Une Semaine en Haïti – n° 722 Lundi 02 Novembre 2004

>>>> La police accusée d’avoir perpétré un massacre au Fort National

Mercredi 27 octobre, des témoins ont déclaré qu’un massacre avait été perpétré la veille par la police dans le quartier du Fort National. Selon une enquête menée par la NCHR (Coalition nationale pour les droits des Haïtiens), « un commando encagoulé, habillé en noir, monté à bord d'un pick-up non identifié, accompagné d'une ambulance non identifiée est intervenu au numéro 35 de la ruelle Estimé (Fort National) où se réunissait un groupe de treize jeunes gens (10 garçons et 3 filles). » « Les treize jeunes, dont certains sont originaires du Bel Air auraient été maîtrisés, torturés et exécutés sommairement. » selon la NCHR. Deux autres jeunes filles qui passaient dans la zone auraient subi le même sort. L’enquête de la NCHR n'a pas permis d'identifier toutes les victimes, mais seulement 7 d’entre elles. Les familles de certaines des victimes ont retrouvé leur cadavre à la morgue de l’Hôpital général. On ne sait pas ce que sont devenus les autres.

Selon des témoins, les agresseurs portaient l’uniforme caractéristique d’une des unités spécialisées de la police. La police affirme qu’aucune opération n’a été menée dans le quartier du Fort National le 26 octobre. Le chef de la police, Léon Charles, a laissé entendre que les auteurs du massacre pourraient être des anciens militaires ayant revêtu des uniformes de la police.

Le premier ministre Gérard Latortue a annoncé l’ouverture d’une enquête, comme l’a demandé la mission des Nations unies, la MINUSTAH, qui a rappelé son rôle de défense des droits humains.

Ce n’est pas la première fois qu’un groupe d’hommes habillés de noir est accusé de mener des incursions meurtrières dans un quartier populaire. Selon Haïti Progrès, le 19 octobre, des hommes masqués, habillés de noir, montés dans un pick up, ont arrosé de balles un groupe de personnes de La Saline, tuant un enfant de 9 ans et blessant un adolescent.

>>> Les violences se concentrent dans quelques quartiers de la capitale

Des « cellules de base de Lavalas » avaient lancé un appel à la grève générale de trois jours pour protester contre la répression et demander le départ du gouvernement. Cette consigne n’a pas reçu d’écho. Les marchandes des rues se faisaient cependant rares, par crainte, semble-t-il, de représailles. En effet des hommes armés ont obligé certaines d’entre elles à fermer leurs étals.

Durant la semaine, une école a été attaquée à coups de pierres, des véhicules, notamment de Télé Haïti et de la Croix Rouge, ont été incendiés. Des tirs d’armes ont provoqué des mouvements de panique dans quelques quartiers. Au moins deux affrontements ont opposé des policiers, ou des casques bleus, à des petits groupes mobiles. Un policier a été tué au moment où il rentrait chez lui, à Carrefour. Vendredi, les corps de quatre jeunes hommes tués d’une balle dans la tête ont été découverts à Bel Air.

Selon Radio Métropole, des partisans armés de lavalas du quartier Grand Ravine ont déclaré être soutenus par d’anciens membres de l’Unité de sécurité du palais national. Des habitants de ce quartier dénoncent les violences exercées par les groupes Lavalas. Selon un reportage publié par le New York Times, la population de Cité Soleil est victume du conflit sanglant qui oppose la bande de Dread Wilmé (pro Aristide) à celle de Labannière (quartier Boston, anciennement pro Aristide).

Seules quelques dizaines de personnes ont manifesté contre les violences et pour le désarmement à l’appel de Théodore Beaubrun, du groupe Boukman Eksperyans.

A Gros Morne, des individus portant uniforme et cagoule, et se réclamant d’une mystérieuse Armée Dessalinienne pour la Libération nationale, ont tiré de nombreux coups de feu pendant une nuit. Ils ont arrosé de balles le commissariat. Selon l’AHP, ils ont blessé un policier et emporté des armes. Ils ont tracé l’inscription « A bas l’armée ».

Dix-sept policiers soupçonnés de complicité avec les groupes terrorisant la capitale ou d'avoir violé le code de la police sont en isolement. La police a annoncé l'arrestation de quatre des trente personnes dont le nom avait été publié. Une nouvelle liste de 32 individus recherchés pour des actions criminelles a été rendue publique. Ce sont presque tous ceux d'anciens employés de la Téléco.

>>> Une organisation de défense des droits de l’Homme dresse un bilan des violences

La Coalition nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR) estime que les actions menées par des groupes armés depuis quelques semaines conduisent à « un bilan catastrophique de personnes tuées ou blessées et de destruction de biens publics et privés ».

Du 1er au 30 septembre, l'Hôpital de l'Université d'Etat d'Haïti aurait enregistré 114 blessés par balles et 103 cas de personnes tuées par balles. Du 1er au 26 octobre, ont été enregistrés 127 blessés par balles et 63 morts. Les morts proviennent principalement de Bel- Air, Cité Soleil, Cité de Dieu, Martissant et Carrefour.

Selon la NCHR, cette situation de troubles s’accompagne d’une vague d'arrestations et d'interpellations. La visite de cinq commissariats de police a révélé la présence de 171 prisonniers en détention préventive prolongée. Plusieurs détenus ont été torturés.

La NCHR, déplore le manque de ressources mises à la disposition de la Justice et des services d’enquête. Elle demande aux autorités gouvernementales, judiciaires et policières « de ne pas prendre pour prétexte l'inacceptable situation actuelle pour commanditer ou opérer des arrestations illégales et suspendre en fait (dans la pratique) les garanties judiciaires auxquelles les détenus en particulier et les citoyens en général ont légitimement droit ».

Selon Joseph Guyler Delva (agence Reuters), 700 partisans de Jean-Bertrand Aristide sont détenus sur la base de vagues accusations. Le ministre de la Justice, Bernard Gousse, aurait déclaré qu’en Haïti on n’est pas détenu indéfiniment sans accusation, mais que les arrestations sans mandat sont légales. Il aurait précisé que dans une situation où les actions criminelles se développent, il est possible d’arrêter sans mandat non seulement les auteurs du crime mais aussi leurs commanditaires.

Selon Amnesty International, Mario Joseph, l’avocat de plusieurs détenus Lavalas, et Renan Hédouville, du Comité des Avocats pour le respect des libertés individuelles (CARLI), ont reçu de nombreuses menaces de mort, et leur vie serait en danger. A Renan Hédouville, il serait reproché de dénoncer les anciens militaires. Il n’aurait pas reçu de protection de la police. « Je n'ai relevé aucun signal de la volonté de l'actuel gouvernement d’œuvrer au respect des droits humains », a-t-il déclaré récemment.

Le secrétaire exécutif de la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH), Jacques Belzin, a dénoncé une perquisition opérée chez le coordonnateur général de cette organisation syndicale, Paul Loulou Chéry, un proche de Lavalas.

Selon Reporters sans Frontières, en province, les journalistes doivent composer avec les anciens militaires et préfèrent s'autocensurer.

>>> Le Brésil et le Chili souhaitent qu’un accord politique soit conclu en Haïti

Dans une conférence de presse tenue à Brasilia, la ministre sud-africaine des Affaires étrangères a affirmé que "le désir du président Aristide est que tout ce qui se passe en Haïti conduise à des élections libres et justes, dans lesquelles les Haïtiens élisent celui qui leur paraîtra le meilleur dirigeant". Selon l’agence Reuters, le ministre des Affaires étrangères du Chili, Ignacio Walker, a déclaré que son pays et le Brésil poussaient le gouvernement haïtien à conclure une trêve politique afin de contenir la violence. Le chef de la MINUSTAH, le Chilien Juan Gabriel Valdes, estime que sans un accord politique, il sera impossible d’aboutir à une solution sur le moyen ou le long terme. Le premier ministre Gérard Latortue s’est dit disposé à dialoguer avec les dirigeants du parti Famille Lavalas, mais pas avec des brigands.

Prince Pierre Sonson estime que son parti, le MODEREH, est en mesure d’utiliser ses contacts pour mettre un terme à la violence si le gouvernement lance des signaux clairs en ce sens en direction des « chimères ».

>>> EN BREF

Le nouveau ministre des Haïtiens vivant à l'Etranger, Alix Baptiste, est entré en fonction. Le ministre des travaux publics Jean-Paul Toussaint a été remplacé par Fritz Adrien. Paul Berne a été nommé secrétaire d'Etat à la jeunesse à la place de Fritz Léandre. Youri Latortue, un neveu du premier ministre, nie avoir menacé Jean-Paul Toussaint pour qu’il signe un contrat comme l’affirme l’ancien député Gabriel Fortuné. Le Conseil Supérieur de la Police a procédé à l'installation des membres du Bureau de gestion des militaires démobilisés. Son coordonnateur général est l'ancien colonel Jodel Lesage qui, selon Radio Signal, voit dans l'installation de ce bureau un premier pas vers la reconstitution des Forces armées d'Haïti.

Le Conseil électoral provisoire affirme avoir vidé le contentieux qui opposait certains de ses membres au sujet d’une affaire de surfacturation. Néanmoins, à l’issue d’une réunion tenue en commun, un porte-parole du Conseil des Sages a expliqué que les membres du CEP sont incapables de travailler sereinement ensemble, selon des règles éthiques. Pierre Espérance (NCHR) se prononce pour leur démission.

Le syndicat de l'Électricité d'Haïti a présenté un rapport à la presse dénonçant des détournements de fonds au sein de cette entreprise . Le directeur a par la suite fourni des explications pour justifier certaines dépenses.

Les propriétaires et chauffeurs qui exploitent les mines de sable de Laboule, au dessus de la capitale, menacent de couper la route Pétion-Ville/ Kenskoff, si les autorités concrétisent leur projet de fermer ces carrières à partir du 3 novembre. La décision en avait été prise après la catastrophe des Gonaïves, pour réduire les risques de glissement de terrain. 

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