Une Semaine en Haïti – n° 685Lundi 21 janvier 2004

Un commando endommage les émetteurs de neuf stations de la capitale

Chasse aux opposants à Miragoâne

A Port-au-Prince, des hommes armés veulent briser les manifestations

Interrogations sur le meurtre d'un haut gradé de la police

La CARICOM tente de trouver une issue à la crise politique

>>> Un commando endommage les émetteurs de neufs stations de la capitale

Les émetteurs des radios et télévisions de Port-au-Prince se trouvent concentrés sur le même site, à Boutilliers, dans les hauteurs de Port-au-Prince. Selon des témoins, le mardi 13 janvier, dans la nuit, une dizaine d'individus armés, le visage recouvert d'une cagoule, ont saccagé les installations de neuf stations. Parmi les plus connues on relève les noms de Kiskeya, Signal FM, Galaxie, Magik Stereo, Galaxie, Radio et Télé Timoun. Certains émetteurs auraient été totalement détruits. Des programmes de certaines des radios mises hors service ont ensuite été hébergés par solidarité par d'autres stations.

Le Groupe de réflexion et d'action pour la liberté de la presse (GRALIP) affirme que cette opération a été planifiée au sommet du pouvoir et que « selon des informations crédibles, les exécutants ont amèrement regretté de n'avoir pas su démantibuler les émetteurs d'autres stations indépendantes ». Selon certaines sources, le commando était aux ordres de l'ex-député Simson Libérus.

Pour le GRALIP, le fait que quatre media pro gouvernementaux fassent partie des victimes vise à camoufler le fait que le but était de réduire au silence des media indépendants. Le GRALIP fait remarquer que lorsqu'il a condamné cette opération, le président Aristide a été « trahi par ses convictions intimes, en ajoutant aussitôt que la presse doit avoir comme boussole l'objectivité et le respect de la vérité; une façon subtile de justifier un acte politique criminel ».

>>> Chasse aux opposants à Miragoâne

Le 13 janvier, 24 organisations de la société civile ont lancé un appel relatif à la situation qui règne à Miragoâne depuis le dimanche 11 janvier. Elles écrivent que la ville de Miragoâne « est livrée à la fureur des hordes lavalassiennes qui s'en prennent aux membres des organisations paysannes, estudiantines, citoyennes et politiques, aux personnes actives dans le mouvement de protestation anti-Aristide et aux familles des personnes concernées ». Plusieurs militants de longue date sont particulièrement visés. C'est le cas de Jean-William Jeanty, dirigeant de la coordination régionale des organisations de Nippes (KORENIP) et d'Edgard Leblanc, dirigeant de l'OPL, et ancien président du Sénat, dont la maison a été incendiée. On a également incendié la librairie de l'ancien maire de Miragoâne, Gary Mazile, grand promoteur de la culture haïtienne. De nombreuses personnes ont dû fuir la ville. Les exactions seraient « publiquement revendiquées par des gangs proches du pouvoir » et seraient menées sous les ordres d'agents de l'Etat. La police aurait investi la ville pour laisser faire la chasse aux opposants. La population de Miragoâne serait « démunie et isolée ».

Ces exactions ont commencé après le décès d'un partisan du régime lors d'une manifestation antigouvernementale le 11 janvier. Les organisations de la société civile signataires de la déclaration déplorent ce décès. Elles soulignent qu'il n'y a pas eu d'affrontements entre manifestants antigouvernementaux et partisans du régime mais, comme à l'accoutumée, « attaques des chimères (munis de pierres, bâtons, barres de fer, armes à feu) sur des citoyen-nes manifestant pacifiquement ». D'après d'autres sources, après ce décès, des partisans du régime ont essayé de brûler vif un de leurs adversaires.

D'autres villes haïtiennes se trouveraient également dans une situation critique. En effet, selon la déclaration des 24 organisations de la société civile, « des actions similaires ont été entreprises dans le département du Nord, plus particulièrement dans les villes de Trou du Nord et du Cap. Il en a résulté que les membres des organisations revendicatrices ont été emprisonnés ou ont dû gagner le maquis ; la presse indépendante n'est plus en mesure de travailler dans certaines zones; les manifestations antigouvernementales ne peuvent plus avoir lieu. ».

>>> A Port-au-Prince, des hommes armés veulent briser les manifestations

Les étudiants ont de nouveau gagné les rues de Port-au-Prince, le lundi 12 et le jeudi 15 janvier pour réclamer le départ du président Aristide. Il n'y a pas eu d'incident notable. En revanche vendredi 16 janvier, cinq personnes ont été blessées, dont trois par balles, lors des funérailles de Maxime Déselmour. Cet ancien étudiant avait été tué le 7 janvier, durant une manifestation de l'opposition au moment où la police répondait à des tirs de partisans du pouvoir.

Un cortège composé surtout d'étudiants voulait aller en manifestation avec le cercueil jusqu'à Carrefour avant qu'il soit transporté à Jacmel pour l'inhumation. La police a tiré en l'air et aspergé la foule de gaz lacrymogène pour empêcher le cortège de passer devant le palais national. Des coups de feu ont été tiré par des inconnus sur les manifestants près de la Caisse d'assurance sociale.

La manifestation du 18 janvier s'est soldée, selon l'agence Reuters, par cinq blessés par balles et un mort. Elle s'est tenue sous la menace permanente de commandos qui ont tiré à plusieurs reprises en direction de la foule. La police a dû faire feu plusieurs fois pour assurer la protection de la manifestation. Mais, comme lors de la grande manifestation du 11 janvier, les partisans du régime ont réussi à faire des victimes parmi les personnes qui se rendaient à la manifestation ou qui en revenaient.

>>> Interrogations sur le meurtre d'un haut gradé de la police

La Coalition nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR) s'interroge sur les circonstances de l'assassinat de l'inspecteur général Edner Jeanty survenu au Cap-Haïtien le 10 janvier. Edner Jeanty a suivi un parcours fulgurant. Agent à l'Unité de sécurité du palais national, il a été promu, illégalement selon la NCHR, commissaire divisionnaire puis inspecteur général et enfin directeur départemental de la police dans le Nord. La NCHR s'étonne qu'il se soit trouvé seul dans sa voiture, sans protection, au moment de son assassinat. D'autant plus qu'Edner Jeanty semble être un habitué des missions spéciales. Aux Gonaïves, le 6 décembre 2003, son véhicule avait été incendié, et sa malette contenant, rapporte-t-on, des chèques et 283 000 dollars en liquide aurait été emportée. Le NCHR demande une enquête.

>>> Le CARICOM tente de trouver une issue à la crise politique

Le mandat de la 47e Législature a pris fin le lundi 12 janvier. Avant leur départ, les parlementaires ont adopté une résolution demandant au président de la République d'organiser sans délai de nouvelles élections en vue de combler le vide institutionnel. Au Mexique, où il participait au sommet des Amériques, le président Aristide a déclaré que des élections se tiendront d'ici six mois.

Les dirigeants de la Communauté des Caraïbes (Caricom), dont Haïti est membre, rencontreront cette semaine l'opposition haïtienne aux Bahamas pour tenter de résoudre la crise politique haïtienne. La réunion doit se tenir mardi et mercredi à Nassau et impliquera, outre l'opposition haïtienne, des représentants religieux et de la société civile. La Caricom devrait avoir ultérieurement des entretiens avec Jean-Bertrand Aristide ou ses représentants. D'après le premier ministre de Trinité-et-Tobago, George Bush et Colin Powell auraient déclaré au président haïtien : « C'est votre dernière chance. Ne la laissez pas passer ».

La mission prévue à Nassau sera dirigée par le président de la Caricom, le premier ministre de la Jamaïque, Percival Patterson, en présence des premiers ministres de Trinité-et-Tobago, de Sainte-Lucie et des Bahamas.

>>> EN BREF

Les militantes de la CONAP (Coordination nationale de plaidoyer pour les droits des femmes) sont particulièrement visées par les menaces de mort actuellement. Les noms de Danièle Magloire, Yolette Jeanty, Carole Pierre Paul et Myriam Merlet sont notamment cités.

A Saint Marc, une manifestation a été attaquée par des partisans armés du régime. En représailles, les locaux de Radio Pyramide, proche du gouvernement, ont été incendiés. Selon Reporters sans Frontières, les agresseurs ont menacé d'exécuter son personnel. Le domicile du procureur Freneau Cajuste, accusé de persécuter les membres de l'opposition, a également été incendié. Le magistrat abritait chez lui le studio de Radio America .

L'ancien général Jean-Claude Duperval a été arrêté en Floride. Il avait été condamné en novembre 2000 par contumace pour sa participation au massacre de Raboteau (avril 1994). Il pourrait être extradé en Haïti.

Le parlement européen a adopté une résolution sur Haïti. Il souligne notamment la nécessité de « dissoudre les milices et bandes armées qui font régner la terreur ». Il suggère « un dialogue constructif entre le gouvernement et l'opposition, éventuellement dans le cadre d'une conférence nationale, en vue d'ouvrir la voie à des élections législatives ». L'Union européenne, de son côté, « appelle instamment toutes les parties à renouer sans délai un dialogue politique, soit directement, soit en acceptant une médiation des églises locales ou toute autre médiation utile et crédible ». Par ailleurs, selon Radio Métropole, l'Union européenne a approuvé un financement de 32,5 millions d'euros pour des projets bénéficiant directement à la population.

Une grande matraque portant l'inscription« made in South Africa » a été perdue par un policier le 7 janvier. La ministre sud-africaine des Affaires étrangères avait déclaré quelques jours plus tôt que l'aide de son pays n'était pas destinée au président Aristide mais au peuple haïtien.

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