Une Semaine en Haïti – n° 714 – Lundi
06 septembre 2004
Occupation de plusieurs localités par d’anciens militaires
Le gouvernement haïtien face au désarmement et à l’armée
Interprétations différentes sur l’attaque de la délégation française en Haïti
Une déclaration signée à Oslo
Des organisations de défense des droits humains, citées en correctionnelle
Occupation de plusieurs localités par d’anciens militaires
A Petit-Goâve, le 27 août, une centaine d’anciens militaires, conduit par l’ancien capitaine Ravix Remissaint, ont occupé le commissariat de police, sans rencontrer de résistance. Ils en ont fait leur Q.G et le contingent de la MINUSTHA, envoyé sur place, n’a pas réussi à les déloger. Les anciens militaires prétendent sécuriser la ville où ils ont procédé à l’arrestation de deux policiers porteurs de 21 kg de marijuana. Un comité de salut public s’est constitué pour dénoncer cette prise de contrôle de la ville.
A Jacmel, d’autres militaires démobilisés ont envahi les locaux de Radio Timoun. Cette occupation a été dénoncée par l’Association des Journalistes Haïtiens. L’intervention d’un groupe de policiers internationaux et de militaires péruviens est annoncée pour y mettre fin.
Aux Gonaïves, une centaine de militaires affirment leur refus de rendre les armes. Ils disent être « l’armée » et être indispensables pour assurer la sécurité. Ils se sont installés à la Mairie, avant que le délégué départemental ne leur propose un bâtiment scolaire. Ils auraient quitté la ville le 3 septembre, suite à l’intervention de la MINUSTHA.
Par ailleurs, des tensions ont eu lieu à Miragoâne, à Lascahobas, et dans le quartier de Delmas à Port au Prince où des échanges de tirs ont eu lieu entre des groupes armés. Là encore, les militaires démobilisés se disaient disposés à s’y rendre pour « y rétablir la paix ».
Le gouvernement haïtien face au désarmement et à l’armée
Le gouvernement a fixé la date du 15 septembre pour lancer, avec le concours de la MINUSTHA, la campagne de désarmement. Mais la question des militaires démobilisés reste entière. Le 30 août, le Premier ministre Latortue a installé les membres de la commission des fonds de pension des militaires. L’objectif est de trouver les moyens de dédommager les anciens militaires. Le président provisoire Alexandre Boniface ayant précisé qu’il n’est pas question de verser un quelconque salaire.
Outre cette épineuse question économique, l’interrogation centrale porte sur l’existence proprement dite de l’armée. Le président provisoire rejette toute idée de reconstitution des Forces Armées d’Haïti, précisant que seul un gouvernement élu peut décider de leur avenir. Cette position, reprise par Gérard Latortue et par le nouveau directeur de la police, est assortie de la volonté réaffirmée du gouvernement de procéder à leur réinsertion dans la vie politique, économique et sociale du pays et d’une invitation à s’asseoir à une table afin de trouver, ensemble, une solution à la crise. Le porte-parole des militaires répond en demandant quel mandat a le gouvernement quand il contracte des prêts à l’étranger sur le dos de la nation.
La population des villes « occupées » par l’armée est sous tension et partagée sur le sujet. Il en est de même au sein des organisations de la société civile. Pour la NCHR, il n’y a pas de différence entre les anciens militaires et les civils armés. Le Centre Haïtien d’Appui à la Démocratie et aux Droits de l’Homme (CHADHO) est préoccupé par les occupations. Une certaine impuissance du gouvernement est mise en avant. Ainsi le CARLI et la NCHR affirment « qu’il n’y a pas lieu d’espérer des élections sérieuses en Haïti dans l’actuelle situation de désordre », tandis que le leader du GREH, l’ancien colonel Himmler Rebu, dénonce son « amateurisme » qui l’amènera à accepter l’action des militaires démobilisés.
Un porte-parole de ces militaires annonce la reconstitution officielle de l’armée pour le 18 novembre 2004.
Interprétations différentes sur l’attaque de la délégation française en Haïti
Le secrétaire d’Etat français aux Affaires Etrangères, Renaud Muselier était, lundi 30, en visite de deux jours en Haïti, afin de faire « le point de l’ensemble des programmes bilatéraux » de la France avec ses partenaires haïtiens, mais aussi d’ « exprimer aux autorités et au peuple haïtien le plein
engagement de la France à leurs côtés ». Lors d’une visite de l’hôpital Sainte-Catherine de Cité Soleil, 100 à 400 manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment. Suite à des jets de pierres, les forces de l’ordre haïtiennes ont tirés en l’air pour tenter de rétablir le calme. Les manifestants ont
alors ouvert le feu, pendant presque deux heures, assiégeant la délégation officielle. La MINUSTHA a fini par intervenir pour évacuer le secrétaire d’Etat. Un des manifestants a été tué, un policier français et un agent de la police haïtienne ont été blessés.
Le Premier ministre, M. Latortue, a présenté ses excuses aux autorités françaises et, a estimé que des leçons devaient être tirées en ce qui concerne le problème du désarmement. La porte parole du Quai d’Orsay déclarait de son côté que ce « regrettable incident, aux conséquences heureusement limitées, grâce en particulier, à l'intervention de la police nationale haïtienne et de la MINUSTAH, confirme la priorité qu'il convient d'accorder au plein rétablissement de la sécurité en Haïti et la nécessité de mener à bien dès que possible le programme de désarmement de tous les groupes armés prévu par la résolution 1542 du Conseil de sécurité des Nations Unies ».
Sur l’appartenance et les motivations des manifestants, les interprétations sont diverses. Si M. Muselier se déclare persuadé qu’il s’agit des « chimères du président Aristide », la porte-parole du Quai d’Orsay constate uniquement que la fusillade s’est déroulé dans « un quartier qui est connu pour être plutôt favorable au Président Aristide ».
La presse haïtienne avance, de son côté, plusieurs hypothèses. Ainsi il pourrait s’agir de partisans de l’ancien président Aristide, mais la fusillade pourrait aussi être le résultat de luttes d’influence entre divers secteurs qui veulent le contrôle de Cité Soleil. D’autres sources pensent que les violences ont pu être commanditées en vue de faire oublier les vrais détenteurs d’armes illégales et pour focaliser l’attention sur les problèmes de désarmement sur le quartier de Cité Soleil.
Une déclaration signée à Oslo
Invités par le gouvernement norvégien, les représentants des partis politiques et de différents secteurs de la société civile ont signé, à l’issue de la rencontre, un document intitulé « la déclaration d’Oslo ». Les signataires, à titre individuel, se sont accordés sur six points, nécessaires selon eux « à l’avènement en Haïti de la démocratie, de la justice et d’un Etat de droit ». Ils se sont ainsi engagés à favoriser « la concorde, l’inclusion, la paix et le dialogue continu », en s’impliquant à titre personnel au sein de leur organisation pour la promotion de la tolérance, le partage et la non-violence. Ils ont décidé de poursuivre le débat « autour de la justice, de la sécurité, de la bonne gouvernance et de la démocratie ». Enfin, ils s’engagent à « encourager l’émergence de nouveaux comportements politiques capables de créer en Haïti les conditions d’un développement durable ». La déclaration ne comporte pas de calendrier de mise en œuvre de ces engagements.
Cette déclaration a été signée par des représentants des partis qui ont lutté contre l’ex Président Aristide, mais aussi de Fanmi Lavalas. Le parti Fanmi Lavalas a toutefois déclaré, selon l’AHP, que personne n’avait été mandaté pour le représenter à cette rencontre. Selon Alterpresse, Gilbert Angervil, le représentant de Fanmi Lavalas à Oslo, avait annoncé que son parti était prêt à intégrer le processus électoral sous certaines conditions. Suite aux critiques de son parti, il est revenu sur cette déclaration, d’après lui ces sujets n’ont pas été évoqués à Oslo et les informations dévoilées ont été inventées.
Des organisations de défense des droits humains, citées en correctionnelle
Le 17 août dernier, un verdict acquittait Louis Jodel Chamblain et Jackson Joanis dans le procès sur la mort d’Antoine Izmery. Ce verdict avait été fortement critiqué, entre autre, par trois associations des droits de l’homme haïtiennes. Ces organisations ont été citées à comparaître pour diffamation par des membres du jury.
Ainsi, la NCHR, le CARLI et la POHDH étaient convoquées les jeudi 2 devant le tribunal correctionnel. Lors de cette comparution, les avocats des défenseurs des droits de l’homme ont réclamé le transfert du dossier à la cour d’appel, au motif que le tribunal correctionnel n’était pas compétent. Sur décision du juge, Luc Ibrahim, l’audience a toutefois été reportée devant le même tribunal correctionnel, le vendredi 3 septembre. Les défenseurs des droits humains ne s’y sont pas présentés et ont déclaré que le tribunal s’apprêtait à se prononcer sur une affaire dont le verdict a déjà été arrêté. Cette déclaration a provoqué la démission du juge Luc Ibrahim, estimant que ces accusations portaient atteinte à sa dignité et à son honneur de juge.
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