Une Semaine en Haïti – n° 693 – Lundi
15 mars 2004
Gérard Latortue nommé premier ministre
Débat sur la composition et le rôle du prochain gouvernement
Interrogations sur les intentions des partisans de Lavalas
Haïti gèle ses relations avec la Jamaïque
>>> Gérard Latortue nommé premier ministre
Mardi 9 mars, le Conseil des Sages formé la semaine précédente a choisi Gérard Latortue comme premier ministre. Agé de 69 ans, il était consultant financier ces dernières années. Il fut ministre des Affaires étrangères de Leslie Manigat en 1988, et retourna vivre en Floride après son renversement. Il a travaillé de 1972 à 1994 au sein de l'Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel (ONUDI).
Les candidatures d'autres personnalités avaient été soumises au Conseil des Sages. dont celle de l'ex général Abraham et de l'ancien premier ministre Smark Michel. Le choix de Gérard Latortue est le "résultat consensuel de longues délibérations", a précisé l'un des membres du Conseil des Sages, Danièle Magloire.
Gérard Latortue considère qu'il devra rester en poste durant une période de transition de deux ans. Il a indiqué qu'il compte sur l'apport de la force internationale présente en Haïti pour « professionnaliser et dépolitiser la police » mais espère qu'elle «restera le moins longtemps possible ». Il propose une aide immédiate au secteur privé frappé par les pillages et les incendies.
L'ex général Abraham est rentré en Haït dans le même avion que Gérard Latortue, qui semble vouloir en faire son ministre de l'Intérieur. C'est un chaud partisan de la reconstitution de l'armée. Par contre, Gérard Latortue a exprimé son scepticisme concernant ce projet. Quant au Front de résistance pour la Libération et la Reconstruction d'Haïti, il demande dans l'immédiat la création "d'un corps spécial dans la police" pour réintégrer les soldats de l'armée dissoute en 1995.
Gérard Latortue a été investi vendredi 12 mars par
le président par intérim Boniface Alexandre. Il a annoncé qu'il
lui soumettrait au président la composition du nouveau gouvernement
au plus tard le mardi 15 mars.
>>> Débat sur la composition et le rôle du prochain gouvernement
Gérard Latortue a promis de mettre en place « un gouvernement de consensus national » et indiqué que ses critères de choix seront « la compétence, l'honnêteté et l'engagement ». Le Front de résistance a rappelé au président Boniface Alexandre sa contribution dans le renversement de l'ancien régime et indiqué être prêt à participer à la construction du pays.
La Coordination nationale de plaidoyer pour les droits des Femmes (CONAP)
a adressé une lettre ouverte à Gérard Latortue qui reflète
les préoccupations de nombreux secteurs de la société.
Elle demande notamment que la mise en place du nouveau gouvernement se fasse
dans la transparence et que la population soit informée des noms dont
discutent le premier ministre et le Conseil des sages. Selon la CONAP, il
est ainsi hors de question qu'un ancien ministre ou un ancien directeur général
d'Yvon Neptune retrouve un poste.
>>> Interrogations sur les intentions des partisans de Lavalas
Après la mort de six personnes tuées par balles le 7 mars, à la fin de la manifestation de la Plate-forme démocratique, un des responsables du Groupe des 184, l'industriel Charles Henri Baker, a accusé le premier ministre Yvon Neptune. Des militants Lavalas ont rétorqué en accusant leurs adversaires de préparer l'opinion à une opération meurtrière contre les membres d'organisations populaires. D'autres voient dans la tuerie la main de Guy Philippe, qui voudrait avoir un prétexte pour maintenir ses hommes armés.
Lors d'une conférence de presse tenue le 8 mars à Bangui, Jean-Bertrand Aristide a appelé les Haïtiens à une résistance pacifique à l'occupation du pays. Mais à plusieurs reprises, la semaine dernière, des soldats américains qui patrouillaient dans les rues de Port-au-Prince ont été la cible de tirs. Un marine a été blessé par balle dimanche dans le quartier de Bel Air. Plusieurs entreprises et commerces ont été attaqués. Ces actions sont en général attribuées à des « chimères ».
Interrogé sur les violences imputées aux partisans de Jean-Bertrand Aristide, le président du Sénat, Yvon Feuillé a avancé une explication. "Les partisans d'Aristide souffrent: la peur et le désespoir sont deux facteurs qui empêchent la création d'un climat d'apaisement".
"Quoi que nous fassions, il faut que ce soit par le dialogue et la réconciliation", a-t-il ajouté. Interrogé sur le statut de l'ancien chef d'Etat, Yvon Feuille a souligné que « le président de transition est Boniface Alexandre, parce qu'Aristide est hors du pays ». Il a ajouté qu'il restait à établir si l'ex président avait réellement démissionné ou s'il avait été "forcé à quitter le pays". Selon l'AHP, il a souligné que si l'on veut effectivement aboutir à un apaisement il faut qu'on cesse de traquer les partisans de Lavalas. Depuis son départ, les partisans de Jean-Bertrand Aristide ont manifesté à plusieurs reprises dans les rues de Port-au-Prince pour réclamer son retour. Le 11 mars, la CIMO a dispersé violemment une manifestation à proximité du palais national. Deux personnes auraient été blessées par balles.
Le quotidien français Le Monde a indiqué que d'après les informations de Dany Toussaint, confirmées par un important responsable de Lavalas, Jean-Bertrand Aristide maintient un fréquent contact téléphonique avec des proches restés à Port-au-Prince. Ils lui serviraient de courroie de transmission avec les « chimères ». Dans la capitale, il y a 126 « bases » de « chimères », regroupant environ 500 « soldats », a indiqué Dany Toussaint en précisant que les plus dangereux, moins de 200, sont bien armés et entraînés.
Le 12 mars, après avoir remis la démission de son cabinet
au président Alexandre Boniface, le premier ministre sortant, Yvon
Neptune, s'est prononcé en faveur du désarmement de tous les
civils armés. Il a promis de collaborer avec les nouveaux responsables
pour récupérer les armes illégales. Il a fait part de
son intention de rester en Haïti malgré des «menaces » contre
sa personne. Sa maison, comme celle de Jean-Bertrand Aristide et d'autres
dignitaires Lavalas, ont été pillées. Sous la résidence
de l'ex président, certains de ses partisans ont découvert,
dans un souterrain secret, un coffre fort contenant encore environ 2000 billets
de cent dollars, rendus presque illisibles par la moisissure.
>>> Haïti gèle ses relations avec la Jamaïque
A l'invitation du premier ministre Percival Patterson, Jean-Bertrand Aristide a l'intention de passer une dizaine de semaines en Jamaïque, où il devrait notamment retrouver ses filles, actuellement en Floride. Une délégation constituée de personnalités américaines et jamaïcaines est venue le chercher à Bangui le 14 mars. La présence de l'ex président à 180 kilomètres d'Haïti fait craindre une exacerbation des tensions.
Gérard Latortue a annoncé le gel des relations avec la Jamaïque et le rappel de l'ambassadeur haïtien à Kingston. Paul Denis, l'un des trois membres du comité tripartite formé après le départ de l'ancien président a déclaré qu'il sera immédiatement arrêté s'il remet les pieds en Haïti. Les organisations haïtiennes membres de l'Assemblée des Peuples de la Caraïbe ont demandé aux « organisations sœurs » de la région « de tout mettre en œuvre pour empêcher que soit accueilli Monsieur Aristide à la Jamaïque parce que cette présence est lourde de menaces pour le peuple haïtien ». A Washington, la conseillère pour la sécurité nationale Condoleeza Rice a estimé que ce voyage était "une très mauvaise idée".
L'avocat français de Jean-Bertrand Aristide, Me Gilbert Collard, a annoncé, qu'il allait porter plainte dans les prochains jours contre les ambassadeurs français et américain à Port-au-Prince, Thierry Burkard et James Foley, accusés d'avoir participé à l' "enlèvement et la séquestration" de son client. L'ancien ambassadeur français, Yves Gaudel, de même que l'écrivain Régis Debray et la sœur du ministre des affaires étrangères Dominique de Villepin, Véronique Albanel, sont aussi concernés par la plainte. Régis Debray est retourné en Haïti le 11 mars pour une nouvelle mission sur les relations franco-haïtiennes.
>>> EN BREF
Les quelque 1600 soldats nord-américains présents en Haïti ont reçu pour nouvelle consigne d'intervenir pour mettre fin aux violences. A plusieurs reprises, ils ont ouvert le feu sur des personnes soupçonnées de leur avoir tiré dessus ou d'avoir des « intentions hostiles ». Depuis leur arrivée, ils ont tué six personnes selon l'agence Reuters.
Au Cap Haïtien, on est sans nouvelles, affirme l'AHP, de plus d'une vingtaine de présumés partisans de Fanmi Lavalas qui auraient été enfermés dans un container jeté à la mer après la prise de la ville le 22 février par les « rebelles ». On dispose de peu de détails sur les persécutions dont les partisans de Lavalas affirment être victimes. Le quotidien Le Monde a publié la photo d'un présumé tortionnaire lynché par la foule à Petit Goâve.
En République centrafricaine, Jean-Bertrand Aristide a assisté dimanche 14 mars à une messe célébrant l'anniversaire de l'arrivée au pouvoir du général François Bozizé. Il est devenu président de la République suite au coup d'Etat du 15 mars 2003, date à laquelle fut suspendue la constitution de 1995.
Amnesty International a publié un rapport dressant le portrait de six anciens officiers qui se sont évadés du pénitencier national le jour du départ de l'ancien président : Jean-Claude Duperval, Hébert Valmond, Carl Dorelien, Jackson Joanis, Castera Cénafils, Prosper Avril. Amnesty craint qu'ils puissent obtenir des armes et accéder à des responsabilités leur permettant de commettre de nouvelles atrocités.
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