Une Semaine en Haïti – n° 718 – Lundi
04 octobre 2004
Aux Gonaïves, la situation s’améliore peu à peu
Plusieurs journées de violences politiques font une dizaine de morts à Port-au-Prince
Des quartiers populaires théâtres d’affrontements armés
La police force les portes d’une station de radio pour arrêter des personnalités de Lavalas
>>> Aux Gonaïves, la situation s’améliore peu à peu
Le dernier bilan officiel fait état de 1970 morts et 884 disparus pour toutes les régions touchées par les inondations. Mais le conseiller municipal Carl Murat Cantave, qui assure la coordination avec les organisations internationales, craint qu’on n’arrive aux alentours de 3 000 morts rien qu’aux Gonaïves.
Trois centres de santé soignent quotidiennement plus d'un millier de sinistrés, grâce à une étroite coopération entre des organisations humanitaires (notamment Médecins du Monde et Médecins sans Frontière), la Croix-Rouge, les médecins militaires de la MINUSTAH, les médecins cubains et des pédiatres envoyés par la protection civile du Venezuela. Grâce à un financement européen, la Croix-Rouge française a installé une usine de traitement qui permettra de produire 600 000 litres d’eau potable par jour.
De nouveaux points de distribution ont été ouverts, et environ 90 tonnes d’aide sont réparties chaque jour. Mais la distribution continue à se heurter à de gros problèmes. Des bandes armées essayent de s’approprier l’aide, et plusieurs personnes ont été blessées par balles. "Nous nous inquiétons pour la sécurité des femmes une fois qu'elles sortent des périmètres de sécurité où a lieu la distribution de l'aide alimentaire", a expliqué la porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'Onu, Elisabeth Byrs. Cependant, Héber Pélissier, qui préside aux Gonaïves le conseil consultatif citoyen, estime que les médias ont eu tort de donner l’impression d’un désordre généralisé. Selon lui, « L’aide acheminée en coordination avec la Minustah et les autorités locales est distribuée aux sinistrés". Le gouvernement a demandé que toute l’aide soit remise à la Croix-Rouge haïtienne.
Certains camions d’aide qui n’avaient pas demandé à être accompagnés par les casques bleus ont été attaqués. Mais l’arrivée de renforts a permis de sécuriser la zone où les convois étaient rançonnés. Les casques bleus ont par ailleurs bloqué des camions transportant d’anciens militaires armés, qui prétendaient rétablir l’ordre aux Gonaïves et apporter une aide matérielle.
>>> Plusieurs journées de violences politiques font une dizaine de morts à Port-au-Prince
Au moins 10 personnes, dont neuf policiers, ont été tuées à Port-au-Prince jeudi et vendredi, selon un bilan de la police communiqué samedi. Selon Le Monde, le bilan s’élève à « une vingtaine de personnes dont au moins quatre policiers ». Deux autres policiers avaient été tués mardi soir, et leurs armes avaient été emportées Trois policiers blessés auraient été enlevés jeudi et auraient décapités, selon la police. Leurs corps auraient été retrouvés dans les bidonvilles de La Saline et de Cité Soleil. Selon le militant des droits de l’Homme Jean-Claude Bajeux, des secteurs de Lavalas veulent imiter la résistance irakienne, et ont donné à leur action le nom d’Opération Bagdad. Les dirigeants de Fanmi Lavalas affirment quant à eux que les violences ont été commises par des hommes payés par le nouveau régime pour mettre leur parti hors jeu.
Fanmi Lavalas ou, du moins, des secteurs de la base de Lavalas, avaient annoncé leur intention d’organiser une manifestation le jeudi 30 septembre à l’occasion de l’anniversaire du coup d’Etat de 1991. Mais tôt dans la matinée, des barricades enflammées avaient été placées sur diverses artères de l'aire métropolitaine. Des tirs nourris retentissaient dans plusieurs quartiers, notamment dans le centre commercial, où des véhicules étaient attaqués et des pare-brise brisés. A La Saline, des individus ont ouvert le feu sur le véhicule du directeur de la Police Judiciaire, Michael Licius. Dans la zone du port, des individus armés ont attaqué des patrouilles de place, et c’est là que des policiers blessés ont été enlevés. Des casques bleus se sont positionnés autour du palais national et de la primature. Une rumeur circulait selon laquelle des groupes armés allaient attaquer la prison pour libérer des prisonniers de Lavalas.
Le directeur général de la Police, Léon Charles, a indiqué que la manifestation prévue jeudi était interdite. Plusieurs centaines de militants lavalas ont pu toutefois manifester en fin de matinée. On remarquait notamment des pancartes « A bas Bush le terroriste ! Vive Kerry ! ». Selon l’AHP, la police a tiré sur les manifestants, faisant des blessés, et Gérard Latortue aurait déclaré : "Ils nous ont demandé une autorisation pour faire une manifestation pacifique. Ils ont fait du désordre. Nous avons alors répondu par la force". Des militants lavalas ont également manifesté au Cap-Haïtien où, escortés par la police, ils ont scandé des slogans hostiles aux militaires démobilisés. La manifestation a finalement dégénéré quand des pierres ont été lancées.
> >> Des quartiers populaires théâtres d’affrontements armés
Vendredi, des manifestants ont tiré des coups de feu en l’air à Martissant, et ont bloqué la route nationale à l’aide de tas de pneus enflammés. Une radio a indiqué qu’au moins une personne avait été tuée. Dans le bidonville nommé Village de Dieu, un dirigeant local anti Aristide a échappé à une attaque armée et a pu s’échapper. Par contre, cinq personnes ont été tuées devant sa maison.
La police affirme avoir tué deux bandits de Cité Soleil, Maxo Casséus et Wilson Jean Bart alias Tupac. En revanche le Mouvement national pour sauver Haïti affirme qu’ils étaient membres de cette organisation pro Lavalas et qu’ils ont été tués par des civils armés alors qu’ils se rendaient à un rassemblement au Bel Air. Vendredi soir, des affrontements avec la police se sont déroulés dans le quartier de Bel Air, faisant, selon les sources, plusieurs blessés ou au moins deux morts parmi les habitants. Des coups de feu ont été à nouveau été tirés samedi soir et dimanche, faisant au moins deux blessés.
>>> La police force les portes d’une station de radio pour arrêter des personnalités de Lavalas
Le président du Sénat Yvon Feuillé, le sénateur Louis Gérald Gilles et l’ancien député Rudy Hériveaux (Fanmi Lavalas) ont été arrêtés samedi soir dans les locaux de Radio-Caraïbes où ils avaient participé à un débat contradictoire. Un quatrième membre de Lavalas, l’ancien député Axène Joseph, a été arrêté alors qu'il se rendait à la radio à la fin de l'émission.
La police n'a pas donné de motif officiel à leur arrestation mais un policier sur place, ayant requis l'anonymat, a indiqué à l'AFP que "le parti Lavalas, dont les dirigeants intervenaient à la radio étaient à la base des actes de violences perpétrés ces derniers jours dans la capitale".
Samedi, à 11 heures du matin, les trois cadres de Lavalas venaient de participer à un débat sur Radio Caraïbes avec Evans Paul et l'ancien colonel Himmler Rébu. Alors qu'ils s'apprêtaient à quitter les lieux, des dizaines de policiers armés ont entouré la station pour procéder à leur arrestation. Le directeur général de la station, Patrick Mossignac, ainsi qu’Evans Paul et Himmler Rébu ont protesté. Entre temps, selon l’AHP, des tractations étaient menées avec des responsables du gouvernement et des diplomates étrangers.
Reynold Georges et Mario Joseph, deux avocats appelés par les cadres de Lavalas, ont dénoncé les pratiques du gouvernement. Vers 17 heures, le juge Gabriel Ambroise lançait un ultimatum aux responsables de Radio Caraïbe. Quelques minutes plus tard, il faisait sauter les serrures, et les policiers investissaient la station. Samedi soir, Radio Caraïbe a suspendu ses émission en "signe de protestation". " Vouloir arrêter des hommes politiques connus au sein d'une station de radio, cela ne s'est jamais produit même dans les moments les plus difficiles pour le gouvernement Aristide", a relevé Me Osner Févry.
Selon le ministre de la Justice, Bernard Gousse, quatre armes illégales ont été trouvées dans le véhicule d’une des personnes arrêtées, mais cette affirmation est très contestée. Le premier ministre Gérard Latortue a accusé les personnes arrêtées d'être les "têtes pensantes" de l'"opération Bagdad", à l’exception du sénateur Gilles qui pourrait être libéré. Il s’est dit « très insatisfait » des performances de la MINUSTAH en matière d’insécurité.
>>> EN BREF
Plusieurs organisations d'enseignants, dont l'UNNOH, la CNEH et le CONEH, ont annoncé l'organisation d'une journée de solidarité en faveur des victimes des inondations
Le Comité International de la Croix Rouge a mis en place une page web destinée aux personnes cherchant des informations sur des proches en Haïti après les inondations : <www.familylinks.icrc.org>.
Le Programme des Nations unies en Haïti a lancé conjointement avec le gouvernement haïtien un appel à onze organisations internationales en vue de récolter 32 millions de dollars pour répondre aux besoins urgents des populations sinistrées.
Selon le Canard Enchaîné, les deux avions affrétés par le gouvernement française transportaient exclusivement des dons d’ONG (Médecins du Monde, AICF, Croix-rouge, Secours catholique etc.) ou d’entreprises (Carrefour, Veolia et autres). Le coût à la charge de l’Etat n’aurait été que de 226 000 euros, alors que le Canada aurait accordé 2 millions de dollars d’aide.
lusieurs associations haïtiennes ont saisi l’occasion de l’anniversaire du coup d’Etat militaire de 1991 pour s’élever contre les projets de reconstitution de l’armée et la complaisance dont le gouvernement ferait preuve envers les groupes armés. En revanche, Hubert De Ronceray du parti Mobilisation pour le Développement National aurait déclaré : "Ce qui s'est passé jeudi à Port-au-Prince montre clairement que le coup d'état du 30 septembre 1991 était une nécessité pour le pays et constituait une mesure préventive".
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