Une Semaine en Haïti – n° 683 Lundi 07 janvier 2004

Un bicentenaire sous haute tension
Jean-Bertrand Aristide promet du « miel » aux Haïtiens
Le président a dû se contenter d'une visite éclair aux Gonaïves
Peu de délégations étrangères de haut niveau
Les grandes puissances ne souhaitent pas la démission du président haïtien
La Plate forme démocratique présente une « alternative de transition » 

>>> Un bicentenaire sous haute tension

A Port-au-Prince, la journée du 1 er janvier a été précédée le lundi 29 décembre par une manifestation des partisans du président Aristide. Ses adversaires sont descendus dans la rue le lendemain, en moins grand nombre que la semaine précédente. Ils ont été dispersés violemment. Des individus circulant à bord d'un véhicule de l'Etat ont tiré, faisant au moins quatre blessés. Le 31 janvier, une rencontre à la faculté des Sciences humaines a été l'occasion de réfléchir sur les causes de « l'émergence d'un dictateur après que le peuple haïtien se fut débarrassé des Duvalier ».

Le matin du 1 er janvier, pendant que le chef de l'Etat prenait la parole, environ 15 000 opposants essayaient de manifester en direction du Champ de Mars. L'intervention de la police et de civils aurait fait une dizaine de blessés, dont plusieurs par balle. Une équipe de la télévision nationale sud-africaine a été obligée, sous la menace des armes, d'abandonner son véhicule à la police après avoir été témoin du passage à tabac de plusieurs manifestants.

Environ 130 prisonniers se sont évadés du pénitencier national le 1 er janvier. A Gros Morne, dans l'Artibonite, des détenus se seraient également échappé. Un autobus transportant des supporters du président y a été incendié et le commissariat a été saccagé.

Des manifestations se sont déroulées dans plusieurs villes dont les Gonaïves, où la tension était très vive. Les policiers n'ont jamais réussi à prendre totalement le contrôle de cette ville. Le 29 décembre, un jeune frère d'Amiot Métayer a démenti avoir décrété une trêve à l'occasion du bicentenaire. La direction de la Radio Etincelles affirme que son local a été perquisitionné le 30 décembre par des soldats sud-africains tandis que les policiers haïtiens restaient à l'extérieur.

>>> Jean-Bertrand Aristide promet du « miel » aux Haïtiens

Le 1 er janvier, la capitale haïtienne ne présentait pas l'aspect d'une ville en fête. Un monument célébrant deux cents de liberté n'a même pas été achevé à temps. Jean-Bertrand Aristide peut néanmoins se féliciter de l'enthousiasme de ses partisans. Dans les rues de la capitale, des banderoles vantaient sa gloire : « Jésus, Haïti, Aristide, le credo du peuple haïtien » lisait-on sur certaines d'entre elles. « Aristide roi ! » scandait la foule de ses admirateurs regroupés devant le Palais national. Ils étaient entre 15 000 et plusieurs centaines de milliers, selon les sources. Dans leur enthousiasme, ils ont renversé une grille du palais et plusieurs personnes ont été blessées.

Le président a renouvelé sa détermination à terminer son mandat de cinq ans et a promis du « miel » aux Haïtiens. Alors que ses sympathisants ont l'habitude de souligner les effets dévastateurs qu'auraient les sanctions économiques internationales, il a montré, chiffres à l'appui, que depuis l'an 2000 la situation de la population s'était nettement améliorée grâce à Lavalas. Ainsi selon lui, le pourcentage de nouveaux nés présentant une insuffisance pondérale à la naissance est passé de 28% à 19% en trois ans. Sur cette lancée, il a fait des promesses et fixé des objectifs pour l'année 2015 dans 21 domaines, qui vont du doublement de la couverture forestière aux investissements étrangers. Ces 21points censés remplacer les 21 coups de canon traditionnels constituent la « déclaration du bicentenaire ». Leur réalisation est possible car « l'union fait la force » a martelé 21 fois. le président. Il a suggéré, sans le dire explicitement, que leur financement proviendra des 21 milliards de dollars que devra « restituer » l'Etat français (qui réaffirme n'avoir jamais été saisi de cette demande).

>>> Le président a dû se contenter d'une visite éclair aux Gonaïves

Le pouvoir Lavalas avait présenté comme un grand enjeu la célébration du bicentenaire aux Gonaïves, la ville où Jean-Jacques Dessalines avait lu l'acte de l'indépendance. Le thème « aller aux Gonaïves » avait été martelé par les membres du gouvernement les jours précédant le 1 er janvier, et par le président lui-même lors de son discours au Palais national.

Mais les habitants des Gonaïves sont restés enfermés chez eux. Un journaliste a employé l'expression de « ville fantôme ». De nombreux coups de feu ont été entendus le 1 er janvier et la nuit précédente. Les autorités ont finalement jugé préférable d'annuler les cérémonies prévues. Les prêtres des Gonaïves avaient d'ailleurs annoncé à l'avance qu'ils refuseraient de célébrer une messe. Avant de repartir, Jean-Bertrand Aristide s'est contenté de prononcer un discours devant mille à deux mille partisans, pour la plupart amenés par bus des régions avoisinantes.

Le président Thabo Mbeki avait décidé au dernier moment de ne pas faire le voyage des Gonaïves. Selon des déclarations officielles faites à Pretoria, un hélicoptère de la sécurité sud-africaine parti en reconnaissance avait été la cible de tirs. Des journalistes sud-africains affirment que le matin du 1 er janvier, un échange de coups de feu très nourri s'est déroulé sur un terrain où devait se tenir une cérémonie, et qu'ils en sont partis en rampant. La sécurité sud-africaine présente sur place en aurait conclu que le risque était trop élevé.

>>> Peu de délégations étrangères de haut niveau

Une vingtaine pays se sont fait représenter aux cérémonies du bicentenaire, en général par des diplomates ou des parlementaires. La France était représentée par son ambassadeur et par deux députés membres du groupe parlementaire d'amitié France-Haïti. Le président d'Afrique du Sud Thabo Mbeki, le vice-président Rahodia du Surinam et le premier ministre Perry Christie des Bahamas, qui représentait le CARICOM, sont les seuls chefs d'Etat ou de gouvernement à avoir fait le déplacement. Les autorités cubaines, béninoises et taiwanaises ont joué la carte de la prudence et n'ont pas envoyé de délégation de haut niveau. Aux Gonaïves comme à Port-au-Prince, Jean-Bertrand Aristide a mis en valeur la participation de la congressiste américaine Maxine Waters, membre du Black Caucus, organisation des parlementaires noirs américains. Elle a lu une résolution du Congrès américain, présentée par le Black Caucus, félicitant Haïti d'avoir été « le fer de lance de la lutte pour les droits humains ».

Avant de regagner son pays, le président Thabo Mbeki a rencontré séparément des représentants de l'opposition et de la société civile haïtienne, a appris AlterPresse. Il a démenti être venu pour appuyer venu appuyer Jean-Bertrand Aristide ou jouer les médiateurs. Il a expliqué sa présence par le fait que la révolution haïtienne de 1804 avait une dimension universelle et une importance particulière pour l'Afrique et sa diaspora. Ses interlocuteurs lui ont néanmoins exprimé leurs appréhensions quant à une possible intensification de la répression après la bouffée d'oxygène qu'il avait apportée à Jean-Bertrand Aristide. Ils lui ont remis une copie de la résolution présentant une « alternative de transition » au régime lavalas.

>>> Les grandes puissances ne souhaitent pas que le président haïtien démissionne

L'international, comme on dit en Haïti, n'est pas favorable à un départ du président haïtien. Il le fait savoir discrètement tout en dénonçant les exactions de son régime. Les Etats-Unis ont déclaré qu'ils appuyaient la proposition de Jean-Bertrand Aristide consistant à s'entourer provisoirement d'un conseil de sages où l'opposition serait représentée. Dans son discours, Jean-Bertrand Aristide a exprimé sa gratitude en déclarant que les Etats-Unis et Haïti, c'est deux « bon » qui font un bonbon. Selon certains journalistes, la France serait sur la même ligne que les Etats-Unis. Une source diplomatique, qui n'a pas été révélée, a déclaré à l'Agence France presse : « Vu la tendance à la contestation insurrectionnelle dans l'histoire d'Haïti, il serait souhaitable, dans l'intérêt à long terme que le président termine son mandat' ».

Plusieurs associations, telles que le Centre ocuménique des droits humains, la CONAP (coordination nationale de plaidoyer pour lesdroitsdes femmes) et Haïti solidarité internationale répondent : «  Notre pauvreté et notre manque de ressources ne peuvent en aucun cas servir de prétexte pour nous forcer à des compromis inacceptables et immoraux avec le pouvoir actuel en pleine dérive totalitaire ». Elles prônent « une véritable société civile internationale face aux logiques des puissants de ce monde, face aux effets négatifs de la mondialisation » et lancent un appel à l'opinion internationale pour que le 15 janvier soit une journée de solidarité avec Haïti.

>>> La Plate forme démocratique présente une « alternative de transition ».

Le 2 janvier, la Plate-forme démocratique de la société civile et des partis politiques a présenté une «  alternative de transition » au régime lavalas. Elle s'engage à obtenir dans les meilleurs délais « le départ d'Aristide et de tous les membres du gouvernement Lavalas ». Le président de transition serait alors choisi parmi les juges de la Cour de cassation. Il nommera le premier ministre, choisi par consensus par un Conseil comportant neuf puis vingt-sept membres. Ce Conseil d'Etat aura une fonction délibérative et de contrôle. La durée du gouvernement de transition ne devrait pas excéder deux ans. Il devra entre autres garantir la sécurité de la population, mettre en ouvre un plan d'urgence de relance économique et garantir la tenue d'élections générales.

Le 5 janvier, la Plate-forme démocratique a annoncé une série de mobilisations. Le même jour, le Père Yvon Massac, un proche de Jean-Bertrand Aristide, a lancé de graves menaces contre l'opposition. « C'est parce que le président n'a pas voulu que le sang coule dans le pays que nous n'avons pas agi » a-t-il déclaré. Il a repris à son compte une phrase lourde de menaces prononcée en 1987 par le général Régala, lorsque les militaires ayant succédé à Jean-Claude Duvalier étaient confrontés à une vague de contestation.

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