Une Semaine en Haïti – n° 719 – Lundi
11 octobre 2004
Le bilan des inondations dépasse les 3000 morts
Une semaine de violences à Port-au-Prince
Le gouvernement réclame la levée de l’embargo sur les ventes d’armes
Libération de deux anciens parlementaires
>>> Le bilan des inondations dépasse les 3000 morts
Selon le secrétaire d'Etat haïtien à l'Environnement, Yves André Wainright, 3006 personnes ont péri dans les inondations provoquées par la tempête tropicale Jeanne, dont 2826 dans la seule ville des Gonaïves.
Samedi, le premier ministre Gérard Latortue et le président de la République Boniface Alexandre ont assisté, aux Gonaïves, à une messe chantée pour les victimes. Devant la cathédrale, ils ont été reçus aux cris de « menteurs » et « voleurs » par des manifestants conduits par un dirigeant du Front de reconstruction nationale. Il leur était reproché de n’avoir rien fait pour les sinistrés. Ils sont repartis par hélicoptère. Les véhicules des policiers qui les accompagnaient ont été la cible de jets de pierres. Les policiers ont tiré, faisant un blessé. La nuit suivante, un casque bleu argentin a reçu une balle au bras près du quartier de Raboteau.
Les violences enregistrées à Port-au-Prince depuis le 30 septembre ralentissent les opérations de secours. Les activités du port étant paralysées, 135 conteneurs renfermant de l’aide sont restés bloqués une semaine.
>>>> Une semaine de violences à Port-au-Prince
En une dizaine de jours, une cinquantaine de personnes ont été tuées et une quarantaine d'autres ont été blessées par balles. Toute la semaine, Port-au-Prince a été le théâtre de violences politiques. En outre, des évènements sanglant se déroulent à Cité Soleil : affrontements entre gangs selon l'un des maires de Cité Soleil, attaques meurtrières contre des partisans d’Aristide selon Fanmi Lavalas.
Dimanche 3 octobre, selon sa compagne, un partisan de Lavalas, blessé par balles, a été enlevé d’un centre hospitalier par des policiers en uniforme et des civils armés. Le lundi 4 octobre, des individus armés ont semé la panique un peu partout dans la capitale, paralysant une bonne partie des activités économiques.
Mardi, un ancien militaire, soupçonné d’être un espion de la police, a été tué dans le quartier du Bel-Air, et ses agresseurs ont essayé de lui couper la tête. Deux autres personnes ont été tuées à Martissant et à La Saline. Selon Haiti Press Network, le meurtre de l’ancien militaire a été revendiqué par des partisans de Lavalas. L’ex-sergent Ravix Rémissainthe a menacé d’intervenir avec ses hommes si le gouvernement ne s’en chargeait pas.
Mercredi matin, 75 personnes ont été arrêtées au cours d’une opération conjointe de la MINUSTHA et de la police, au Bel Air et à Martissant. Une des personnes arrêtées, le nommé Mackendie, serait un des leaders de l'Armée Sans Tête, nom que se seraient donné les activistes de Lavalas engagés dans des actions violentes. Aucune arme n’a été trouvée au cours des perquisitions. Selon l’AHP, de nombreux habitants du Bel-Air ont dénoncé l’intervention brutale de la police : les portes de plusieurs maison ont été défoncées et des effets emportés. Une femme a également dénoncé une agression sexuelle. Le Comité des Avocats pour le Respect et la Liberté Individuelle (CARLI) a attiré l'attention des autorités policières sur l'obligation qui leur est faite de protéger les personnes les plus vulnérables dont les femmes, les enfants et les vieillards vivant dans les quartiers populaires lors d'opérations dans ces zones.
A la suite de cette opération, des individus armés et cagoulés ont semé la panique un peu partout dans la capitale. Des magasins ont été pillés avant d'être incendiés. On a signalé au moins un nouveau corps décapité, mercredi, au Boulevard La Saline. Un autre corps, non décapité celui-là, a été remarqué jeudi matin sur le même boulevard.
Mercredi, selon Radio Kiskeya, une opération policière a été également menée à Miragoâne, où au moins 9 partisans armés de lavalas auraient été arrêtés.
Jeudi, les corps décapités de deux personnes ont été retrouvés à La Saline. Samedi, un soldat brésilien et un policier haïtien ont été blessés par balle lors d’une nouvelle opération dans le quartier du Bel-Air. Une soixantaine de personnes ont été arrêtées et des armes légères auraient été saisies.
>>> Le gouvernement réclame la levée de l’embargo sur les ventes d’armes
Face à la détérioration de la situation, le gouvernement haïtien réclame à nouveau la levée de l'embargo sur les armes et les munitions. Le ministre brésilien des affaires étrangères s’est adressé au secrétaire d'Etat américain Colin Powell. Il lui demande de redoubler d'efforts en vue de permettre à la MINUSTHA de disposer de l'effectif nécessaire à l’accomplissement de sa mission.
Le conseil des ministres a décidé de prendre « des mesures urgentes en vue d’étendre la compétence de certains commissaires du Gouvernement et de juges d’instruction à tout le territoire de la République pour traiter toutes affaires s’apparentant au terrorisme et à la subversion ».
En visite en Haïti, le nouveau secrétaire général de l’OEA, le costaricain Miguel Angel Rodriguez, a demandé au gouvernement intérimaire haïtien de mettre un terme « de façon expéditive » aux violences orchestrées par les partisans de l’ancien président Aristide. Depuis ces déclarations, cet ancien président du Costa Rica a démissionné de son poste, car il est accusé de corruption.
Des étudiants de l’Université d’Etat appellent la population à se mobiliser à nouveau pour dire non à la vague de violence. Le responsable du Groupe des 184 André Apaid Jr appelle également à la reprise de la mobilisation pacifique. Il a rendu l’ancien président Aristide et le mouvement Lavalas directement responsables des violences. Il invite « la fraction saine » du parti Lavalas à se démarquer clairement des méthodes violentes.
Jean-Bertrand Aristide a déclaré vendredi : « Je fais partie de la solution, car j’ai été élu par le peuple haïtien, et le peuple haïtien est aujourd’hui ouvert au dialogue comme je suis ouvert au dialogue ». Lui et son épouse ont été nommés chercheurs par une université sud-africaine.
>>> Libération de deux anciens parlementaires
Gérald Gilles et Joseph Axène ont recouvré mercredi leur liberté, sur ordre du commissaire du gouvernement. Aucune charge n’a été retenue contre eux. Ils avaient été arrêtés le samedi précédent dans les locaux de Radio Caraïbes en compagnie d’Yvon Feuillé et Ruddy Hériveaux. Gérald Gilles, qui continue à percevoir une rémunération en tant que sénateur, estime que leur immunité parlementaire a été violée. Leur avocat Reynold Georges a qualifié de « montage pur et simple » l’arrestation de ses clients, que le président Boniface et le premier ministre Latortue ont justifiée. Pour le CARLI, la violation des locaux de Radio Caraïbes " rappelle étrangement les moments les plus durs de la période des Duvaliers père et fils". Pour le NCHR, il est clair que la voiture où la police a trouvé des armes a été placée près de la station par le pouvoir.
La résidence du juge Gabriel Ambroise qui avait conduit l’arrestation des anciens parlementaires a été attaquée. En revanche un véhicule appartenant à un avocat du cabinet .de l’un des accusés, Joseph Axène, a été attaqué et incendié à Martissant.
Ronald Saint Jean, du Comité de Défense des Droits du Peuple Haïtien, proche de Lavalas nie l’existence d’une "Opération Bagdad". Il s’agit selon lui d’une invention du pouvoir pour mieux persécuter ses adversaires politiques. Un porte-parole de Fanmi Lavalas, Gilbert Angervil, est parti à Miami, craignant d’être « le prochain sur la liste ».
>>> EN BREF
La Conférence épiscopale d'Haïti a proposé la convocation « dans le plus bref délai », d'une sorte « d'Etats Généraux de la Nation », qui se composerait des représentants de toutes les classes sociales et de toutes les catégories professionnelles. Elle estime que « après deux cents ans d’indépendance, il est nécessaire et même urgent que tous les Haïtiens s’interrogent sur l’état de la nation et fassent des propositions quant à son avenir ».
Pour avoir accès aux financements promis par les bailleurs de fonds, le gouvernement doit franchir plusieurs étapes. Un accord temporaire avec le FMI doit être renouvelé. Le FMI doit passer au peigne fin le budget de l'exercice 2004-2005. Le gouvernement doit trouver 43 millions de dollars pour payer ses arriérés envers la Banque mondiale . Le Canada aurait déjà promis un don de 7 millions de dollars.
Dans une lettre adressée au secrétaire d’Etat américain Colin Powell, Gérard Latortue a sollicité le statut de protégés temporaires pour près de 20.000 Haïtiens vivant illégalement aux Etats-Unis. En raison de la crise actuelle, il a demandé en leur faveur une résidence temporaire d'urgence et des papiers de travail pour une période de 18 mois.
Le gouvernement intérimaire a créé le Bureau de gestion des affaires des militaires démobilisés. Travaillant sous la responsabilité du Conseil Supérieur de la Police Nationale d’Haïti, il aura notamment pour mission d’élaborer un plan d’intégration des militaires démobilisés dans la police.
Plus de 200 étudiants en médecine de l’université privée qui était hébergée par la Fondation Aristide se sont envolés pour Cuba, où ils vont poursuivre leurs études. Les locaux où ils se trouvaient avaient été occupés par les soldats américains de l’ancienne force intérimaire multinationale.
Le Canada veut organiser une réunion de la diaspora internationale haïtienne en décembre à Montréal, a déclaré le ministre des Affaires étrangères, Pierre Pettigrew. Selon lui, la diaspora internationale doit s’engager à aider Haïti à se reconstruire ».
Dans une interview au quotidien Jornal do Brasil, le colonel Felipe Carbonell, du service de presse de la Brigade brésilienne en Haïti, a déclaré que l'euphorie de la population à l'arrivée des troupes avait désormais fait place à l'indifférence et à la frustration.
Un bulletin du Collectif Haïti de France
31, ter rue Voltaire
75011 Paris
01 43 48 31 78
collectifhaiti. : marion@no-log.org
Abonnement : mail 30 euro/an et courrier 55 euro/an.