Une Semaine en Haïti – n° 721 Lundi 25 octobre 2004

>>> Les violences diminuent à Port-au-Prince

Du samedi 16 au mardi 19 octobre, la salle d’urgence de l’Hôpital général a reçu 16 blessés par balles dont 3 policiers et un enfant de 10 ans. Durant ce week-end, des policiers affectés au sous-commissariat de Martissant, aidés des unités spécialisées de la police, auraient repoussé à plusieurs reprises des attaques d’individus armés, selon Radio Métropole. Les forces de l’ordre ont effectué une trentaine d’arrestations à Bel-Air et à Martissant. Toutefois, aucune arme n’aurait été saisie.

Lundi, la capitale était calme, et les enfants reprenaient le chemin de l’école. Mardi, des tirs intermittents ont créé des mouvements de panique dans le centre-ville. Toutes les activités étaient bloquées au Bel-Air, où ont défilé des partisans armés de Lavalas. Des maisons y ont été incendiées. A Martissant, le feu a été également été mis à une maison. Mercredi, des tirs sporadiques étaient entendus dans certains quartiers, dont celui du Bel-Air.

Dans la nuit de dimanche, des policiers et des casques bleus ont réussi à entrer au Bel-Air, sans rencontrer, selon Reuters, beaucoup de résistance. Un policier a cependant été tué selon Alterpresse. Les barricades bloquant les rues du quartier auraient été enlevées, et un poste de commandement aurait été établi dans une église.

>>> La sécurité, priorité numéro 1 du gouvernement remanié

Gérard Latortue se plaint d’un manque de moyens pour affronter les « chimères ». Il a déclaré avoir été même tenté par accepter l’offre des anciens militaires qui proposent de venir rétablir l’ordre à Port-au-Prince. Mais le gouvernement préfère attendre l’arrivée de nouveaux renforts en soldats et en policiers de l’ONU. Selon l’envoyé spécial de l’ONU en Haïti, Juan Gabriel Valdes, le nombre de casques bleus et de policiers étrangers sera de 8800 à la fin novembre. Le gouvernement négocie l’achat d’armes pour la police avec les Etats-Unis. Washington a précisé que les « restrictions d’exportation d’armes » en Haïti, qui remontent à 1991, restaient en vigueur mais a promis de « considérer la demande du gouvernement par intérim. ».

Le gouvernement a été légèrement remanié, avant tout, selon Gérard Latortue, pour gagner en efficacité dans la lutte contre l’insécurité. Une secrétairerie d’État à la Sécurité Publique a été créée, et confiée à David Bazile, un ancien major de la marine.

Le gouvernement a également mis en place une secrétairerie d’État des Mines, Énergie et Télécommunications. Les secrétaireries d'État de l'Environnement et des Haïtiens vivant à l'étranger ont été transformées en ministères.

> >> Plusieurs méthodes sont employées pour mettre fin aux violences

Une liste de 30 personnes suspectées de jouer un rôle clé dans les violences va être affichée, et des primes sont promises à la population. L’inspection générale de la police a ouvert une enquête sur certains policiers qui fourniraient des renseignements aux « chimères ». Parallèlement, la présidence de la République tente de négocier avec « les fauteurs de trouble du quartier populaire de Bel-Air », selon Michel Brunache, le chef de cabinet de Benoît Alexandre. Il insiste sur la nécessité « de porter les bandits à désarmer ». D’après Haiti Press Network, des civils armés du Bel-Air auraient confirmé à des journalistes qu'ils étaient en pourparlers avec la présidence.

>>> Des défenseurs des droits de l’Homme manifestent leur inquiétude

Dans un communiqué, Amnesty International affirme reconnaître « la gravité de la menace que posent les groupes armés pour la sécurité », mais « demande toutefois au gouvernement d'opter pour une stratégie visant à protéger les droits fondamentaux des personnes à la vie, à la sécurité, à un État de droit et à la participation politique ». Les media insistent sur les exactions commises par les « chimères », mais on dispose de peu d’informations sur les conditions d’intervention de la police, qui a fait au moins deux victimes le 30 septembre. Le Conseil des Sages (l’organisme qui a choisi le premier ministre) se prononce pour le renforcement des moyens de la police, mais demande aussi «  le respect des règlements de l’institution pour éviter la confusion dans les opérations ».

Des associations nord-américaines proches de l’ancien président dressent un tableau catastrophique, un de leurs correspondants en Haïti, le cinéaste Kevin Pina, soutenant même que policiers et anciens militaires ont fait 600 victimes en deux semaines à Port-au-Prince.

Le responsable du Comité des Avocats pour le Respect des Libertés Individuelles (CARLI), Renan Hédouville, a souligné que le Parquet de Port-au-Prince et les tribunaux sont restés fermés 15 jours sans explication, empêchant les personnes arrêtées d’être déférées  devant un juge dans le délai imparti par la loi.  Il déplore que des arrestations soient effectuées sans mandat.

Le responsable de la commission Justice et Paix de Port-au-Prince, le Père Jean Hansens, a critiqué la façon dont l'arrestation du père Gérard Jean-Juste a été opérée, sans mandat et avec brutalité. Selon des témoins, les policiers, dont certains étaient masqués, l’auraient fait sortir d’une maison par une fenêtre, et il aurait été blessé par des éclats de verre. Trois enfants qui s’enfuyaient ont été atteints par des balles. Ses avocats auraient obtenu que l’acte d’accusation soit réduit au « trouble à l’ordre public ». Après plusieurs jours passés dans une cellule dans des conditions qualifiées d’infrahumaines, il a été transféré au pénitencier de Port-au-Prince, où il bénéficierait de meilleures conditions de détention.

L'archevêque de Port-au-Prince, Mgr Serge Miot a déclaré, d’après l’AHP : « Pourquoi les autorités ne se soucient-elles pas des habitants de Cité Soleil et d'autres quartiers populaires du pays qui vivent dans des conditions infrahumaines, au lieu de s'attaquer à l'Eglise ? ».

>>> Aristide répond à Gérard Latortue en l'accusant d'être un "tueur"

Mercredi, Jean-Bertrand Aristide, a qualifié de "tueur" Gérard Latortue, qui l'avait accusé de fomenter des troubles depuis l'Afrique du Sud. « Arrêtez les mensonges, arrêtez les tueries », a lancé l’ancien président, qui estime qu'un « véritable dialogue est la seule solution" ».

Gérard Latortue avait déclaré que le président sud-africain Thabo Mbeki « ne respecte pas le droit international", car « aucun président respectable n'accepterait que quelqu'un sur son territoire organise la violence dans un autre pays ». Le gouvernement sud-africain a vivement dénoncé ces propos. Thabo Mbeki s’est dit persuadé que Jean-Bertrand Aristide a un important rôle à jouer pour résoudre les problèmes politiques de son pays. Ce n’est pas l’avis de Sauveur Pierre Etienne (OPL), qui demande qu'un mandat d'arrêt international soit lancé contre l’ancien président.

>>> Des organisations féministes ont effectué une mission aux Gonaïves

Au retour d’une mission aux Gonaïves, la Coordination nationale de Plaidoyer sur les Droits des Femmes (CONAP) a fait plusieurs recommandations au gouvernement. Elle demande notamment qu’un plan soit élaboré pour sortir les populations de l'assistanat le plus rapidement possible. Il faudrait que les femmes et les hommes soient acteurs de ce plan, qui passerait par le curage des canaux et le nettoyage des rues. Il faudrait que les personnes dont les maisons n'ont pas été détruites reçoivent un appui pour leur nettoyage, afin de pouvoir rentrer chez elles, note la CONAP. Elle demande que l’Etat sécurise les Gonaïves afin d'éviter les pillages et les agressions subies par les femmes. Elles font la queue pendant des heures pour recevoir une aide qui leur est ensuite souvent volées par des hommes. La CONAP note cependant que, malgré des conditions très critiques dans les centres d’hébergement, aucun cas d’agression sexuelle ne lui a été signalé.

Le Programme Alimentaire Mondial (PAM) a annoncé que les containers d’aide humanitaire seront dorénavant débarqués au port de Saint-Domingue en raison des problèmes rencontrés à Port-au-Prince.

>>> EN BREF

Renan Hédouville a déclaré devant la commission interaméricaine des droits de l’Homme qu’au mois d’août, 50 cas de viols commis par des anciens militaires ont été signalés à la permanence téléphonique du CARLI.

Le Conseil électoral provisoire traverse une nouvelle crise. Selon Radio Métropole, sa présidente, Roselor Julien, aurait accusé le trésorier, François Benoit, d’avoir détourné plus de vingt mille dollars.

Faisant allusion aux Etats-Unis, Gérard Latortue a critiqué l'attitude "de pays qui dans un moment difficile demandent à leurs ressortissants de ne pas visiter Haïti". Cette remarque pouvait également viser le FMI, qui a annulé la mission prévue à Port-au-Prince pour des raisons de sécurité.

Le Brésil va envoyer deux émissaires pour essayer d'aider à la "réconciliation" en Haïti en vue des élections.

Transparency International classe Haïti et le Bangladesh au premier rang des pays pratiquant la corruption, sur la base d’une enquête réalisée sous Jean-Bertrand Aristide.

"Soit vous vous mobilisez pour aider Haïti, soit vous récupérerez de nombreux boat-people dans les prochains mois", a averti le secrétaire général adjoint de l'Onu aux affaires humanitaires, Jan Egeland.

Dans le cadre de l’initiative Haïti en Seine, le Collectif 2004 Images présente un festival de plus de 30 films haïtiens, dont certains sont inédits, du 29 octobre au 1 er novembre, au Cinéma Images d’Ailleurs, 21 rue de la Clef, Paris Ve, métro Censier Daubenton ( www.haitienseine.com). En outre, trois artistes (Chantal Regnault, Elodie Barthélémy et Paskal) exposent des œuvres jusqu’au 5 novembre au Crédit municipal de Paris (Espace Griffon), 22 rue des Blancs Manteaux, Paris 4 e.

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