Une Semaine en Haïti – n° 688Lundi 09 février 2004

La ville des Gonaïves aux mains du Front de résistance de l'Artibonite

La crise s'étend à tout le département de l'Artibonite

Réactions à la nouvelle mission de la CARICOM en Haïti

Les arrestations et la répression continuent

•  La ville des Gonaïves aux mains du Front de résistance de l'Artibonite

La ville des Gonaïves est tombée, jeudi, aux mains des rebelles du Front de résistance de l'Artibonite, ex-armée cannibale. Selon la Croix Rouge, la prise du commissariat central a fait au moins onze morts et une vingtaine de blessés. Parmi les morts, figurent cinq policiers anti-émeutes, deux membres du Front et quatre habitants de la ville. Le commissariat a été évacué en catastrophe par les policiers, avant d'être incendié. Les affrontements ont duré plusieurs heures. Une centaine de détenus ont été libérés. Les bureaux du délégué du gouvernement et la maison du maire ont été incendiés.

La prise du commissariat aurait été saluée par des manifestations de joie, tandis que plusieurs centaines d'habitants quittaient la ville par crainte de représailles. Les jours précédents, au moins deux personnes auraient été tuées par la police. Quelques heures avant la prise du commissariat, des partisans du pouvoir auraient tiré  des coups de feu sur une manifestation d'étudiants.

Samedi, des policiers venus de Port-au-Prince à bord d'une dizaine de véhicules ont tenté de reprendre le contrôle de la ville des Gonaïves. Ils ont pu se réinstaller dans les ruines calcinées du commissariat central avant, semble-t-il, de subir une lourde défaite. Le porte parole du Front de résistance, Winter Etienne, a déclaré à des radios de la capitale 14 morts parmi la police mais ce chiffre n'a pu être vérifié. Une dépêche d'Associated Press parle de 9 morts, dont au moins 7 policiers. La même dépêche détaille des « mutilations perpétrées par la foule » sur 3 policiers tués par les rebelles. La police s'est retirée de la ville samedi soir. Elle ne semble pas être réapparue depuis.

Selon Winter Etienne, les armes du Front lui avaient été données par Jean-Bertrand Aristide pour combattre l'opposition, ce que le gouvernement  dément. Winter Etienne a affirmé que les armes seront «remises au nouveau gouvernement après le départ de Jean Bertrand Aristide du pouvoir", se dont se réjouit Evans Paul, un des dirigeants de l'opposition, qui a appelé « à éviter la violence » et à comprendre que « les armes ne vont pas permettre de résoudre tous les problèmes ».

L'OEA a condamné l'usage de la violence, de même que l'Ambassade des Etats-Unis. Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unis, a appelé les Haïtiens à régler leurs divergences pacifiquement.

•  La crise s'étend à tout le département de l'Artibonite

Par ailleurs, le Front a décrété le département de l'Artibonite, "zone indépendante", a indiqué Winter Etienne. "Nous allons libérer d'autres localités de la région", a-t-il ajouté.

Selon un journaliste local, les rebelles s'étaient rendus jeudi soir dans la bourgade voisine d'Ennery, où ils ont incendié le commissariat vidé de ses occupants. Celui de la ville de l'Estère, a été abandonné jeudi par ses occupants, sans que le Front n'ait eu à s'y rendre, selon des médias. Par ailleurs, des inconnus armés se seraient emparés vendredi soir du commissariat du Trou du Nord (Département du Nord-Est). Les policiers auraient pris la fuite. Radio Métropole annonce que les policiers du Commissariat de Saint-Marc, ont quitté la ville samedi. L'organisation populaire RAMICOS (Rassemblement des Militants Conséquents de Saint-Marc), proche de l'opposition, occupe les lieux. Selon certains témoins, des affrontements auraient fait deux morts. Dimanche, la population aurait commencé à piller des conteneurs dans l'enceinte du port de la ville.

Dimanche, c'est le commissariat de Grand-Goave qui aurait été abandonné par les policiers, et que des opposants au président Aristide, auraient ensuite brûlé.

Des barricades enflammées auraient été vu en plusieurs points du pays : sur la route nationale n°2, où le trafic a été interrompu, au Cap-Haïtien, à Saint-Marc, et à Port au Prince (il s'agirait à Port au Prince et au Cap de partisans du Gouvernement), où les dirigeants de l'opposition ont annulé la manifestation prévu le dimanche 8, pour raison de sécurité. Au Cap, un local de Radio Vision 2000 a été incendié.

Devant plusieurs milliers (voire dizaines de milliers) de partisans célébrant le troisième anniversaire de son investiture, Jean-Bertrand Aristide a déclaré samedi à Port-au-Prince au sujet de tout ces évènements, que "les responsables seraient arrêtés et jugés selon la loi". Le premier ministre Yvon Neptune a accusé l'opposition de favoriser un coup d'Etat.

•  Réactions à la nouvelle mission de la CARICOM en Haïti

La Communauté Caraïbe (CARICOM) prend pratiquement le relais de l'Organisation des Etats Américains (OEA) dans la gestion du dossier de la crise politique en Haiti. Une délégation est arrivée, le 3 février à Port au Prince, pour poursuivre les discussions en vue d'une résolution de la crise. Elle a rencontré des membres de l'opposition pour les informer officiellement des résultats de la tournée du président Jean Bertrand Aristide à la Jamaïque. Les dirigeants de la Plate-forme Démocratique ont réaffirmé à leurs interlocuteurs qu'il n'était pas question de négocier avec le président Aristide, sinon son départ. Evans Paul, membre de la plate-forme démocratique, a indiqué ne pas accorder foi aux engagements pris par le chef de l'État auprès de la CARICOM.

Depuis sa rencontre avec le secrétaire général adjoint de la CARICOM, Colin Granderson, Mgr Constant le président de la Conférence Episcopale, multiplie les rencontres en compagnie du Nonce Apostolique, Luigi Bonnazzi et se refuse à tout commentaire dans la presse. Le Pasteur Joël Jeune, dirigeant de la Conférence Nationale des Evêques Protestants d'Haïti, révèle que les religieux catholiques planchent sur une proposition qui prévoirait l'organisation d'élections en septembre et la remise du pouvoir par M. Aristide le 7 février 2005 au lieu de 2006. Il dénonce ces négociations et invite les religieux à écouter la voix de la population qui manifeste à travers le pays en réclamant la démission du chef de l'Etat.

Pendant ce temps, la base de l'Eglise dénonce la dégradation du climat sociopolitique : le 2 février, les responsables de la Conférence Haïtienne des Religieux (CHR) ont qualifié d'inacceptable la situation actuelle de violence.

•  Les arrestations et la répression continuent

Malgré la médiation de la CARICOM, l'opposition va donc continuer à maintenir la pression au moyen de manifestations. La semaine écoulée, les promesses faites par le président Aristide n'ont pas eu beaucoup d'effet. Non seulement il n'y a pas eu de libération de prisonniers, mais on a assisté à de nouvelles arrestations.

Une militante des droits de l'Homme Kettly Julien a été arrêtée vendredi, en compagnie de 4 autres personnes, alors qu'elle s'apprêtait à observer une manifestation. Cette militante de l'Institut mobile d'éducation démocratique (IMED) a été arrêtée sous l'accusation de « complot contre la sûreté de l'Etat », informe l'organisme Haiti Solidarité Internationale (HSI). Kettly Julien coordonne pour le réseau HSI/IMED l'assistance aux victimes de violence en Haïti depuis décembre 2003. Selon une information non confirmée, au Cap Haïtien, Yves Bastien, membre de l'Initiative Citoyenne, a été arrêté et aurait subi de mauvais traitements.

Cette semaine également, plusieurs manifestations ont été réprimées.

Mardi 4 février, un adolescent a été tué par balle par la police lors d'une manifestation anti-gouvernementale dans la ville de Ouanaminthe, ont annoncé plusieurs radios. Mardi, des agents de la CIMO sont intervenus à grand renfort de gaz lacrymogène pour disperser des étudiants qui entendaient gagner les rues de la capitale afin de réclamer le départ du chef de l'Etat. Mercredi 5 février, cinq étudiants ont été arrêtés à Port-au-Prince lors d'un incident à proximité du tribunal. Venus appuyer un dirigeant étudiant convoqué par la justice, ils avaient riposté aux partisans de Lavalas qui leur jetaient des pierres et tiraient en l'air. Les policiers auraient même investi des maisons à la recherche des étudiants. Vendredi 6 février, plusieurs étudiants ont été blessés, dont au moins un par balle, à Port-au-Prince, lorsque des individus armés et des agents de la police nationale ont brutalement interrompu une manifestation. Plusieurs étudiants ont été arrêtés à différents moments de la journée selon ce qu'ont constaté des journalistes.

•  Roger Binry, dit  Béri, est le responsable de la sécurité à la Mairie de Léogane. Il dirige une organisation populaire dénommée « Operasyon Sezaryèn pou lapè ». Dans un texte signé, il dénonce un plan visant à assassiner pas moins de quatre membres de la presse indépendante: Liliane Pierre Paul (Radio Quisquéya), Rotchild François Junior (Radio Métropole), Everard St Armand (Caraïbes FM) et Marie Lucie Bonhomme (Radio Vision 2000).

•  Le journaliste Alex Régis de Radio Vision 2000 a essayé d'interroger Jean-Bertrand Aristide lors d‘un point de presse. Il lui a demandé s'il avait l'intention de démissionner face au développement des manifestations. M. Ariside a répondu par la négative tout en indiquant à Alex Régis qu'il mentait. Le Président a également taxé le journaliste de membre de l'Opposition, payé pour poser pareille question. L‘Association Nationale des Médias Haïtiens (ANMH) se déclare choquée par ces déclarations insultantes du Chef de l'Etat. Les patrons de presse ont décidé de boycotter temporairement toute activité du Palais National

•  Quatorze ans après le massacre de Piatre, l'ordonnance clôturant l'enquête vient enfin d'être publiée. En mars 1990, ce conflit terrien opposant les paysans de la localité de Piatre au commerçant Olivier Nadal et aux héritiers D'Meza, a entraîné la mort de 11 personnes et 375 maisons pillées et incendiées. L'enquête piétine depuis 14 ans, 7 juges ont travaillé sur le dossier, Me Brédy Fabien vient de boucler l'enquête. « En dépit des nombreuses lacunes constatées dans l'ordonnance de clôture autour du Massacre de Piatre , la NCHR prend acte de l'effort consenti par la magistrature et souhaite vivement que celle-ci permettra d'aboutir à un procès impartial, juste et équitable ».

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