Une Semaine en Haïti – n° 720 Lundi 18 octobre 2004

>>> Nouveaux incidents et nouvelles victimes à Port-au-Prince

Les funérailles de 5 des 9 policiers tués ces derniers jours en Haïti se sont déroulées lundi 11 octobre à Port-au-Prince. Le ministre de la justice M. Bernard Gousse a déclaré : "Après ce moment de prière, nous passerons à l'action sans répit contre ceux qui veulent installer la peur dans le pays". Ce même jour, des groupes d’hommes armés ont cassé les pare-brise de véhicules stationnés dans le centre-ville. Des barricades de pneus enflammés ont été érigées dans plusieurs quartiers de la capitale, où des tirs d'armes à feu ont été entendus. Le commerce et les écoles n'ont pas fonctionné dans certaines zones. Selon des documents de l’hôpital de Port-au-Prince, 17 personnes sont mortes par balles dimanche et lundi, dont huit à Cité Soleil et à Martissant.

Le centre ville commercial de Port-au-Prince était paralysé mardi pour la deuxième journée consécutive, alors que les écoles de la capitale fonctionnaient au ralenti ou avaient fermé leurs portes Deux personnes ont été tuées par balles mercredi. Jeudi soir, des hommes armés ont à nouveau fait régner la terreur dans certains quartiers. Dans la nuit, des véhicules ont été incendiés, et au matin un cadavre a été découvert dans le secteur de Nazon.

Des anciens soldats basés à Port-au-Prince ont affirmé jeudi que des renforts allaient arriver de tout le pays pour mettre fin à deux semaines de violences, qui ont fait au moins 48 morts. L’ancien militaire Rémissainthe Ravix a déclaré mercredi à l’Associated Press qu’il s’était rendu à Hinche pour des consultations avec Joseph Jean-Baptiste afin de choisir les anciens soldats qui seraient envoyés à Port-au-Prince.

Vendredi, aucun incident grave n'a été signalé, hormis de nombreux tirs, notamment lors d'une manifestation de quelques centaines de partisans de l’ancien président à l'intérieur du quartier du Bel Air. Les manifestants, dont certains étaient armés, entendaient célébrer le dixième anniversaire du retour de Jean-Bertrand Aristide en Haïti.

Selon la police, depuis le 30 septembre, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées. Seules quarante arrestations ont été maintenues.

>>> Succès de l’opération « Ville morte » lancée par le patronat

Condamnant « la terreur semée par des bandes armées se réclamant du secteur Lavalas », les organisations patronales ont appelé la population à cesser toutes leurs activités dans la zone métropolitaine le vendredi 15 octobre. Cette consigne a été très largement suivie, ce dont Gérard Latortue s’est félicité le lendemain.

Le transport en commun était généralement paralysé. Le grand commerce a respecté à 100% le mot d’ordre de protestation. Les établissements scolaires, les magasins et l’administration publique ont fermé leurs portes. Les étalagistes étaient absents au centre-ville. Des patrouilles motorisées de la police nationale d'Haïti encagoulées et de militaires de l'ONU étaient omniprésentes dans la capitale, a rapporté l'AFP.

Gérard Latortue a appelé le parti Lavalas à "rejoindre le processus électoral qui sera scrupuleusement respecté". Selon lui, « il y a une minorité qui suit les ordres venus d'ailleurs et préfère la violence". Selon Alterpresse, au Bel-Air, des dirigeants locaux de Lavalas ont menacé d’incendier les magasins ayant fermé leurs portes. Ils ont réaffirmé leur intention de continuer à semer le trouble dans la capitale jusqu’au retour physique de l’ancien chef d’État. Ils se sont dits prêts à affronter les anciens militaires, qu’ils accusent d’être les responsables de la décapitation de plusieurs policiers.


>>> La persistance des troubles nuit à l’acheminement de l’assistance humanitaire

Jeudi, le porte-parole du Programme alimentaire mondial annonçait que 120 conteneurs d’aide humanitaire restaient bloqués depuis plusieurs jours à la douane de Port-au-Prince. Les centres de distribution des Gonaïves seraient passés de quatre à deux en raison du blocage de l’aide. Pour faire face à cette situation, le Programme alimentaire mondial a déjà effectué une commande de 240 tonnes de maïs à la République dominicaine.

Par ailleurs, des organisations internationales déplorent que des camions d’aide et des membres de leur personnel soient attaqués aux Gonaïves. Certaines auraient suspendu provisoirement leurs activités sur place.

>>> Les Etats-Unis lèvent l'embargo sur la fourniture d'armes à Haïti

Les Etats-Unis ont décidé de lever leur embargo sur la fourniture d'armes à Haïti, qui était en vigueur depuis le régime précédent. Ils ont accédé ainsi à une demande répétée du gouvernement haïtien. Une commande d'équipements et d'armes destinés à la police haïtienne aurait déjà été formulée.

Par ailleurs des renforts vont venir appuyer les casques bleus. Deux cents fusiliers marins espagnols ont quitté l’Espagne. 95 policiers chinois spécialisés en techniques anti-émeute se sont envolés vers Port-au-Prince. Ils doivent participer au maintien de l’ordre et à la formation des policiers haïtiens. Les présidents des pays d’Amérique centrale ont l’intention d’envoyer une force commune de 500 hommes.

>>> Arrestation du Père Gérard Jean-Juste

Un prêtre considéré comme très proche de Jean-Bertrand Aristide, le Père Gérard Jean-Juste, a été interpellé mercredi par la police dans le cadre de l’enquête sur les violences commises actuellement. La police affirme qu’elle était seulement venue l’interroger, et qu’elle a décidé de l'arrêter en raison des réactions violentes de certains de ses partisans. Le ministre de la Justice a indiqué que Gérard Jean-Juste est suspecté de cacher des bandits, de financer les violences et de fournir aux activistes Lavalas les équipements pour perpétrer des forfaits. Les autorités affirment agir sur la base d’informations obtenues auprès de personnes détenues.

L'avocat du père Gérard Jean-Juste, Me Mario Joseph, a dénoncé le caractère illégal de l'arrestation de son client, menée sans mandat. Le responsable du Comité des avocats pour le respect des libertés individuelles (CARLI), Renan Hédouville, a invité les autorités intérimaires à avancer des preuves pour étayer leurs accusations.

>> Décès de Gérard Pierre Charles, le coordonnateur de l’OPL

C'est dans un hôpital de La Havane que Gérard Pierre-Charles est décédé d’une crise cardiaque, le 10 octobre, à l'âge de 68 ans. Accompagné de son épouse, l'historienne Suzy Castor, il s'était rendu à Cuba en raison de problèmes respiratoires.

Issu d’une famille très modeste, il devint ouvrier et membre de la Jeunesse ouvrière catholique. Il s’engagea dans le syndicalisme dans les années 50, et devint l’un des dirigeants du Parti unifié des communistes haïtiens (PUCH). Sous les Duvalier, il vécut en exil durant 26 ans, et enseigna au Mexique, où il écrivit notamment le livre « Radiographie d'une dictature ». Revenu en Haïti en 1986, il fonda avec son épouse le Centre de recherche et de formation économique et sociale pour le développement (CRESFED).

Les funérailles de Gérard Pierre Charles se sont tenues le 16 octobre à Port-au-Prince. C'est sur une petite place située juste en face du local de l'Organisation du peuple en lutte (OPL), dont il était le coordonnateur général, que sa dépouille était exposée. La cérémonie civile s'est déroulée dans le calme, et sous haute surveillance de la police. Dans son discours, le premier ministre Gérard Latortue a salué en Gérard Pierre-Charles un homme qui a toujours manifesté « un esprit de tolérance » et représentait une richesse pour le pays.

>>> EN BREF

Le général brésilien Augusto Heleno, qui commande les casques bleus, estime que les partisans d’Aristide ont été encouragés par les propos tenus par John Kerry. Il avait affirmé que s’il avait été président des Etats-Unis en février dernier, il aurait envoyé des soldats en Haïti pour secourir Jean-Bertrand Aristide.

Le Quai d’Orsay a condamné les violences en Haïti. « Nous notons que l’ancien président Aristide semble encourager par ses propos le climat de violence qui règne en Haïti », a déclaré le porte-parole du quai d’Orsay, en dénonçant ces « actions de déstabilisation ».

Faisant référence aux déclarations de Gérard Latortue sur l'implication de Jean-Bertrand Aristide dans les violences actuelles, le Parti de la Démocratie chrétienne d’Afrique du Sud demande à son gouvernement d’ouvrir une enquête.

La responsable de la sécurité de la compagnie American Airlines en Haïti, Stéphanie Ambroise, a été inculpée à Miami de contrebande de drogue. Elle est accusée d’avoir facilité depuis plusieurs années l’introduction aux Etats-Unis de millions de dollars de cocaïne.

Les agents douaniers de l’Aéroport international de Port-au-Prince ont saisi 800 mille dollars américains dans les bagages du passager Lavaud Arnoux, qui arrivait du Canada.

Les Etats-Unis ont annoncé qu'ils autorisaient leurs diplomates dont la présence n'est pas jugée indispensable à quitter Haïti en raison de la vague de violences dans ce pays.

Réunis à Dakar, plusieurs centaines d'intellectuels originaires d'Afrique et de ses diasporas ont exprimé leurs félicitations à la Kenyane Wangari Maathai, lauréate du prix Nobel de la paix 2004. A cette occasion, ils ont lancé un appel au soutien pour Haïti, frappé par tempête tropicale Jeanne.

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