Une Semaine en Haïti – n° 717 – Lundi
27 septembre 2004
Situation dramatique une semaine après le passage de Jeanne
L’aide humanitaire reste insuffisante
Situation sanitaire inquiétante
Les Haïtiens se mobilisent
Accord entre les ex-militaires et le gouvernement, selon Port-au-Prince
Boniface Alexandre s’engage à remettre le pouvoir le 7 février 2006
Pas de vote électronique en 2005, décide le CEP
>>> Situation dramatique une semaine après le passage de Jeanne
Pataugeant dans l'eau et la boue, les habitants des Gonaïves vivent une situation catastrophique dans leur cité ravagée par les inondations. L'électricité est coupée, les réseaux d'eau potable et d'évacuation des eaux usées sont tous inutilisables. Bien que le cyclone soit passé à près d’une centaine de kilomètres des Gonaïves, l’essentiel des victimes a été dénombré dans cette ville. Pour tout le pays, on faisait état, dimanche, de 1650 morts et 800 disparus. Après les Gonaïves, c’est la localité de Passe-René, située à une vingtaine de kilomètres, qui a été la plus affectée. Le débordement de la rivière Quinte y aurait causé la mort d’environ 150 personnes. On a dénombré une soixante de morts à Port-de-Paix. La localité voisine de Chansolme, située sur Les-Trois-Rivières, aurait été particulièrement meurtrie. Un bilan provisoire fait état de 23 morts dans la commune de Gros Morne.
Dans l’ensemble des régions touchées par la tempête, on compterait environ 300 000 sinistrés et 10 000 personnes se trouvant actuellement dans des abris provisoires. Plus de 4050 maisons ont été détruites aux Gonaïves, ce qui laisse penser qu’au moins 20 000 personnes ont tout perdu. A la fin de la semaine, certaines n’avaient encore rien mangé depuis le week-end précédent.
Avec la baisse des eaux, de nouvelles victimes sont trouvées chaque jour. Venue présider, samedi, une réunion du comité local de coordination des secours aux Gonaïves, la ministre de la Santé Josette Bijoux estimait qu'il faudra beaucoup de temps pour établir un bilan définitif".Le "comité de gestion des cadavres", qui fait partie du comité de coordination, évalue d'ailleurs ses "besoins à 2.000 linceuls en plastique".
>>> L’aide humanitaire reste insuffisante
L'assistance apportée aux Gonaïves repose presque exclusivement sur l’aide étrangère et les autorités haïtiennes sont critiquées pour leur impuissance à débloquer les fonds attendus. Le gouvernement prépare un plan pour évacuer des milliers de sinistrés vers un village de tente. Les premiers camions d’aide internationale sont arrivés mercredi aux Gonaïves. L’aéroport de la ville reste inutilisable, et l’aide internationale doit être débarquée à Port-au-Prince pour être ensuite transportée par camions ou par les hélicoptères de la MINUSTAH. Mais la route de Port-au-Prince reste elle-même encore difficilement praticable. La tension est forte aux Gonaïves, où les habitants se plaignent d'une aide en eau et en nourriture en trop faible quantité. Ils déplorent que les distributions se déroulent toujours dans les mêmes quartiers. Mercredi, des individus avaient attaqué quatre policiers protégeant une cargaison d’eau, qu’ils ont volée. Dimanche, un convoi d'aide humanitaire a été attaqué en plein centre ville par plusieurs dizaines de jeunes armés de barres de fer. Des maisons de personnes ayant reçu de l’aide ont également été attaquées. Samedi, un adolescent qui tentait de grimper sur un camion transportant de l'aide alimentaire, pour en ouvrir les portes, a chuté et a été écrasé par une roue du véhicule.
Tous les convois d’aide sont protégés par des casques bleus. La coordination de l'aide internationale explique qu'elle a besoin de conditions minimales de sécurité pour effectuer une distribution de nourriture et qu'il serait dangereux d'en organiser dans les quartiers aux rues étroites. Les six cents casques bleus déjà sur place ont été renforcés par 150 Uruguayens.
Selon un policier, l’aide humanitaire ne parvient pas aux zones les plus touchées : « le maire décide où vont les camions, mais les chimères sont plus puissants que le maire ». Pour l'instant les distributions de nourriture se sont concentrées dans la zone urbaine des Gonaïves : vendredi, les villages durement touchés par la tempête dans la vallée de la Quinte, comme Passe-René, n'avaient toujours rien reçu. Aux Gonaïves, certains marchés auraient commencé à rouvrir et à vendre des produits locaux, mais une grande partie des cultures a été dévastée.
En fin de semaine, plusieurs avions d’aide internationale sont arrivés de divers pays, et environ 120 tonnes d’aide ont pu être distribuées. Ainsi, vendredi soir, un premier convoi de la Croix-Rouge française est arrivé aux Gonaïves avec 40 tonnes d'aide humanitaire : matériel de pompage et de distribution d'eau potable, kits médicaux d'urgence. Samedi, un airbus rempli de 40 tonnes de matériel humanitaire a décollé d'Orly, affrété par l'association Action humanitaire France et par le ministère des Affaires étrangères. Il comportait à son bord des kits médicaux, des kits de cuisine, des tentes, des rations d'urgence, ainsi que deux techniciens spécialisés dans l'installation de pompes à eau. L’Unicef-France a débloqué une aide d’urgence de 115 000 euros permettant d’acheter 500 000 sachets pour purifier l’eau et rétablir l’accès à l’eau potable dans des écoles et des dispensaires.
La Croix Rouge a appelé la communauté internationale à rassembler 2,7 millions d’euros. Ils serviront à assister 40 000 personnes pendant 6 mois. Le Comité international de la Croix-Rouge cherche à mettre en place un service permettant aux habitants des Gonaïves de faire savoir à leur famille en Haïti ou à l'étranger qu'ils sont en bonne santé.
>>> Situation sanitaire inquiétante
Un des problèmes les plus criants est le manque d’eau potable. Des plaies ayant été nettoyées avec de l’eau souillée, on a commencé à observer des cas de gangrène. Pour la ministre Josette Bijoux, les "risques sanitaires", comme les "diarrhées, la typhoïde ou le tétanos" sont bien réels. La ministre a demandé à 200 médecins et infirmières de Port-au-Prince de venir aux Gonaïves, afin notamment de donner des conseils aux habitants pour éviter les épidémies. Seul point positif, selon elle, "l'eau des puits artésiens est claire et pourra être, une fois désinfectée, distribuée par citernes". De leur côté, les organisations humanitaires internationales, comme la Croix-Rouge, ont entrepris d'installer des citernes souples permettant de stocker l'eau potable puis de la distribuer par un réseau de tuyaux souples.
Des fosses communes ont été creusées pour enterrer les cadavres après les avoir photographiés pour identification. Cependant, l’Organisation mondiale de la santé a critiqué cette mesure. Elle rappelle, dans un communiqué, que « d'une manière générale, le risque d'épidémie à partir des cadavres est négligeable. Les morts posent moins de risque de contamination qu'une personne vivante et infectée ». « La meilleure façon d'empêcher les épidémies est d'améliorer les conditions sanitaires et de tenir la population informée », soulignent les experts de l'Organisation panaméricaine de la santé. Le plus grand danger viendrait du débordement des latrines.
De nombreuses personnes ont été blessées, notamment en tombant des toits où elles s’étaient réfugiées pendant les pluies. Le responsable haïtien des urgences dans les hôpitaux publics, Philippe Desmangles, a accusé le maire des Gonaïves et le représentant du gouvernement intérimaire de ralentir l'arrivée de l'aide humanitaire en raison de leur "guéguerre personnelle"."On veut installer un hôpital de campagne mais on n'a pas de terrain, les autorités locales ne cessent de se disputer", dénonce le Dr Desmangles. A l'heure actuelle, la ville fonctionne avec quatre dispensaires pour 250.000 habitants. Seuls les plus gravement touchés sont pris en charge. La mairie a été transformée en maternité et en centre médical d'urgence, l'hôpital ayant été dévasté par les inondations. Les militaires argentins de la mission de l'Onu traitent les blessures superficielles et évacuent vers Port-au-Prince les patients les plus grièvement blessés.
>>>> Les Haïtiens se mobilisent
En Haïti même, des collectes de dons et de matériel s’organisent dans des zones qui n’ont pas été touchées par la tempête, notamment à Port-au-Prince et aux Cayes. Des habitants de Saint-Marc préparent de la nourriture pour ceux des Gonaïves.
Le premier ministre Latortue a lancé mercredi soir un appel aux Haïtiens expatriés, en particulier aux membres du personnel médical. Interrogé par la chaîne TV5, il a déclaré: "Nous lançons un appel à tous les Haïtiens de la diaspora, surtout ceux qui ne vivent pas loin d'Haïti, dans les Antilles françaises ou les Caraïbes, à New York ou au Canada, si certains d'entre eux, surtout le personnel médical, infirmiers, infirmières et médecins (...) pouvaient venir sur place nous aider à faire face à ce drame sanitaire que nous vivons".
En France, plusieurs appels aux dons ont été lancés par des associations haïtiennes et franco-haïtiennes (voir ci-dessous l’appel unitaire de 40 associations). L’association Culture + (01 42 35 95 64) dit vouloir centraliser l’ensemble des informations. Le Secours populaire, le Secours catholique et SOS-Enfants ont lancé des appels en liaison avec leurs partenaires locaux. Des collectivités locales se mobilisent également.
A Montréal, un radiothon organisé par la radio CPAM, Radio Union.com a permis de ramasser 147 000 $ et des tonnes de produits non périssables (vêtements, produits alimentaires et médicaments) pour la seule journée de samedi. Le radiothon se poursuit jusqu'à mardi. Un premier avion d'Air Canada s'est envolé de Montréal samedi, avec des tonnes de dons venant des membres de la communauté haïtienne et des Québécois. Mardi, un autre avion grand porteur mis à disposition par le gouvernement canadien doit s’envoler pour Haïti.
>>> Accord entre les ex-militaires et le gouvernement, selon Port-au-Prince
Après la déclaration de principe signée le 12 septembre, un accord aurait été trouvé entre le Premier ministre Gérard Latortue et les ex-militaires qui exigeaient la restauration de l'armée. C’est ce qu’affirme un document remis à la presse par le bureau du Premier ministre le 20 septembre. Selon cet accord, les ex-militaires auraient accepté de déposer leurs armes et d'abandonner les édifices publics qu'ils occupent dans plusieurs régions du pays. Un bureau de gestion des militaires démobilisés, présidé par le premier ministre, sera créé en attendant que soit résolue la question de l'institution militaire, selon le document.
Un processus d'intégration des militaires sera entamé et ces derniers seront affectés à des missions et des "services spécifiques". Une fois le processus mis en branle, "les édifices publics occupés, les équipements et le matériel militaires en leur possession passeront sous le contrôle du gouvernement avec garantie pour leur sécurité personnelle", précise le document. Les militaires démobilisés percevront en outre de l'Etat une indemnité compensatoire, a précisé le bureau de Gérard Latortue.
Cependant, trois jours après cette annonce, l’un des chefs des militaires démobilisés, Rémicinthe Ravix, a réaffirmé le refus de ses hommes de déposer leurs armes pour intégrer la vie civile. Il a déclaré que les militaires démobilisés sont toujours actifs et qu'ils préparent actuellement une défilé militaires pour le 18 novembre à l'occasion de l'anniversaire de la bataille de Vertières. Il a déclaré attendre la constitution du bureau qui sera chargé de la gestion des militaires démobilisés et la définition du rôle qui leur sera assigné. Il s'est déclaré toutefois prêt à faire des concessions.
>>> Boniface Alexandre s’engage à remettre le pouvoir le 7 février 2006
Le président provisoire, Boniface Alexandre, a réaffirmé sa volonté de remettre le pouvoir le 7 février 2006. Le Chef de l’Etat qui intervenait à la tribune des Nations unies, le mercredi 22 septembre, a, d’une part, remercié la communauté internationale de la solidarité manifestée après les inondations meurtrières, et, d’autre part, promis de faire de la transition politique une réussite.
Il a annoncé la tenue de bonnes élections dans le pays en 2005 avec l’aide de la communauté internationale. Il a, par ailleurs, salué l’accord intervenu entre le gouvernement et les militaires démobilisés. Il s’est félicité du climat démocratique qui, selon lui, prévaut dans le pays. D’un autre côté, Boniface Alexandre s’est montré peu satisfait de la performance de la Minustah dans le cadre de la lutte contre l’insécurité. « Il n’est pas admissible que des groupes armés accomplissent impunément leurs forfaits sans être inquiétés par la présence des soldats de la Minustah », a dénoncé le président provisoire. Il a invité la Minustah à travailler plus étroitement avec les autorités haïtiennes pour un désarmement véritable.
>>> Pas de vote électronique en 2005, décide le CEP
Le Conseil Electoral Provisoire (CEP) a décidé de ne pas retenir la méthode du vote électronique. L’annonce a été faite, le jeudi 23 septembre, par la présidente du CEP, Roselor Julien, qui s’appuie sur l’avis des partis politiques.
En revanche la carte digitalisée est retenue par le CEP, a indiqué Roselor Julien. Elle a également annoncé que les élections vont se dérouler en deux temps. Certaines sources croient savoir que les élections locales seront organisées les premières. Les législatives et de la présidentielle se tiendraient en même temps. Le CEP a présenté aux bailleurs de fonds un budget de 41 millions de dollars pour l’organisation des élections générales.
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