Une Semaine en Haïti – n°682– Lundi 29 décembre 2003
Au vu de la grave situation que vit Haïti depuis quelques jours, le Collectif Haïti de France a décidé de diffuser son bulletin hebdomadaire « Une Semaine en Haïti » très largement (nous rappelons que ce bulletin est habituellement envoyé aux seuls abonnés, pour information sur les abonnements : 01 43 48 31 78).
Gonaïves : l’heure de tous les dangers
Très grandes manifestations à Port-au-Prince
Manifester reste difficile aux Cayes et au Cap Haïtien
Protestations contre la présence de soldats sud-africains
Le programme des festivités officielles reste inconnu
Un juge se réfugie aux Etats-Unis pour échapper à des
pressions de la présidence
Un inspecteur démissionne et dénonce la situation au sein de
la police
>>> Gonaïves : l’heure de tous les dangers
Ces jours ci, il est particulièrement difficile de faire la part entre
les rumeurs non fondées, les exagérations et les informations
reflétant la réalité. Et ce d’autant plus que
l’Agence haïtienne de presse (pro gouvernementale) donne des chiffre
et des interprétations qui vont totalement à l’encontre
de ce que dit le reste de la presse. Une chose est sûre en tout cas
: le pouvoir est impatient de reprendre le contrôle total des Gonaïves à quelques
jours des cérémonies du bicentenaire de l’indépendance,
qui doivent s’y dérouler le 1er janvier.
Le quartier de Raboteau est le bastion du Front de résistance pour
la démission du président Jean-Bertrand Aristide. Ses dirigeants
ont réaffirmé leur intention de s’opposer à la
venue du chef de l’Etat qu’ils accusent d’avoir tué Amiot
Métayer. Ils ont demandé aux délégations étrangères
de ne pas l’accompagner dans la ville de l’Indépendance.
Certains d’entre eux auraient menacé de se suicider.
Samedi 27, la police a tenté d’isoler le quartier de Raboteau
du reste de la ville en l’encerclant à l'aide de containers,
a constaté un journaliste local interrogé par AlterPresse.
Des correspondants locaux ont rapporté que la police a utilisé des
dispositifs terrestres, maritimes et aériens. De fortes détonations
d'armes à feu auraient été entendues. L'opération
policière à Raboteau s'est déroulée dans une
atmosphère de panique dans la ville entière. Le calme serait
revenu le samedi soir. La nuit précédente, un message alarmant
circulait sur internet. Il disait : « Des hommes en cagoule tirent à volonté sur
la population massacrant hommes, femmes et enfants. Un bateau dans la rade
tire aussi sur la ville et un hélicoptère est en train de tirer
sur tout ce qui bouge dans la ville ».
Des rumeurs persistantes ont également circulé aux Gonaives à propos
d'un massacre qui aurait été perpétré à Morne
Blanc, au nord de la ville. On a parlé aussi de nombreux morts par
balles dans la nuit du 24 au 25 décembre. Le lundi précédent,
la police avait tué et blessé plusieurs personnes. On a d’abord
par lé de huit morts. Mais, depuis, ce chiffre a été heureusement
révisé à la baisse.
>>> Très grandes manifestations à Port-au-Prince
La semaine dernière, pour la première fois depuis longtemps,
des manifestations de l’opposition se sont déroulées
jusqu’à leur terme sous la protection de la police. L’ambassadeur
des Etats-Unis avait exigé de Jean-Bertrand Aristide qu’il en
soit ainsi. Et il semble que cette intervention ait suffi. Des membres de
la mission de l’OEA ont par ailleurs participé à l’observation
des manifestations.
Deux grandes manifestations se sont déroulées le lundi 22 et
le vendredi 26. Alterpresse parle d’une marée humaine, comparable
aux foules gigantesques et euphoriques de l'après Duvalier. Elles étaient
organisées par la Plate-forme démocratique. Pour l’essentiel,
elle a trois composantes : la Convergence démocratique, formée
de partis politiques, les organisations féministes regroupées
dans la CONAP et le Groupe des 184, qui réunit des associations très
diverses et dont le chef de file est l’entrepreneur André Apaid
Junior. Certains responsables ont expliqué qu’il n’y avait
pas meilleure façon de célébrer les luttes ayant mené à l’indépendance
qu’en luttant aujourd’hui contre la tyrannie.
Le 26 décembre, les manifestants ont défilé de Pétion-Ville à la
place Jérémie en passant par le centre-ville sans le moindre
incident. Il n’en fut pas de même le lundi 22. Deux personnes
ont été tuées et six autres ont été blessées
par balle. Selon la plupart des journalistes, des militants Lavalas ont tiré sur
la foule, provoquant la riposte de la police. Selon l’Agence haïtienne
de presse, au contraire, ce sont des membres du service d’ordre de
la manifestation qui ont tiré sur des militants Lavalas. La police
reproche aux organisateurs de la manifestation d’avoir tenté de
modifier le parcours convenu. Les chefs de groupes lavalas René Civil
et Paul Raymond ont démenti leur présence à bord du
véhicule qui aurait tiré sur la foule.
Le 23 décembre, de nombreux artistes ont pris part à une manifestation
culturelle baptisée « Ayibobo ». Des milliers de personnes
se sont rendus à la Faculté des sciences humaines pour participer à cette
initiative organisée par le Collectif Non. Le 24 décembre,
des milliers de personnes ont manifesté sans incident à l'appel
de médecins et d’hommes de loi, pour exiger le départ
du président. « 2004 oui ! Aristide non ! », scandaient
les manifestants, au nombre desquels de nombeux médecins, avocats,
hommes et femmes politiques, féministes, étudiants et militants
de divers mouvements.
Parallèlement, plusieurs manifestations pro gouvernementales se sont
tenues dans la capitale. Les journalistes de Agence haïtienne de presse
ont vu à chaque fois des dizaines de milliers de personnes, alors
que leurs confrères estimaient les partisans du président à quelques
centaines ou quelques milliers. Vendredi 26, ces derniers se sont massés
devant les locaux de l'ambassade de France pour réclamer la restitution
de la dette de l'indépendance.
A Port-au-Prince, les étudiants anti Aristide ont convié tous
les secteurs de la nation à une marche sur le palais national le premier
janvier 2004, pour rendre hommage aux héros de l'indépendance.
Ce mouvement sera précédé d'une veillée patriotique,
ont annoncé des étudiants de la Faculté des Sciences
Humaines.
>>> Manifester reste difficile aux Cayes et au Cap Haïtien
D’autres villes du pays, dont les Gonaïves, Jérémie,
Jacmel, Léogane, Saint Marc, ont été le théâtre
de manifestations antigouvernementales. Comme un leitmotiv, un slogan revient à chaque
manifestation: « Nou pap bwè soup premye janvye ak Aristide » (Nous
ne boirons pas la soupe du 1er janvier avec Aristide). Sur plusieurs stations
de radio, les musiques engagées volent la vedette aux traditionnels
chants de Noël.
Si ces derniers jours les manifestations ont pu se dérouler sans trop
de difficultés dans plusieurs départements, ce n’est
pas vrai dans deux des principales villes, Les Cayes et le Cap Haïtien.
La ville des Cayes, était restée jusqu’à présent à l’écart
des mobilisations anti-Aristide en raison, semble-t-il, de la forte pression
exercée par les groupes pro Lavalas. Vendredi 26 cependant, selon
Radio Signal, plusieurs centaines de personnes sont descendues dans les rues à l’appel
de la Convergence démocratique. Mais elles ont été bientôt
agressées par des membres de Lavalas. La station de radio Voix Claudy
Museau aurait même été saccagée.
Au Cap Haïtien, depuis la mise à sac de Radio Maxima, la situation
de l’opposition est très difficile. Plus d’une dizaine
d’opposants ont été arrêtés et brutalisés
depuis le début du mois de décembre. Certains auraient été libérés
la veille de Noël. Les autres ont été transférés à Port-au-Prince.
Selon des défenseurs des droits humains qui leur ont rendu visite,
ils portent les marques des sévices qu’ils ont subis. La police
a empêché, le dimanche 28 décembre, la tenue d’une
manifestation anti-gouvernementale au Cap Haïtien. Elle a arrêté et
aurait malmené le représentant de l’OPL (Organisation
du peuple en lutte) dans le Nord, Eluscat Charles. C’est lui qui avait
informé la police de la tenue de deux journées de manifestations
les 28 et 29 décembre. Selon des journalistes, la police a prétendu
n’avoir pas été informée à temps.
Pour plusieurs organisations, l’heure est non seulement à la
mobilisation mais aussi à la réflexion sur l’avenir du
pays. Selon l’organisation Batay Ouvriyè, il est urgent que
les travailleurs s’organisent de manière autonome pour défendre
leurs intérêts quel que soit le gouvernement. Cette organisation,
qui demande le départ de « Lavalas brigand, pilleur et criminel »,
souligne en même temps que « Lavalas et l’opposition bourgeoise
sont deux fesses pourries dans un même pantalon déchiré ».
D’autres courants réfléchissent à la mise en place
d’un congrès représentant toute la nation, afin que les
bases d’un avenir différent soient définies pour mettre
fin à 200 ans d’échecs.
>>> Protestations contre la présence de soldats sud-africains
Le navire de guerre sud-africain SAS Drakensberg est arrivé dans la
rade de Port-au-Prince lundi 22 décembre. Au moins 133 hommes sont à bord.
Officiellement, il vient apporter une aide symbolique à la célébration
du bicentenaire, à laquelle le président sud-africain Thabo
Mbeki prendra part le 1er janvier. Cependant, dès l’arrivée
du vaisseau, deux hélicoptères se sont envolés et ont
survolé Port-au-Prince une partie de la journée. La nuit tombée,
un hélicoptère muni d’un projecteur de forte puissance
a tourné à nouveau au-dessus de la ville, créant, selon
un correspondant, une atmosphère oppressante. Les jours suivants,
sans qu’aucune explication officielle n’ait été donnée,
les deux hélicoptères sud-africains ont répété le
même manège au-dessus de la capitale, quand ils n’étaient
pas affairés aux Gonaïves, où ils auraient transporté des
soldats.
Selon Alterpresse, en effet, des militaires sud-africains ont débarqué aux
Gonaives de deux hélicoptères. Demandant l’intervention
de Jean-Paul II pour éviter une catastrophe, le président de
l'Association des entrepreneurs de l'Artibonite a écrit au nonce apostolique
que ces soldats « ont investi sans autorisation le toit des résidences
privées, sont descendus dans les rues avec l'appui de policiers haïtiens
[pour] procéder à la saisie de plusieurs taxi-motos, qui sont
des biens économiques relevant de la propriété privée. » « Aujourd'hui,
poursuit-il, le 27 décembre, depuis 10h00, des détachements militaires
sud-africains, aidés de policiers apatrides haïtiens, tirent à Raboteau
dans tous les sens, sans épargner aucune cible civile. »
Le Centre oecuménique des Droits humains souligne que le vendredi 26
décembre, on a fait état de l’utilisation d’hélicoptères
aux Gonaïves dans des opérations pour intimider et harceler la
population. Cette organisation de défense des droits humains fait part
d'un sentiment de « tristesse mêlée de colère »,
face à ce soutien apporté par le « pays de Nelson Mandela » à « ce
qui reste de gouvernement » en Haïti. Selon un journal dominicain,
le gouvernement haïtien se serait adressé à l’Afrique
du Sud pour obtenir un stock de gaz lacrymogène que l’armée
dominicaine n’a pas pu ou voulu lui fournir. Le Centre oecuménique
des Droits humains se demande si dans le prétendu geste « symbolique » de
l’Afrique du Sud, il n’y aurait pas des explosifs et des armes.
Lundi 22 décembre, le Collectif Haïti de France a adressé une
lettre ouverte à l’ambassadrice d’Afrique du Sud à Paris,
qui est restée jusqu’à ce jour sans réponse. A Genève,
la Plate-forme Haïti de Suisse a fait de même. Le lundi 29 décembre,
des organisations haïtiennes ont manifesté à proximité de
l'ambassade d’Afrique du Sud à Paris, à la fois pour demander
le départ du président Aristide, et pour que l’Afrique
du Sud retire ses soldats. Une lettre adressée au président Thabo
Mbeki a été remise à des représentants de l’ambassade.
Selon le journal sud-africain Business Day (29 décembre), la visite
de Thabo Mbeki pourrait conduire à une médiation de l’Afrique
du sud dans le conflit politique haïtien, une option qui aurait les faveurs
des autorités françaises.
>>> Le programme des festivités officielles reste inconnu
Selon Alterpresse, le gouvernement, qui accorde une grande importance, à la
célébration officielle du bicentenaire de l’indépendance,
n’en a cependant pas annoncé le programme. Il semble que les
bals populaires prévus initialement ne soient plus jugés opportuns.
Le président a inauguré deux nouvelles places publiques à Fontamara
et à 4e avenue Bolosse en présence de membres de son gouvernement
et sous les applaudissements de ses partisans. L’Agence haïtienne
de presse les a chiffrés à plusieurs dizaines de milliers.
Elle estime en revanche que l’opposition ne réunit que de maigres
cortèges. Le chef de l'Etat a déclaré lui aussi que
ses opposants n’étaient qu’une poignée. Il a invité la
population à participer en grand nombre le premier janvier à la
célébration de l’indépendance, à Port-au-Prince
et aux Gonaïves. Il s’est félicité de la présence
d’un navire militaire sud-africain dans les eaux haïtiennes. Le
directeur général du ministère de l'Environnement, Gabriel
Nicolas, était absent de la cérémonie. Il avait en effet
démissionné de son poste le 22 décembre, comme l’avaient
fait avant lui plusieurs membres du gouvernement.
Le ministre de l’Economie a indiqué à cette occasion
que la Banque interaméricaine de Développement ne boycottait
plus Haïti et avait débloqué 35 millions de dollars, 15
autres millions étant attendus dans quelques jours.
Le président Aristide s’est félicité du fait que
de nombreux chefs d’Etat aient confirmé leur participation à la
célébration de l’indépendance. L'ambassadeur cubain
en Haïti a confirmé la venue d'une délégation cubaine.
Mais a-t-il affirmé, cette délégation n'a pas encore été constituée
et son chef n'a pas été désigné. Il a démenti
l’affirmation d’un journal dominicain qui a fait état
de la présence de soldats cubains en Haïti.
>>>> Un juge se réfugie aux Etats-Unis pour échapper à des pressions de la présidence
Un des substituts du commissaire du gouvernement auprès du Tribunal
Civil de Port-au-Prince a décidé de se réfugier momentanément
aux Etats-Unis. Me Daméus Clamé Ocnam veut ainsi échapper à des
pressions de la présidence de la République. Il lui a en effet été demandé d’ordonner
l'arrestation de trois des organisateurs de la manifestation anti-gouvernementale
du 22 décembre dernier, à Port-au-Prince. Au cours de cette
marche deux personnes avaient trouvé la mort et six autres avaient été blessées.
Or selon un décret pris sous le général Namphy et réactivé par
Yvon Neptune, les organisateurs d’une manifestation sont responsables
de tous les incidents qui s’y déroulent. Conduit au palais national,
Me Daméus Clamé Ocnam a accepté de convoquer les trois
responsable de la marche, André Apaid Junior du groupe des 184, Hervé Saintilus,
président de la Fédération des Etudiants universitaires,
et l’avocat Gervais Charles. Par contre, Me Daméus Clamé Ocnam
a refusé de les faire emprisonner et il a préféré partir à l’étranger.
Le parquet est devenu une « officine » du palais national, a-t-il
affirmé.
>>> Un inspecteur démissionne et dénonce la situation au sein de la police
L’inspecteur de police Ernst Paul a démissionné. Il avait
déjà renoncé à ses fonctions d’instructeur
en tactiques défensives et en droits humains, ne voulant plus former « des
bandits notoires parachutés au sein de cette institution » et
qui deviennent en majorité des policiers-bourreaux. « J'ai compris
après le vendredi noir des étudiants qu'une telle réaction
est insuffisante par rapport aux idéaux de la police », a-t-il écrit.
Au début du mois de novembre 2003, a révélé Ernst
Paul, 98 civils ont été parachutés « une fois
de plus » au sein de l'Académie pour y recevoir une formation
approximative et expresse, pendant un mois, pour l'Unité de sécurité présidentielle.
Selon lui, le choix des directeurs départementaux dépend seulement
de l'allégeance à la personne du président et de leur
capacité à gérer le marché des stupéfiants.
>>> EN BREF
Au moins huit personnes sont mortes à la suite de pluies torrentielles qui se sont abattues dans le Nord et le Nord Ouest il y a une semaine. Environ deux mille familles seraient sinistrées.
Les prêtres du diocèse des Gonaïves ont annoncé qu’il n’y aurait plus de Te Deum dans leur ville pour Jean-Bertrand Aristide. Après leurs collègues du Sud et du Sud Est, ils somment le président d’abandonner le pouvoir.
Le recteur de l’Université d’Etat, Jean-Marie Paquiot, a quitte l’hôpital. La perte de l’usage de ses deux membres inférieurs, suite au sectionnement de ligaments par ses agresseurs, serait momentanée.
La famille de Locéna Lucciné, qui a été victime d’un viol collectif dans une maternité de Port-au-Prince, dénonce des persécutions dues aux « chimères ».
La présence d’enfants armés, âgés de 12 ou 13 ans, dans les rangs de certains groupes de partisans du président Aristide a choqué beaucoup de gens. A Port-au-Prince, l’UNICEF a rappelé la nécessité de garantir à tout moment le « respect de l’intégrité physique et morale des enfants ».
Le Comité « Rèl/Cri », récemment constitué à Cayenne
(Guyane), a organisé une marche qui aurait réuni une centaine
de personnes. Le Comité a remis une motion au consulat d’Haïti
et à la préfecture.
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