Une Semaine en Haïti – n° 709Lundi 12 juillet 2004

Réactions contrastées après les 100 premiers jours du gouvernement de transition

Incertitudes sur la réaction de la Caricom

Difficultés de fonctionnement de l'appareil judiciaire et carcéral

Le Brésil lance la diplomatie du ballon pour supporter la campagne de désarmement

Le Conseil Electoral est au complet

Débat autour du « massacre de La Scierie »

•  Réactions contrastées après les 100 premiers jours du gouvernement de transition

De nouvelles réactions aux 100 jours du gouvernement de transition ont été exprimées à l'occasion de la publication du Livre blanc marquant cette étape. Lors d'une cérémonie organisée au Palais National le 6 juillet, le Président et le Premier ministre se sont félicités du travail accompli. M. Latortue a affirmé que son équipe avait « redressé la barque sur le plan fiscal», ce qui devrait ramener la confiance des investisseurs. En apportant « la preuve de la capacité (…) a assurer une gouvernance économique saine et transparente », le premier ministre s'est dit « convaincu que le sérieux de cette équipe gouvernementale va (…) valoir des résultats concrets et une aide substantielle à la réunion des bailleurs de fonds prévue les 19 et 20 juillet ». Le chef du gouvernement en a profité pour annoncer avoir initié des démarches auprès des Eglises en vue de la tenue des Etats Généraux de la Nation, afin que tous les secteurs du pays puissent participer à l'avenir du pays.

Les membres de la classe politique haïtienne et le conseil des sages ont, dans l'ensemble, apprécié le bilan de ces 100 premiers jours. L'amélioration dans la distribution de l'électricité et dans le ramassage des ordures a été saluée ; ainsi que l'absence de persécutions politiques et la reprise de l'école et de l'université (les examens d'Etat ont pu commencer le lundi 5 juillet). Tous ont cependant précisé qu'il restait beaucoup de chemin à parcourir. L'Ambassadeur américain, James Foley s'est dit lui aussi satisfait de l'action réalisée par le gouvernement, notant que l'atmosphère avait changé en Haïti. Il a répété la volonté de la communauté internationale d'accompagner Haïti dans le processus en cours, même s'il a encouragé le gouvernement à garder sa neutralité et s'il reste prudent sur l'arrestation de l'ancien Premier ministre, Yvon Neptune.

Des critiques sont cependant formulées au gouvernement de transition. M. Rousseau, l'un des membres du conseil des sages, souhaite ainsi que l'Etat modifie certaines pratiques. Il faisait état de rumeurs de corruption, ou de certaines pratiques dans les nominations pour les collectivités territoriales par exemple. Une partie de la population n'est pas non plus satisfaite, surtout au sujet de l'insécurité et du coût de la vie. Plusieurs organisations étudiantes (CNEH, GRAFNEH) se déclarent déçues. Elles estiment que l'Etat n'a rien fait et qu'il est indécent de se féliciter de l'amélioration du courant dans la zone de Port au Prince quand le reste du pays subi le black-out. Fanmi Lavalas a également critiqué le bilan de gouvernement, estimant que le pays est actuellement plongé dans le chaos, l'anarchie et la violation des droits de l'homme, et que les conditions de vie des plus défavorisées ne cessent de se dégrader.

•  Incertitude sur la réaction de la Caricom

Mercredi 7 juillet, une session de la Caricom a pris fin à La Grenade. Les leaders de l'organisation régionale ont décidé à cette occasion d'envoyer une mission à Port au Prince, afin d'étudier les possibilités de reprendre les relations diplomatiques avec Haïti. Cette mission, composée de 5 ministres des affaires étrangères, attendus cette semaine, serait un signe de la normalisation des relations d'Haïti avec la Caricom (qui avait refusé de reconnaître le gouvernement de transition).

Les pays de la Caricom apparaissent divisés sur l'attitude à tenir envers Haïti. Saint-Vincent et la Jamaïque s'opposent à un retour d'Haïti dans l'organisation régionale. Les autres pays sont d'un avis contraire mais exigeraient, pour certains, des conditions à ce retour, telles que la date des élections générales et la libération de l'ex-Premier ministre Yvon Neptune.

Ces conditions ont entraîné des réactions indignées dans la société haïtienne, notamment Mgr Guire Poulard qui parle « d'impertinence » de la Caricom. Le Premier ministre a déclaré insensées les demandes formulées, surtout en ce qui concerne la libération de M. Neptune dont le dossier est entre les mains de la justice. Il se dit peu préoccupé par la réaction de la Caricom dans la mesure où son gouvernement est reconnu par les plus grandes instances internationales. Le Ministre des Affaires Etrangères Yvon Siméon, dément les informations rapportées par la presse caraïbéenne sur ces fameuses conditions posées par certains pays. Il affirme que les relations sont en voie de normalisation et que la mission prévue est une réponse à une invitation du gouvernement haïtien.

•  Difficultés de fonctionnement de l'appareil judiciaire et carcéral

Plusieurs voix s'élèvent pour dénoncer les difficultés de fonctionnement de l'appareil judiciaire et carcéral. L'Association Nationale des Magistrats Haïtiens a ainsi constaté que l'appareil judiciaire n'était pas sur la voie du redressement. Les conditions de travail des magistrats sont, pour L'ANAMAH très précaires, assorties de salaires trop peu élevés. L'association dénonce le fait que le ministre de la Justice, Bernard Gousse, travaille peu avec les professionnels du secteur.

Une délégation du gouvernement et de la communauté internationale, s'est rendue au pénitencier national le lundi 5 juillet. Suite à cette visite, Adama Guindo, le représentant du PNUD en Haïti, a annoncé le déblocage de 350 000 dollars US pour la justice et l'administration pénitentiaire. Il constate une dégradation au niveau de l'administration pénitentiaire depuis les évasions en masse le 29 février dernier, ce qui ne permet pas de respecter les droits humains. Cette visite, selon le porte-parole de la Minustha, Toussaint Congo Doudou, fait partie d'un projet des Nations Unies de faire le point sur la situation dans les prisons à travers le pays. Il a précisé que l'ONU ne cherche pas à défendre les officiels de l'ancien régime aujourd'hui en prison.

Les déclarations de M. Guindo ont divisé les organisations des droits humains. Pour la NCHR, qui rappelle le silence des Nations Unies pendant la période lavalassienne, cette constatation est tardive. Elle précise que toute la responsabilité ne peut être mise sur le gouvernement actuel. De son côté le CARLI, est d'avis que l'état de dégradation des centres de détention relève de la responsabilité du gouvernement en place. Il appelle le gouvernement à appliquer la loi en matière de détention.

L'AHP fait état de plusieurs organisations régionales humains qui dénoncent des conditions carcérales anormales aux Gonaïves, au Cap et aux Cayes. Ces organisations dénoncent les conditions logistiques d'accueil des prisonniers, la lenteur de la justice et l'illégalité de certaines arrestations, vues comme des règlements de compte politiques.

•  Le Brésil lance la diplomatie du ballon pour supporter la campagne de désarmement

La prestigieuse équipe de football du Brésil a décidé de s'investir pour aider au retour à la paix civile en Haïti. A l'initiative du Premier ministre Gérard Latortue, la Seleçao devrait disputer le 18 août un match contre l'équipe nationale haïtienne. Les spectateurs obtiendront des billets en échange de leurs armes. Les plus grandes vedettes du "football-samba" comme Ronaldo et Ronaldinho pourraient ainsi venir en Haïti pour cette initiative destinée à épauler les 1.200 casques bleus brésiliens présents sur place dans leur mission de désarmement. Le président brésilien Liuz Inacio "Lula" da Silva pourrait également y assister.

Pour Gérard Latortue, initiateur de cette "diplomatie du ballon contre les armes", la présence d'une poignée de vedettes du football brésilien risque de se révéler bien plus efficace que celle des milliers de casques bleus pour faire déposer les armes des différents groupes armés. Bon nombre de citadins se réjouissent déjà à l'idée de voir évoluer au stade Sylvio Cator les champions du monde. Toutefois, ils font remarquer que la grande majorité de ceux qui voudront ne pas manquer ce rendez-vous historique ne sont pas détenteurs d'armes illégales et craignent que l'organisation de ce match ne soit une occasion en or pour les individus armés de semer le trouble.

De son côté, la MINUSTAH accueille favorablement la contribution sportive du Brésil tout en précisant que plusieurs possibilités sont envisagées pour amener les détenteurs d'armes illégales à coopérer.

Quant au secteur politique et à la société civile, ils s'impliquent eux aussi dans le processus de désarmement en élaborant un document relatif au désarmement et à la réhabilitation sociale des groupes armés. Ce document a été remis le 5 juillet au Premier ministre. Les signataires ont formulé un ensemble de propositions pour garantir un climat de sécurité dans le pays.

Dans le même temps, l'insécurité reste une grande source de préoccupation pour le secteur commercial de la capitale où un autre incendie est survenu le 5 juillet ravageant au moins six dépôts. Depuis plusieurs mois déjà, grands et petits commerçants ne font que dénoncer l'insécurité qui s'installe au bas de la ville où les bandits font la loi obligeant les magasins à fermer leurs portes avant 14 heures.

Le 7 juillet, à l'occasion d'une rencontre en Haïti des ministres de la défense du Brésil, de l'Argentine, du Chili et de l'Uruguay visant à évaluer le processus de déploiement de leurs troupes sur le terrain, le général brésilien Augusto Héléno Pereira a estimé que la MINUSTAH a bien démarré sa mission en Haïti. La MINUSTAH devrait compter en août 6700 soldats et 1622 policiers.

•  Le Conseil Electoral est au complet

Le neuvième membre du Conseil Electoral Provisoire (CEP), Mme Joséfa Raymond Gauthier, une personnalité de la société civile, est entré en fonction après sa prestation de serment, le jeudi 1er juillet 2004, à la cour de cassation. Mme Gauthier remplace le représentant de l'organisation politique Fanmi Lavalas qui avait refusé d'intégrer le CEP en raison, a-t-elle dit, d'une vague d'arrestations et de persécutions politiques enclenchées contre ses membres et sympathisants à travers le pays. Le CEP est désormais au complet.

Fanmi Lavalas a fait savoir qu'il ne reconnaîtra pas les élections que l'actuel CEP se prépare à organiser, élections desquelles, d'après eux, la majorité sera exclue.  Des secteurs ont questionné ces dernières semaines la capacité du nouvel organisme électoral à fonctionner en toute indépendance, en raison du fait que ses différents membres sont issus de partis politiques ou d'organisations de l'ancienne opposition. Selon Fanmi Lavalas, ces secteurs se préparent à organiser des élections programmées en faveur d'un clan politique dans le cadre de ce qu'ils appellent " une démocratie sans  vote" que les technocrates veulent imposer, ont-ils dit, au pays. 

Le Chef du Gouvernement Gérard Latortue se félicite de la décision et souhaite que le CEP se mette à la tâche pour préparer les élections « libres, honnêtes et démocratiques » de 2005. Le secrétaire général et porte-parole du CEP, Rosemond Pradel, salue également cette disposition. Il a indiqué que les conseillers allaient préparer l'agenda électoral mais réclame plus de moyens de fonctionnement afin qu'ils puissent procéder à la mise en place des structures à travers le pays.

Le CEP prévoit un budget de 40 millions de dollars américains pour l'organisation des élections générales qui devraient débuter par les municipales, l'été 2005. Le processus devrait s'achever le 7 février 2006 avec l'entrée en fonction du nouveau Président de la République. La question continue de se poser, dans les milieux politiques, quant au déroulement simultané ou en trois étapes des prochaines élections. Quoiqu'il en soit, c'est le vote électronique qui sera utilisé.

•  Débat autour du « massacre de La Scierie »

Les victimes du massacre du 11 février à Saint Marc approuvent l'arrestation de l'ex-chef du gouvernement lavalas Yvon Neptune et réclament justice. Ils pensent que celui-ci était venu donner l'ordre de mener cet assaut contre les opposants à Lavalas. La tuerie de la Scierie avait fait plus d'une cinquantaine de disparus à Saint Marc.

La mission spéciale de l'Organisation des Etats Américains (OEA) souhaite une procédure judiciaire équitable dans l'affaire de la Scierie. Compte tenu des crimes commis à Saint-Marc et dans d'autres régions du pays et leur impact sur la population civile, la mission spéciale dit soutenir fermement tous les efforts consentis pour déterminer les responsabilités dans ces affaires et note que la présomption d'innocence doit être respectée y compris dans le cas de l'ex-Premier ministre Yvon Neptune. L'OEA termine sa note en soulignant l'importance des procédures judiciaires qui doivent contribuer à la lutte contre l'impunité dans le pays.

Pour sa part, l'organisation des droits humains Justice et Paix a plaidé mardi en faveur de la réalisation d'autres procès sur les différents événements enregistrés à St-Marc en février et mars derniers. Le père Jean Hanssens, responsable de l'organisation, a fait savoir qu'on ne peut pas vouloir se pencher uniquement sur les incidents de la Scierie. Il estime que toute la lumière doit être également faite sur la réaction des partisans de l'ancienne opposition contre les militants Lavalas après l'annonce qu'un massacre avait été perpétré dans cette localité de Saint Marc. 

•  Le groupe des 184 a relancé ses activités par une tournée en Floride, à la rencontre de la communauté haïtienne. La caravane de l'espoir devrait reprendre en Haïti, afin de finaliser le projet de contrat social avant la fin de l'année.

•  La conférence des bailleurs de fonds prévue dans le processus du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) aura lieu les 19 et 20 juillet prochain, à Washington. Ce processus critiqué par un certain nombre d'organisations haïtiennes (manque de concertation, recettes néo-libérales) devrait voir se décaisser plus d'un milliard de dollars en dons et prêts à taux avantageux, d'après le Secrétaire d'Etat américain au trésor.

•  Une cérémonie à la mémoire du directeur d'Air France Haïti, Didier Mortet, assassiné le 24 juin à Port au Prince a eu lieu le lundi 28 juin. La police haïtienne n'exclut toujours aucune hypothèse : tentative d'enlèvement, règlement de compte ou volonté de déstabiliser le pays.

•  Un ex-commissaire divisionnaire, ex-chef du groupe d'intervention de la Police Nationale d'Haïti (Swat team), Romane Lustin a été arrêté le 2 juillet en République dominicaine par les autorités dominicaines et les services anti-drogues des USA. C'est le septième ex responsable de la police ou responsable politique, proche de Jean-Bertrand Aristide, arrêté pour implication présumée dans le trafic de drogue.

•  Le recteur de l'Université d'Etat d'Haïti, Pierre-Marie Paquiot, est revenu en Haïti après une longue absence. Il avait eu les deux jambes fracturées lors de l'attaque de l'Université du 5 décembre 2003. Il appelle la justice à réagir pour punir les auteurs de violence du 5 décembre et se dit prêt à reprendre ses activités.

•  Suite à une mission en juin 2004, l'organisation Reporters Sans Frontières publie un nouveau rapport intitulé « La liberté de la presse retrouvée : un espoir à entretenir ». Si les conditions de travail de la presse se sont radicalement améliorées, RSF note toutefois une différente entre la capitale et la province où règne une certaine auto-censure. Le désarmement est aussi un enjeu important pour la liberté de la presse et le rapport souligne le fait que rien n‘est acquis à l'heure actuelle.

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