Une Semaine en Haïti – n° 692– Lundi
08 mars 2004
Jean-Bertrand Aristide affirme ne pas avoir démissionné
Démarrage du plan de sortie de crise
Manifestation meurtrière à Port au Prince
Mise en place de la force multinationale
Incertitude au sujet des rebelles
Jean-Bertrand Aristide affirme ne pas avoir démissionné
Parti d'Haïti dimanche dernier après la signature de sa lettre de démission, l'ancien président Aristide rejette les affirmations de Washington selon lesquelles, il serait parti volontairement. Il accuse les forces américaines d'avoir perpétré une sorte de coup d'Etat, il compare son départ « forcé » à un enlèvement. Selon lui, « il y a un papier qui a été signé pour éviter un bain de sang, mais il n'y a pas une démission formelle selon les normes ».
Le président de la communauté des caraïbes (Caricom) a réclamé mercredi l'ouverture d'une enquête indépendante sur ce départ, estimant qu'il s'agissait d'un dangereux précédent pour les démocraties. La ministre Sud Africaine des Affaires Etrangères a fait une demande similaire.
Accusé de complicité par Jean-Bertrand Aristide, la France, par la voix de son ministre des Affaires Etrangères, indique que « les choses sont très claires, il n'y a aucune matière à polémique. Nous avons dit que le président Aristide était face à ses responsabilités, il les a prises. « Vendredi, l'avocat français Gilbert Collard a affirmé à l'AFP que M. Aristide envisageait de porter plainte contre l'ambassade de France en Haïti pour le « rapt international » dont il a été victime.
Installé provisoirement à Bangui, capitale de la République Centrafricaine, Jean-Bertrand Aristide pourrait y rester jusqu'au 14 avril, en raison d'échéances électorales en Afrique du Sud, pays pressenti pour l'accueillir. La présence de Jean-Bertrand Aristide en Centrafrique commence à poser problème. En effet, son avocat a mis en question les conditions d'accueil de l'ex-président haïtien et ce dernier, par ces déclarations à la presse mettant en cause la France et les Etats-Unis, embarrasse les autorités centre-africaines.
Démarrage du plan de sortie de crise
Le nouveau président par intérim, Boniface Alexandre (président de la Cour de Cassation), a nommé mercredi, un nouveau directeur général de la police, Léonce Charles, à la place de Jocelyne Pierre. M. Charles dirigeait auparavant le corps de la Marine haïtienne. Ancien commandant des gardes-côtes, on le dit proche des américains, avec qui il a longtemps collaboré dans la lutte contre le trafic de drogue. D'autre part, le nouveau président a demandé à la Banque Centrale de geler les comptes bancaires du gouvernement, ainsi que ceux des autres institutions de l'Etat, à l'exception des comptes gérés par le Premier ministre.
De son côté, Yvon Neptune, l'actuel Premier ministre, a appelé les fonctionnaires et les banques commerciales à reprendre le travail. Il a confié le sujet de la sécurité à une commission ad hoc et a décrété l'état d'urgence pour le pays. Yvon Neptune, comme Alexandre Boniface ont, à nouveau, appelé les groupes armés à déposer les armes.
Dans le même temps, la commission tripartite, prévue dans le plan de sortie de crise proposé par la communauté internationale samedi dernier, a été mise en place mercredi. Les trois secteurs concernés ont nommé leur représentant pour cette commission : Paul Denis (dirigeant de l'OPL) pour la Plate-forme démocratique, Leslie Voltaire (ministre des Haïtiens vivant à l'Etranger) pour le gouvernement et Adama Guindo (représentant permanent des Nations Unies) pour la communauté internationale. Cette commission avait pour rôle de former le Conseil des sages qui sera en charge de la nomination du premier ministre et participera à la nomination du nouveau gouvernement. Ce Conseil, désigné vendredi, comprend Anne-Marie Issa (secteur privé), Lamartine Clermont (Église Catholique), Danielle Magloire (Droits Humains), Ariel Henry (Plateforme Démocratique), Jean Mcdonald (Église Anglicane), Christian Rousseau (Université), et Simon-Paul Emile (Famille Lavalas). Ces personnalités se sont réunies dés vendredi au siège de l'OEA, pour entamer le processus de désignation du Premier ministre, qui devrait être connu ce mardi 9 mars. Deux noms reviennent régulièrement : le général Hérard Abraham (ex commandant en chef de l'armée) et Smarck Michel (ex Premier ministre de Jean-Bertrand Aristide, 1994-1995).
Mise en place de la force multinationale
La force internationale décidée par le Conseil de Sécurité de l'ONU se compose actuellement de 1200 américains, 600 français, 100 canadiens et 134 chiliens. Cette force internationale sera remplacée par 5 000 casques bleus d'ici 2 à 3 mois. Le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a estimé que la stabilisation de la situation pourra prendre plusieurs années. Il espère que la communauté internationale aura la patience d'y travailler.
Le commandement, assuré d'abord nationalités par nationalités, est depuis le 5 mars un commandement unique américain. La relève devrait être prise par le Brésil, quand les casques bleus seront arrivés.
La Caricom a décidé de ne pas fournir de troupes à la force internationale, déçue que le Conseil de Sécurité ait ignoré son appel urgent du 26 février.
La force s'est appliquée dans un premier temps à sécuriser les ressortissants étrangers et les actions humanitaires. Se cantonnant les premiers jours au palais national, au bureau du Premier ministre et aux sites clefs, ports et aéroports, sans se risquer dans les quartiers populaires, elle s'est étendu à la province depuis le 5 mars (Cap Haïtien et Gonaïves) et apporte son appui à la police haïtienne.
Manifestation meurtrière à Port au Prince
Les partisans d'Aristide, se plaignant d'être pourchassés par les « rebelles » se montraient discrets, mais les 3, 4 et 5 mars 1 000 à 20 000 d'entre eux (selon les sources), jeunes pour la plupart, ont afflué des bidonvilles de la Saline et Cité Soleil, conspuant les noms des présidents américains et français. La police était absente, les manifestations n'ont apparemment donné lieu à aucun incident.
Le dimanche 7 mars, deux manifestations étaient organisées à Port au Prince, une par les dirigeants de l'opposition, partie de Pétion-Ville en direction du palais national, l'autre par les partisans de l'ancien président à partir de Cité Soleil vers le centre ville.
Les soldats de la force internationale, ainsi que la police haïtienne, étaient sur le pied de guerre pour empêcher que les deux manifestations ne tournent à l'affrontement. La manifestation fêtant le départ d'Aristide s'est déroulée pendant 4 heures sans incident, jusqu'à ce que des coups de feu soient tirés sur les manifestants, aussi bien de l'intérieur de la foule que de l'extérieur. Les témoins interrogés ont attribués ces tirs, qui firent au moins 6 morts et 34 blessés, à des chimères lourdement armées.
Suite à ces évènements, la police nationale d'Haïti et la force militaire américano-française ont été mises en accusation. Selon Micha Gaillard, responsable socialiste de l'opposition, "la population manifestait pacifiquement en ayant confiance en la police haïtienne et dans la force de sécurité internationale, malheureusement elles n'ont pas agi".
Une dépêche AFP nous apprend ce lundi, qu'une des personnes a été tué par un soldat américain, ripostant à une attaque.
Incertitude au sujet des rebelles
Les rebelles du nord ont fait leur entrée à Port au Prince le lundi 1 er mars. Après avoir été ovationné par la foule, ils ont pris le contrôle du bâtiment qui abritait l'ancien quartier général de l'armée, à proximité du palais national.
Mardi, ils ont défilé lourdement armés dans les rues de Port au Prince, acclamés par plusieurs centaines de personnes. La confusion régnait sur le rôle exact des rebelles dans la suite de la crise, Guy Philippe affirmant tour à tour qu'il était le nouveau chef militaire mais qu'il suivrait les ordres du président légal.
Le même Guy Philippe a rencontré un général de l'armée américaine, Mark Garganus, mercredi. De source diplomatique, on a appris que ce dernier, conformément aux déclarations américaines de la veille, a demandé à Guy Philippe de désarmer ses troupes, et d'abandonner toute ambition de contrôler Haïti. De son côté la Plate-forme démocratique, par la voie de Evans Paul, déclarait lundi que la reconstitution des anciennes Forces Armées d'Haïti était d'actualité. Il a cependant ajouté qu'il serait immoral de passer l'éponge, au nom de la politique, sur le « passé criminel de Louis Jodel Chamblain », ancien du groupe paramilitaire FRAPH. Chenet Jean-Baptiste, ancien responsable de la POHDH, dans une lettre adressée aux organismes haïtiens de droits humains, demande de rompre le silence sur la situation actuelle. Silence qui « risque de devenir assassin de l'histoire et de la mémoire de milliers de victimes des Forces Armées d'Haïti et du FRAPH ».
Dans cette même journée de mercredi, Guy Philippe a appelé ses hommes à déposer leurs armes et à se mettre à la disposition du nouveau président de la république. Il a déclaré « Nous avons reçu la garantie que la démocratie serait mise en oeuvre à Haïti ». D'après l'AHP, tous les rebelles n'auraient cependant pas encore déposé les armes.
De plus, à l'issue de la manifestation sanglante de ce dimanche, Guy Philippe s'est dit prêt à reprendre les armes. « Si personne ne prend ses responsabilités, je prendrais les miennes », a-t-il déclaré.
Dans le pays les activités reprennent petit à petit. Jeudi 4 mars, la Banque de la République d'Haiti (BRH) et l'Association Professionnelle des Banques (APB) a annoncé la reprise progressive et ordonnée des activités bancaires. Près d'une soixantaine de magasins, de supermarchés, de banques, de stations-service et d'agences de produits pharmaceutiques ont été pillés par des casseurs. Ces derniers s'en sont également pris à des entreprises du secteur assemblage et à des bureaux publics tels la CAMEP. Le Premier ministre sortant, Yvon Neptune, a estimé à 300 millions de dollars américains les pertes subies par l'Etat et les particuliers. Jeudi 4, les activités reprenaient. Les compagnies aériennes reprennent progressivement leurs vols pour Haïti. Air Canada le 6 mars, Air France le 7 et American Airlines le 9 mars.
Mercredi les vols humanitaires reprenaient alors que la Croix-Rouge demandait 3 millions d'euro pour des projets d'urgence dans les 4 prochains mois et que l'Union Européenne décidait une aide d'urgence de 1.8 millions d'euro.
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