Il l’attribue cet assassinat à un secteur de l'opposition qui s'engage a-t-il dit, dans une lutte armée contre les autorités constitutionnelles. Il a qualifié de traître les deux sénateurs dissidents Dany Toussaint et Prince Pierre Sonson.


L'ambassade de Mexique a fait appel à la police pour faire évacuer un groupe de 5 personnes qui s'était introduit dans ses bureaux soius le prétexte de solliciter des visas de touriste. Ils auraient alors enfilé des maillots du Groupe des 184 et demandé l'asile en menaçant de ne pas quitter les lieux. L’ambassade affirme ne pas avoir réussi à les convaincre de passer par la voie régulière pour procéder à une demande d'asile.
Le ministère français des Affaires étrangères a annoncé un financement pour l’ouverture d’un bureau du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme (HCDH) à Port-au-Prince. Il milite activement auprès de ses principaux partenaires pour renforcer les moyens de ce projet. Pour sa part, le Parti socialiste réclame la démission de Jean-Bertrand Aristide.

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