Une Semaine en Haïti – n° 690Lundi 23 février 2004

Les anciens militaires se sont emparés facilement du Cap-Haïtien

L'opposition mise sous pression pour accepter un plan international

Jean-Bertrand Aristide appelle la police à lutter contre les rebelles armés

Des opposants et des journalistes menacés et agressés

La France demande à ses ressortissants de quitter Haïti

>>>Les anciens militaires se sont emparés facilement du Cap-Haïtien

Jeudi 20 février, un vent de panique avait soufflé sur le Cap-Haïtien à la suite de la rumeur de l'arrivée d'un bateau transportant des rebelles armés. Les policiers avaient dans un premier temps abandonné leur commissariat. Cet épisode a pu convaincre les rebelles armés qu'il était possible de s'emparer rapidement de la seconde ville du pays. C'est ce qu'ils ont fait dimanche 22 février avec semble-t-il, environ deux cents hommes. Ils affirment n'avoir rencontré de véritable résistance qu'à l'aéroport, où les affrontements auraient fait huit morts. Des partisans armés du régime, dont des policiers et l'ancien député Nahoum Marcellus, se seraient auparavant emparés de force d'un petit avion pour s'enfuir.

Des témoins ont décrit des scènes de liesse au Cap Haïtien, comme cela s'est également passé dans d'autres villes. Des journalistes ont vu trois cadavres dans les rues de la ville. Le commissariat, l'aéroport, des entrepôts et certains domiciles ont été pillés par la population. 200 détenus ont été libérés. Deux radios favorables au pouvoir ont été saccagées. Lundi, des présumés « chimères » auraient été arrêtés.

Les jours précédents, l'ex armée cannibale des Gonaïves avait formé avec les anciens militaires et paramilitaires qui l'ont rejointe le Front de Résistance pour la Libération et la Reconstruction d'Haïti. L'ancien commissaire Guy Philippe, dont un des objectifs est la reconstitution de l'armée, avait été nommé commandant militaire du Front. Il affirme maintenant qu'il pourra prendre le contrôle de Port-au-Prince dans deux ou trois jours et de tout le pays en deux semaines. Mais on ignore de quelles forces il dispose réellement. A Port-au-Prince, nombreux sont ceux qui se demandent comment des hommes très surveillés ont pu franchir la frontière dominicaine.

Il n'a fallu que quelques jours aux rebelles armés pour prendre le contrôle des départements du centre et du nord-est. Ils se déplacent sans cesse d'une ville à l'autre et n'ont rencontré de difficultés que dans la prise du commissariat de Hinche, où deux policiers, dont le chef départemental de la police du Centre, ont été tués. Dans de nombreuses localités les policiers avaient déserté leurs poste depuis plusieurs jours. Dans certains cas, notamment à Fort Liberté, il semble qu'une partie de la population se soit insurgée et ait pillé les commissariats abandonnés. Dimanche matin, des insurgés ont attaqué de nuit un commissariat situé à Poste Cazeaux, à 20 kilomètres au nord de la capitale, mais les forces fidèles au gouvernement en ont repris le contrôle.

>>> L'opposition mise sous pression pour accepter un plan international

La prise du Cap Haïtien n'est pas faite pour inciter l'opposition à accepter le plan international présenté samedi 21 février par des représentants des Etats-Unis, du Canada, de la France, de l'OEA et de la Caricom. Un de ses dirigeants, Evans Paul (KID), a expliqué qu'en apparaissant comme alliée à Jean-Bertrand Aristide, l'opposition démocratique aurait moins de chance d'obtenir le désarmement des rebelles.

Le plan international proposé samedi a par contre été accepté par écrit par Jean-Bertrand Aristide. Il n'est pas très différent de celui présenté par la CARICOM. Jean-Bertrand Aristide resterait en place jusqu'en 2006. L'idée nouvelle est la création d'un groupe de trois personnes représentant non seulement le président haïtien et l'opposition mais aussi la communauté internationale. Ce groupe serait chargé de nommer un conseil censé traduire la diversité de la société haïtienne. Ce conseil participerait à la nomination d'un nouveau premier ministre, neutre et indépendant, et d'un gouvernement. Le nouveau premier ministre serait chargé de superviser le désarmement de tous les groupes armés. Les forces de police seraient réorganisées et entraînées sous le contrôle de l'ONU ou de l'OEA.

La délégation internationale avait donné à l'opposition jusqu'à lundi 17h pour répondre favorablement et sans modification à son plan de sortie de crise. Lundi, elle a reporté de 24 heures son ultimatum et soumis à l'opposition une version amendée du plan initial. Selon des diplomates, il prévoit désormais un départ du chef de l'État s'il ne se conforme pas à ses engagements. L'opposition a présenté un "contre-plan" prévoyant la démission de Jean-Bertrand Aristide le 18 mars . D'ici là, un conseil des sages, auquel participerait le parti du président, choisirait un nouveau premier ministre sur une liste proposée par l'opposition. André Apaid Junior a lancé un appel à la non violence pour éviter des règlements de compte et des actions de pillage contre les proches du régime.

Les pays et organisations internationales engagés dans une médiation en Haïti sont prêts à donner par écrit des garanties pour la mise en oeuvre du plan qu'ils ont présenté et pourraient envoyer des forces de police, a indiqué le département d'Etat américain.

>>> Des opposants et des journalistes menacés et agressés

Jeudi 20 février, le président Aristide a appelé la police à lutter contre les insurgés. « Plutôt mourir que de céder aux pressions des rebelles » a-t-il affirmé. Il a néanmoins déclaré que les policiers qui s'étaient replié avaient eu raison de le faire. Selon lui, "il y a beaucoup de bluff dans les déclarations" des insurgés. "C'est une guerre psychologique pour vous démobiliser, pour vous faire peur", a-t-il dit à l'intention des forces de l'ordre. Dimanche, il a reçu les reines du carnaval et a expliqué que danser ne signifie pas être insouciant. L'atmosphère s'est toutefois tendue dans la capitale quand une fillette de 12 ans a été tuée par une explosion au milieu des célébrations.

Le premier ministre a appelé les pays avec lesquels Haïti a conclu des accords de lutte contre le terrorisme à assumer leurs responsabilités. Il a annoncé l'envoi de renforts de police en direction du Cap Haïtien. Des unités d'élite de la police se trouveraient à Mirebalais. Des partisans du pouvoir ont érigé des barricades dans la capitale, notamment autour de la résidence présidentielle.

>>> Menaces et agressions contre des opposants et des journalistes

Selon le Centre oecuménique des droits de l'homme, le 15 février, un commando armé au service du maire de Milot a abattu de sang froid Gitz Adrien Salvant après l'avoir sorti de force d'un autobus public. Critique à l'égard du pouvoir, il était le frère d'un animateur de radio très connu dans le département du Nord.

A Saint- Marc, 7 résidences de sympathisants de l'opposition ont été incendiées le 20 février, selon des journalistes locaux. La veille, deux employés seraient morts dans l'incendie d'un magasin appartenant au représentant de la Chambre de commerce de Saint-Marc dans le Groupe des 184.

Le secrétaire d'Etat à la communication Mario Dupuy aurait qualifié les media indépendants d' « attachés de presse terroristes ». La semaine dernière, plusieurs journalistes, notamment étrangers, ont été menacés ou agressés. Un journaliste haïtien, Pierre Elisem, a été grièvement blessé par balles samedi alors qu'il se rendait dans le Nord.

A Port-au-Prince, une vingtaine de personnes ont été blessées le 20 février, lorsque des partisans du régime ont ouvert le feu sur plusieurs milliers de manifestants. Parmi les victimes figurent un journaliste haïtien, Claude Bellevue de la station Radio Ibo et plusieurs journalistes étrangers.

Les contestataires à l'intérieur de Lavalas sont également visés par les menaces. Le sénateur Louis Gérard Gilles, accusé de déstabiliser le pouvoir, s'est mis à couvert. L'ancien sénateur Prince Sonson Pierre a décidé quant à lui de se réfugier à l'étranger.

  >>> La France demande à ses ressortissants de quitter Haïti

La France demande à ses ressortissants, dont la présence n'est pas indispensable, de quitter Haïti, a annoncé, lundi 23 février, le ministre des affaires étrangères, Dominique de Villepin sur une station de radio. Selon lui, « Il faut se mobiliser sur le plan humanitaire et sur le plan international". "Il y a une dimension "droits de l'homme" très importante et nous pensons qu'il faut envoyer des émissaires de la commission des droits de l'homme pour faire le point des responsabilités", a-t-il souligné. A propos de sa récente suggestion, qui n'a pas emporté l'adhésion, d'envoyer une force internationale de paix en Haïti, le ministre a déclaré : "On ne peut agir dans un pays en crise tant que les acteurs n'ont pas accepté de dialoguer".

>>> EN BREF

Le regroupement démocratique et populaire, qui réunit 35 organisations, notamment les associations féministes, la PAPDA, Tet Kole Ti Peyizan et le COREGA, a lancé un appel la semaine dernière. Il demande au secteur démocratique de rejeter toute forme d'alliance avec le FRAPH tout en continuant à lutter contre « le régime sanguinaire d'Aristide et de Lavalas ». Les organisations féministes de la CONAP estiment qu'Aristide et le régime Lavalas portent l'entière responsabilité de la réapparition des macoutes et du FRAPH sur la scène politique haïtienne.

Les Etats-Unis ont donné l'ordre à leurs diplomates jugés non-essentiels de quitter le pays. 50 marines sont venus renforcer la sécurité de leur ambassade.

Pour protester contre l'ensemble des violations des droits de l'Homme en Haïti, l'Initiative franco-haïtienne contre la dictature en Haïti appelle à manifester samedi 28 février 2004 à 15 heures, de la Maison de la Radio ( M° Passy ) à l'esplanade des Droits de l'Homme ( M° Trocadéro ).


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