Une Semaine en Haïti – n° 711Lundi 02 août 2004

Le gouvernement intérimaire remporte un succès à la conférence des donateurs

Des organisations paysannes craignent une aggravation de la dépendance d'Haïti

Des anciens militaires affirment leur refus d'être désarmés

Première visite du responsable de la mission des Nations unies

L'UNICEF lance un projet d'animation pour 15000 jeunes

 

>>> Le gouvernement intérimaire remporte un succès à la conférence des donateurs

La conférence des donateurs qui s'est tenue à Washington les 19 et 20 juillet constituait un test de crédibilité pour le nouveau pouvoir mis en place après le départ de Jean-Bertrand Aristide. Le chef du gouvernement provisoire haïtien, Gérard Latortue, s'est déclaré "ravi du résultat de cette conférence, qui montre le niveau de solidarité de la communauté internationale avec le peuple de Haïti".

En effet, le montant annoncé de dons et de crédits nouveaux pour les deux prochaines années s'élève à 1085 millions de dollars. C'est 161 millions de plus que les 924 millions que le rapport final du Cadre de coopération intérimaire (CCI) avait estimé nécessaires.

A ce montant s'ajoutent près de 400 millions de dollars déjà engagés ou promis par la Banque interaméricaine de développement (BID), soit un total général de près d'1,5 milliard de dollars.

Le commissaire européen Joe Borg a indiqué que l'Union européenne apporterait 325 millions de dollars, par le biais notamment de du Fonds européen de développement, et ceci sans compter les contributions individuelles de ses Etats membres. Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell a promis quelque 230 millions de dollars sur deux ans. La BID a promis de prêter 260 millions de dollars supplémentaires et la Banque mondiale 150 millions de dollars.

Gérard Latortue a promis que son pays voulait tourner la page de décennies de corruption, de violence politique et de mauvaise gestion. Il a annoncé la création d'un comité de suivi chargé de prévenir d'éventuels détournements de l'aide.

Certains participants ont mis en garde contre un excès d'euphorie. Le secrétaire général de l'ONU Kofi Annan, dans un message lu par son représentant pour Haïti Juan Gabriel Valdes, a ainsi affirmé : « Nous ne devons pas sous-estimer combien Haïti reste fragile (…). Le peuple haïtien va être mis à dure épreuve dans la difficile période qui s'ouvre, de même que la communauté internationale ».

L'organisation Oxfam a pour sa part relativisé les chiffres annoncés, en relevant dans un communiqué "qu'une partie significative des promesses porte sur des prêts, et non des dons," ce qui risque d'aggraver la dette extérieure du pays qui se monte déjà à 1,2 milliard de dollars. Oxfam souligne ainsi que sur les 230 millions annoncés par Colin Powell, seuls 120 millions constituent de l'argent réellement nouveau et certain, le reste étant soit déjà connu, soit conditionné à l'accord du Congrès pour le budget 2005.

>>> Des organisations paysannes craignent une aggravation de la dépendance d'Haïti

Chavannes Jean Baptiste, porte-parole du Mouvement Paysan National du Congrès de Papaye a réagi avec réserve à la réunion de Washington. « Tout le monde sait, a-t-il déclaré, que l'aide internationale n'est jamais innocente et se base sur les intérêts des institutions internationales, notamment la Banque Mondiale et le FMI » Les fonds vont peut-être « entrer par une porte et sortir par une autre » pour revenir aux pays donateurs, a-t-il poursuivi. Il a souligné qu'une partie des fonds représentent de « nouveaux prêts ». Or il serait préférable, selon lui « d'annuler la dette d'Haïti ».

Il a critiqué l'absence du secteur paysan dans le processus de consultation qui a conduit à l'élaboration du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI). Selon Chavannes Jean Baptiste, le CCI est l'oeuvre d'experts qui « pensent globalisation et mondialisation dans la perspective néolibérale, laissant de côté les paysans et la production nationale réelle ». Selon lui, la société haïtienne doit « se mobiliser et rester vigilante » pour que les prêts et les dons ne contribuent pas à renforcer la dépendance d'Haïti ».

Le mouvement Tèt Kole Ti Peyizan Ayisyen dénonce, quant à lui, les choix économiques du gouvernement intérimaire. Les membres de Tèt Kole, se sont rassemblés le 23 juillet à Port-de-Paix pour présenter leurs revendications à l'occasion du 17ème anniversaire du massacre de Jean Rabel. Selon ce mouvement, la politique du gouvernement de Gérard Latortue va dans le sens des intérêts des couches dominantes du pays et des puissances impérialistes. Les paysans de Tèt Kole réclament une « réforme agraire sérieuse, une politique de promotion de la production nationale, des crédits et des choix économiques favorables aux intérêts de la nation ». Ils ont mis en garde contre d'éventuels conflits armés en conséquence du « retour des grands propriétaires dans l'Artibonite et dans les régions du Nord-Ouest pour s'accaparer des terres cultivables ». Tèt Kole a lancé de vives critiques contre les anciens « chimères » lavalas et les anciens putschistes de 1991-1994 qui « imposent leurs lois » dans diverses régions.

>>> Des anciens militaires affirment leur refus d'être désarmés

L'ancien chef rebelle Guy Philippe a déclaré que ses camarades ne se sentent pas concernés par la campagne de désarmement annoncée par le Conseil supérieur de la police nationale. Selon lui, les autorités sont incapables d'assurer la sécurité de la population. Pour l'ancien capitaine Ravix, seuls les militaires démobilisés sont en mesure de faire face à la recrudescence des actes d'insécurité dans le pays. Il déplore que le nouveau régime tente d'exclure les ex-militaires du processus de transition.

De son côté, le porte-parole des militaires démobilisés, l'ancien sergent Joseph Jean- Baptiste a affirmé que la principale priorité du gouvernement devrait être de verser aux militaires dix ans d'arriérés de salaires. Des militaires démobilisés ont accordé au gouvernement un délai expirant le 10 août prochain pour le paiement des sommes qu'ils estiment leur être dues.

Un chauffeur de camion a dénoncé le comportement de Joseph Jean Baptiste, qui a tiré sur les pneus de son véhicule. Ce dernier a indiqué que le chauffeur avait refusé de se soumettre à une fouille effectuée par ses soldats.

>>> Première visite du responsable de la mission des Nations unies

Le représentant spécial du secrétaire général des Nations-Unies en Haïti, le diplomate chilien Juan Gabriel Valdès, a effectué une première visite de quatre jours en Haïti. Il prendra la responsabilité de la MINUSTAH dans deux semaines. Il a souligné que les casques bleus, qui ne comportent encore que le tiers des effectifs prévus, voulaient participer à l'amélioration non seulement de la sécurité mais aussi des conditions de vie des Haïtiens. Interrogé sur la date fixée par le gouvernement pour le désarmement, il a indiqué qu'il était souhaitable d'adopter des mesures flexibles afin de ne pas aboutir à une impasse. Il a déclaré que la MINUSTAH attendait «du gouvernement l'établissement de la commission nationale de désarmement, une initiative qui nous semble très importante pour le succès de ce processus ». « La prudence que le gouvernement haïtien et la communauté internationale observent par rapport à cette question complexe ne signifie pas qu'elle n'est pas une priorité », a-t-il souligné.

>>> L'UNICEF lance un projet d'animation pour 15000 jeunes

Le 29 juillet, le Fonds des Nations unies pour l'Enfance (UNICEF) et le Ministère de l'Education nationale ont lancé le projet « Timoun Kè Kontan » (littéralement : Enfants Joyeux ). Ce projet  pilote, qui durera du 9 août au 3 septembre, vise 15 mille enfants de 6 à 12 ans ayant été affectés par la violence des derniers événements sociopolitiques. Ils seront accueillis dans des camps de vacances dans cinq villes du pays (Petit Goâve, Port-au-Prince, Saint Marc, Gonaïves, Cap-Haïtien). Les enfants seront encadrés par 600 moniteurs recrutés parmi les mouvements de jeunes. Des bourses scolaires seront ensuite données aux enfants pour la rentrée 2004. Le ministre haïtien de l'Education nationale, Pierre Buteau a déclaré : « Notre vœu pour cette rentrée scolaire est de parvenir à l'octroi de 200 mille bourses pour les enfants de milieux défavorisés ».

>>> EN BREF

Une grave crise agiterait le Conseil électoral provisoire. Selon l'AHP, un conseiller électoral Patrick Féquière, a demandé l'ouverture d'une enquête sur le passé de sa collègue Josepha Raymond Gauthier. Elle aurait été arrêtée pour trafic de drogue il y a une quinzaine d'années.

Un ancien parlementaire du parti Lavalas a été tué par balles. Jocelyn Saint-Louis, l'ancien député de la ville de Saint-Raphaël a été atteint d'une balle à la tête et son corps porte des traces de tortures, a indiqué la police judiciaire. Soupçonné de l'assassinat du maire de Saint-Raphaël, il avait passé sept mois en prison en 2003.

Un nouveau parti politique a vu le jour. Le Mouvement démocratique et réformateur modéré haïtien (MODEREH) est dirigé par les anciens sénateurs Lavalas Prince Pierre Sonson et Dany Toussaint. SOS (sécurité, ordre, solidarité) est le slogan adopté par les responsables du MODEREH.

Le gouvernement haïtien a ouvert une enquête de concert avec les autorités américaines sur la participation de l'ancien président Aristide à des actes de corruption, a révélé un fonctionnaire du Département d'Etat au quotidien Miami Herald. Des cadres du département américain du Trésor se trouveraient actuellement en Haïti pour éplucher des documents en vue de déterminer l'implication de l'ex-président Aristide.

Pour la deuxième fois en un mois, des manifestants pro-Aristide sont descendus dans les rues de Port-Prince. Ils ont critiqué le gouvernement et réclamé le retour de l'ancien président. Devant la prison centrale de la capitale, ils ont réclamé la libération de l'ancien Premier ministre Yvon Neptune et d'autres prévenus lavalas.

L'Union nationale des normaliens haïtiens (UNNOH) a manifesté devant le ministère de l'Education nationale le 22 juillet. Elle reproche au ministre Pierre Buteau sa gestion jugée partisane. Il est accusé de bloquer le paiement des arriérés des professeurs.

Les douaniers de Port-au-Prince ont mis fin ce 30 juillet à un mouvement de grève entamé depuis deux semaines. Ils voulaient obtenir le limogeage du directeur général de l'administration générale des douanes. Une entente a été conclue avec le gouvernement, mais le directeur général conservera son poste.

Dans la zone franche CODEVI de Ouanaminthe, où 370 ouvriers ont été licenciés après une grève d'une journée, le Grupo M commencerait à former des comités d'usine liés au patronat. Demandant qu'une solution soit donnée à ce conflit du travail, l'un des clients de CODEVI, la multinationale Sara Lee a annulé son contrat. En Europe, la campagne « Vêtements propres » demande à l'autre client, la société Lévi Strauss, d'exiger du Grupo M la réintégration des ouvriers lienciés et le respect des droits syndicaux. Le ministre des Affaires Sociales, Pierre Claude Calixte, a annoncé la mise en place prochaine dans la zone franche d'un bureau du ministère ainsi que d'un tribunal du travail. Les industriels haïtiens soutiennent le Grupo M.

Le ministère de la Santé publique a lancé une campagne nationale de lutte contre la vente illicite de médicaments dans les rues. Selon la direction centrale de pharmacie, le commerce illicite de médicaments est composé de « produits issus de la contrefaçon, périmés, interdits à la vente, de dons de médicaments non utilisés, de produits sous-dosés ou sans principe actif ».

Aux Cayes, le jeune Sonel Laurent a été tué par la police le 20 juillet au cours d'une opération menée contre une « bande rara » accusée de semer le trouble. Des barricades enflammées ont alors été dressées et les épreuves du baccalauréat ont été perturbées par ces événements.

La police nationale a arrêté Hans Allen Théophilé, qui est soupçonné d'être le commanditaire du meurtre de Didier Mortet, le directeur de l'escale d'Air France à Port-au-Prince. Il s'agit d'un prestataire de services travaillant avec Air France et la compagnie néerlandaise ALM, spécialisée dans les Caraïbes. Il est accusé d'avoir demandé à trois hommes, également détenus, de commettre le crime. Les motifs du meurtre restent inconnus.

Le gouvernement espagnol a confirmé que le Maroc et l'Espagne enverront un contingent commun à Haïti dans le cadre de la Mission de Stabilisation des Nations Unies en Haïti (MINUSTHA).

Le sénat américain a voté le 14 juillet écoulé une loi appelée « Hero act » qui facilitera la vente sur le marché américain des vêtements et des produits textiles fabriqués en Haïti. « Nous pourrons créer dans quelques années plus de 100 mille emplois, attirer plus de 100 millions de dollars d'investissements pour construire des zones franches et fabriquer les tissus sur place », a déclaré le chef économiste de la Sogebank, Pierre Marie Boisson.

Le 89ème anniversaire du premier débarquement des troupes américaines en Haïti le 28 juillet 1915, a donné lieu à Port-au-Prince à une commémoration à la faculté d'Ethnologie. Elle était organisée par plusieurs associations, dont le Collectif Solidarité Identité Liberté et la plate-forme d'organisations féministes CONAP.

Tout le monde pourra assister au match de foot Haïti-Brésil, le 18 août. L'idée consistant à remettre un ticket d'entrée contre une arme a finalement été écartée. Le commandant de la force onusienne en Haïti, le général Pereira a indiqué qu'il serait injuste de privilégier les personnes qui détiennent illégalement des armes.

Le poète Villard Denis, de son nom de plume Davertige, est décédé le 25 juillet à Montréal, à l'âge de 64 ans. Il était parti en exil en 1964. Il était également plasticien. Il a fondé au début des années 60 à Port-au-Prince le mouvement Haïti littéraire, avec René Philoctète, Serge Legagneur, Roland Morisseau et Anthony Phelps.

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