Une Semaine en Haïti – n° 689 – Lundi
16 février 2004
- Des anciens militaires tentent de s'emparer du
nord du pays
- L'opposition refuse d'être assimilée
aux groupes armés
- Répression très
dure dans plusieurs villes
- Le déploiement d'une force
internationale est à nouveau discuté
-
Les
réactions internationales se multiplient
-
Accentuation
du risque de catastrophe humanitaire
Les ville des Gonaïves échappe au contrôle du Gouvernement
Depuis le 5 février, la ville des Gonaïves est aux mains des rebelles du Front de Résistance de l'Artibonite (ex-Armée Cannibale, aujourd'hui Front pour la Reconstruction et la Libération Nationales, FLRN). Dans cette ville, un des bastions historiques des rebellions, le téléphone est aujourd'hui coupé (à part les lignes internes à la ville), aucun véhicule ne rentre, plus d'essence ni d'électricité. Seuls les médecins de la coopération cubaine restent à l'hôpital, vide de son personnel haïtien.
Dans un communiqué, la NCHR note que les forces pro et anti-gouvernementales sont responsables « d'atteintes graves aux droits de l'homme », en particulier aux Gonaïves où elle constate « qu'un policier blessé, transporté à l'hôpital, a été arraché de la table d'opération et exécuté en public par les membres du FLNR ». De plus, les corps des policiers tués, n'auraient pas été remis à leur famille mais « carbonisés en public ».
Un appel à l'insurrection générale a été lancé par Butteur Metayer, président du FLRN. « L'insurrection doit gagner le pays tout entier et j'appelle les haïtiens à prendre les armes contre le président Aristide » a-t-il déclaré. « Nous n'attendrons pas jusqu'à la fin du mois de février pour marcher sur Port au Prince, pour déloger Aristide ». « Nous remettrons nos armes au prochain gouvernement provisoire, qui pourra être sous contrôle des Nations Unies et qui sera formé après le départ d'Aristide ». Il n'y a selon lui, qu'une seule condition à la présence de troupes et de policiers étrangers dans le pays « c'est qu'ils viennent pour déloger Aristide ».
De fait, le FLRN avait lancé le 9 février, un avis de recrutement à l'endroit des anti-lavalas, des ex-militaires et de toute personne désireuse de contribuer à la lutte pour renverser le Président Jean-Bertrand Aristide.
Selon Haïti Press Network, Guy Philippe et le numéro 2 de l'ancien Front pour l'Avancement et le Progrés d'Haïti (FRAPH), seraient aux Gonaïves à la tête d'un commando d'anciens militaires et de membres du FRAPH. Instigateur présumé de plusieurs tentatives de coup d'Etat (dont un contre Jean-Bertrand Aristide, le 17 décembre 2001), l'ancien militaire Guy Philippe a été pendant longtemps considéré comme un des ennemis public n°1 du gouvernement haïtien. Il avait été contraint de quitter Haïti en l'an 2000, après qu'une première tentative de renversement menée contre l'ancien président René Préval lui ait été imputé. Il vivait en exil en République Dominicaine. Louis-Jodel Chamblain avait été condamné à la prison à vie par contumace pour le meurtre d'Antoine Izméry (commerçant qui se battait pour le retour de Jean-Bertrand Aristide, il a été assassiné en 1993, sous le régime militaire).
Selon l'Agence France Presse (AFP), des rebelles très mobiles comptant dans leurs rangs d'anciens militaires de l'armée haïtienne (dissoute en 1995 par le président Aristide) et appartenant au groupe dit de « Pernales » (Centre Est d'Haïti), opéreraient désormais dans le Nord, avec pour base de départ la région de Saint-Michel de l'Atalaye. Mais personne ne sait de quelles forces disposent ces insurgés. Ce que l'on sait par contre, c'est que la force de police haïtienne, seule force armée régulière dans le pays, se monte à moins de 5000 hommes. « Les forces sont insuffisantes pour faire face aux violences qui se sont développées dans le pays » a déclaré samedi à l'AFP le porte-parole du parti Lavalas au pouvoir, Jonas Petit.
Une dépêche de l'AFP de ce lundi, nous apprend que la ville de Hinche, dans le centre d'Haïti, serait tombée aux mains d'opposants armés au président Aristide. L'attaque aurait été conduite par Louis-Jodel Chamblain, selon les radios. Les affrontements auraient fait trois morts.
Après un moment de flottement, l'opposition s'est nettement démarquée des groupes armés, et plus particulièrement du Front de Résistance des Gonaïves (FLNR aujourd'hui). « Nous distinguons le mouvement populaire, que nous soutenons et qui demande le départ de Jean Bertrand Aristide, des forces insurrectionnelles armées auxquelles nous ne nous identifions pas », a affirmé mardi, l'un des responsables de l'opposition haïtienne, le socialiste Micha Gaillard, cité par l'AFP. «Nous nous tenons à notre stratégie pacifique car la solution ne peut-être que pacifique et non armée », a ajouté le responsable, en déplorant « vivement la violence». Les dirigeants du FLNR reprochent à l'opposition traditionnelle de se contenter de faire des manifestations et de ne pas se donner les moyens de renverser Jean-Bertrand Aristide.
Selon Le Monde, André Apaid, leader du Groupe des 184, estime que les rebelles de Gonaïves devraient être désarmés, sans être tués.
A l'instar du président Jean Bertrand Aristide, Yvon Neptune a qualifié les insurgés de terroristes. Il a également pointé du doigt l'opposition politique formelle qui serait, selon lui, liée à tous ces événements. Selon Neptune, l'opposition a deux facettes : « une aile politique » qui donne l'impression de mener une bataille pacifique et « une branche armée ». Ce a quoi l'opposition a répondu en disant que le président Jean Bertrand Aristide a la « responsabilité » de la violence qui se développe à travers le pays.
Le gouvernement a repris le 9 février le contrôle de trois villes du Nord-Ouest (Saint Marc), du Sud-Ouest (Grand Goâve) et du Nord (Dondon). Mais dans sept ou huit autres villes, essentiellement dans l'Artibonite, la situation reste pour le moins incertaine pour les forces gouvernementales.
A Saint-Marc, un raid effectué par des membres de la bande Lavalas « Bale Wouze » aidés de la police, contre le groupe Ramicos, proche de l'opposition, aurait causé la mort de plusieurs personnes, et des dégâts matériels considérables (20 maisons incendiées ainsi que la radio Tèt a tèt).
Au Cap Haïtien, la semaine a été très perturbée : pas de téléphone, d'électricité, rues jonchées de barricades enflammées, stations de radios cessant d'émettre dans la crainte de représailles, journalistes dans le maquis, transports paralysés, grand commerce, écoles et banques fermées, maisons et borlettes appartenant à de présumés partisans de l'opposition incendiées. Des partisans armés du pouvoir, auteurs de ces actions punitives auraient enjoint à ceux qui s'opposent à Jean-Bertrand Aristide de quitter la ville, selon un dirigeant de l'Initiative Citoyenne au Cap, Frandley Julien. En fin de semaine, les activités reprenaient lentement dans la ville.
Les Cayes, Grand Goâve, Mirebalais, Gros Morne, connaissent des situations similaires. A Dondon (30 km au Nord du Cap), des maisons appartenant à des membres de l'opposition ont été incendiées par des militants pro-Aristide suite au retour des forces gouvernementales dans la ville. Dans un deuxième temps, les « rebelles » ayant repris le contrôle de Dondon, ce sont des maisons des partisans du président qui ont été attaquées.
Devant l'insuffisance de la police, le gouvernement a fait appel à l'aide de la population. Cet appel se serait traduit par des distributions massives d'armes et de munitions aux partisans du régime à Port au Prince, au Cap Haïtien et aux Cayes. Ces informations restent à confirmer.
Une manifestation anti-gouvernementale de l'opposition démocratique qui était prévue pour le 12 février à Port au Prince, avait été annulée en raison des violences exercées sur les manifestants présents au point de ralliement. Cette manifestation a finalement eu lieu le dimanche 15 février, mais la violence était encore présente. Selon Haïti Solidarité Internationale, des personnes s'étaient infiltrées parmi les manifestants pacifiques, en trouvant des prétextes pour brandir des armes et provoquer la violence ; des chimères armés, dans des voitures privées, ont utilisé des enfants comme boucliers dans l'attaque des manifestants ; enfin un groupe de 6 personnes dont un étudiants identifié ont été ramassées par un véhicule de la police sans plaque d'immatriculation.
Le vendredi 13 à Washington, une rencontre a eu lieu entre responsables américains, canadiens, bahaméens, jamaïquains et de l'OEA pour discuter de la crise haïtienne. Les participants ont réaffirmé qu'ils ne partageaient pas l'idée de forcer le chef de l'Etat haïtien à abandonner le pouvoir. Néanmoins, ils invitent le président Jean Bertrand Aristide à prendre des mesures sérieuses pour résoudre la crise. "Nous n'accepterons aucune issue qui se traduirait par un départ illégal du président élu d'Haïti", a déclaré le secrétaire d'état américain Colin Powell, en précisant aussitôt : "Ce que nous attendons du président Aristide maintenant, ce sont des actes et pas seulement des paroles de soutien" aux propositions de la communauté internationale pour faire revenir le calme.
La possibilité de l'envoi d'une force étrangère en Haïti aurait été également discutée. "Nous n'avons pas discuté ici d'un plan pour une intervention militaire ou tout autre forme d'intervention", a assuré Colin Powell. Le secrétaire d'Etat a toutefois admis la possibilité d'envoyer un "nombre modeste" de policiers étrangers à titre d'assistance, si les parties haïtiennes parvenaient à une solution politique et en faisaient la demande. Selon l'Agence Haïtienne de Presse, les USA fourniraient des moyens mais pas de personnel. Pour sa part, le secrétaire d'état à la Communication, Mario Dupuy, a fait savoir que des policiers internationaux seraient déployés dans le pays en conformité à l'accord passé avec l'Organisation des Etats Américains (OEA).
La Plate-Forme Démocratique exprime son inquiétude face aux informations faisant croire que les Etats-Unis et le CARICOM envisagent de dépêcher une force en Haiti en vue de rétablir la paix. Micha Gaillard indique que cette mesure confirmerait la position partisane de la communauté internationale à l'égard du pouvoir lavalas.
En dehors de la réunion de Washington, les déclarations internationales sur Haïti se multiplient. La France a demandé‚ vendredi, un arrêt des violences en Haïti, insistant pour que le gouvernement empêche l'intervention de groupes armés contre les manifestations pacifiques. "La France réitère son appel à toutes les forces en présence en Haïti à s'abstenir de recourir à la violence et à respecter les droits fondamentaux de la personne", a déclaré le porte-parole du ministère français des Affaires Etrangères, Cécile Pozzo di Borgo. La Jamaïque a annoncé qu'elle ne reconnaîtrait pas le nouveau gouvernement haïtien si Jean-Bertrand Aristide était renversé. De son côté, le représentant des Bahamas, si il reconnaît une situation préoccupante, pense que le pouvoir du président Aristide n'est pas menacé.
Les USA, par l'intermédiaire de plusieurs représentants du Département d'Etat, ont fait des déclarations apparemment contradictoires. L'une d'elle, rapportée par l'Agence de presse Reuters estime que des propositions pour une résolution étaient en discussion, impliquant le départ de Jean-Bertrand Aristide. La citation, traduite dans un article de Radio Métropole est la suivante « Il est clair qu'à partir du genre de propositions qui ont été faites et les discussions tenues quand on parlait de changement à faire en Haïti, inclues vraiment un changement sur la position d'Aristide ». Des déclarations de Colin Powell ne vont pas dans le même sens, il a assuré que les Etats-Unis ne souhaitent pas un changement de régime.
L'Internationale Socialiste, réunie à Madrid les 7 et 8 février sur « les problèmes de sécurité et de démocratie dans le monde », a décidé « d'envoyer, en urgence, une mission spéciale en Irak et en Haïti ». Le Parti Socialiste français, quant à lui, demande à la communauté internationale d'envisager, comme ce fut le cas pour le Kosovo et le Timor Oriental, les mesures appropriées pour aider le peuple haïtien à recouvrer pleinement ses droits à la sécurité, à la liberté politique, à la justice et à la démocratie.
Accentuation du risque de catastrophe humanitaire
L'ONU, qui craint une grave crise humanitaire, a annoncé mercredi par la voix de son secrétaire général, Kofi Annan, une mission d'évaluation pour « aider à faire face aux besoins humanitaires » et « appuyer les efforts politiques en cours de l'OEA et de la CARICOM ». De plus, dans une conférence de presse donnée vendredi, le Coordinateur résident des Nations Unies, Adama Guindo, a demandé d'avoir à nouveau accès, le plus vite possible, aux régions du nord d'Haïti, autour de Port-de-Paix, Cap-Haïtien et Fort Liberté. Il demande à la police et aux rebelles armés l'ouverture d'un corridor humanitaire. Depuis la prise des Gonaïves, les convois d'essence et de nourriture ne peuvent se rendre dans la partie nord du pays, où la population a déjà été gravement affectée par les inondations des derniers mois. L'ONU s'inquiète notamment de la pénurie de carburant et de son impact sur les hôpitaux et l'approvisionnement en eau potable. Le porte parole de l'Unicef à Genève, a rappelé que la situation humanitaire se détériorait, à partir d'une situation déjà mauvaise et que près de 23% des enfants de moins de 5 ans soufrent de malnutrition chronique (4,5 % de malnutrition élevée).
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) s'est déclaré vendredi "particulièrement préoccupé par les incursions de personnes armées dans les établissements médicaux" en Haïti, dans un communiqué publié à Genève.
Certains gouvernements, comme ceux des Etats-Unis, du Canada et de la France, recommandent à leurs ressortissants de quitter le pays, si ils peuvent le faire dans des conditions sécurisées. Ils déconseillent les voyages en Haïti actuellement, sauf impératif.
Le Groupe d'Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR) s'inquiète vivement de la détérioration actuelle de la situation socio-politique et de la violence meurtrière qui poussent de plus en plus de personnes à fuir leurs domiciles. Sur l'ensemble du territoire d'Haïti, des déplacements importants de population s'effectuent par terre ou par mer, suite à des actions punitives de groupes armés ou suite à certaines interventions dites de "rétablissement" ou de "maintien" de l'ordre. Le GARR réclame la protection des espaces humanitaires, tels les centres hospitaliers du pays, ainsi que le libre accès des organisations humanitaires et de défense des droits humains dans les zones de conflit. Le GARR exhorte les gouvernements étrangers, en particulier ceux de la République Dominicaine et des Etats-Unis d'Amérique, à un accueil des candidats réfugiés conforme à la Convention de Genève et à la cessation de tout rapatriement vers Haïti.
D'après des organisations humanitaires citées par l'agence de presse Reuters, les Etats-unis préparent actuellement la base cubaine de Guantanamo pour recevoir jusqu'à 50 000 haïtiens qui pourraient chercher à quitter le pays en raison des violences politiques. Pendant le coup d'Etat militaire de 1991-1994, la base avait déjà accueilli 30 000 réfugiés haïtiens.
La militante des droits de l'Homme, de l'Institut Mobile d'Education Démocratique (IMED), Kettly Julien, arrêté vendredi 6 février sous l'accusation de complot contre la sûreté de l'Etat, a été relâchée le 9 février. Il s'est avéré, selon Haïti Solidarité Internationale, que l'arrestation visait en fait Edouard Petithomme, que Kettly Julien convoyait en compagnie de membres de sa famille vers une association. Edouard Petithomme, ancien directeur de la police de l'Artibonite, est lui toujours en prison, sous l'accusation de complot contre la sûreté de l'Etat.
La radio privée Vision 2000 dont fait partie le journaliste Alex Régis, qui avait essayé la semaine dernière d'interroger Aristide sur ses intentions, a vu une de ses stations relais incendiée dans la nuit du 7 au 8 février. Selon les témoignages diffusés par Radio Vision 2000 cet acte a été perpétré par des policiers flanqués d'un ancien député lavalas, Nahoum Marcelus, et de civils armés.
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