Une Semaine en Haïti – n° 725 – Lundi
22 Novembre 2004
Journées sanglantes dans plusieurs quartiers de la capitale
Des anciens militaires défilent dans plusieurs villes à l’occasion du 18 Novembre
Pour le président provisoire, la question de l'armée sera réglée par le prochain gouvernement
La police civile internationale tient une conférence de presse
>>> Journées sanglantes dans plusieurs quartiers de la capitale
L’opération dénommée « Bagdad » a été lancée le 30 septembre, mais de nombreuses personnes avaient déjà été tuées par balles les semaines précédentes : selon un rapport de Justice et Paix, au moins 42 personnes ont été tuées par balles à Port-au-Prince (souvent dans des conditions mystérieuses) en septembre, et 70 en octobre. Ainsi, le meurtre d’un cambiste à Pétionville lundi matin n’était sans doute pas lié à un conflit politique.
En revanche, la mort, lundi également, d’un employé de l’APN (Autorité portuaire nationale) est certainement lié à la poursuite de l’opération baptisée « Bagdad ». Il aurait été tué lors d’affrontements entre des hommes armés et des agents de sécurité appuyés par des éléments de la Minustah. Depuis la fin septembre, le port a été la cible de plusieurs attaques, ce qui a fortement gêné l’arrivée de l’aide humanitaire aux Gonaïves. Dans la soirée de lundi, des hommes fortement armés et des jeunes garçons ont fait irruption dans plusieurs quartier, où ils ont brûlé des voitures, agressé des petites marchandes et dans, certains cas, rançonné des passants.
Mardi soir, au niveau du Marché Tête Bœuf, à la Saline, au moins deux personnes auraient été tuées par des « chimères » lavalas, selon des témoins, et des tirs auraient fait également des victimes au centre-ville selon Haiti Press Network. Pendant ce temps, à Delmas 17, deux présumés voleurs auraient été tués par la police alors qu’ils s’attaquaient à des cambistes.
La journée du 18 novembre a été particulièrement meurtrière. Le coordonnateur des marchés publics de la capitale, Wébert Adrien, a été assassiné devant sa maison, dans le quartier de Bel Air. Selon la mairesse de la capitale, qui rappelle qu’il avait été très actif lors des mobilisations anti lavalas, son corps aurait ensuite été décapité. Les corps de cinq personnes tuées par balles auraient été transportés à la morgue ce jeudi. Mais on parle aussi d’une douzaine de victimes, sans que l’on soit en mesure de faire le partage entre victimes de « chimères » et victimes de la police. Des témoins ont rapporté des affrontements entre des hommes armés et des policiers portant un masque à Bel Air, et dans les rues environnantes. La police a déclaré que, face à la persistance des actes de banditisme à Port-au-Prince, elle était obligée de multiplier ses opérations dans certaines zones avec le concours des troupes de la Minustah. Elle réclame le concours de la population, et annoncé plusieurs arrestations importantes ainsi que la saisie d’un fusil M-14, de tenues de camouflage et de matériel de communication. Tous les permis de ports d’arme ont été annulés et vont devoir être renouvelés.
>>> Des anciens militaires défilent dans plusieurs villes à l’occasion du 18 Novembre
Les anciens militaires ont organisé des défilés dans différentes villes le 18 novembre, à l’occasion de l’anniversaire de la bataille de Vertières, qui était devenu également le jour de célébration de la fête de l’Armée.
A Port-au-Prince, les anciens membres de l’armée n’ont pas été autorisés à réaliser la parade officielle en armes. La MINUSTAH les a seulement laissés marcher, armes au poing, sur quelques centaines de mètres, non loin du bâtiment où ils se sont installés, sur la route de Frères, à Pétionville. Ils étaient suivis de quelques dizaines de civils. Un hélicoptère et des casques bleus les surveillaient de près. Une centaine d’entre eux ont essayé d’occuper l’ancien quartier général de l’armée, situé près du Palais national. Ils en sont partis après des négociations avec la MINUSTAH.
Leur chef de file, Ravix Rémissainthe, avait dénoncé l’attitude du gouvernement, qui leur a interdit dé défiler armés et a promis de lui donner une « réponse ».
Au Cap-Haïtien, une vingtaine de militaires démobilisés ont défilé sans armes, selon l’ONU, suivis par une centaine de civils. En revanche, selon radio Métropole, ils auraient paradé en armes à Jacmel. Ils ont également défilé à Petit-Goâve et aux Cayes.
>>> Pour le président provisoire, la question de l'armée sera réglée par le prochain gouvernement
Le président provisoire haïtien Boniface Alexandre a déclaré le 18 novembre que « la décision définitive sur l'institution militaire sera prise par le gouvernement issu d'élections l'année prochaine ». « La constitution prévoit des forces armées d'Haïti, mais la loi doit définir la nature, la structure, les tâches de l'institution. Il faut reconnaître que l'armée ne peut pas être reconstituée du jour au lendemain », a-t-il ajouté. Il a déploré "la façon dont l'institution militaire a été mise hors circuit".
Lors d’une conférence de presse tenue mardi, l’ex-sénateur Dany Toussaint a appelé l'administration Alexandre/Latortue à créer « une force de sécurité intérimaire » composée de 2000 hommes, exclusivement des militaires : ceux déjà intégrés au sein de la police, et les militaires démobilisés qu'il appelle lui-même « nos héros créoles du XXIe siècle ». « Cette force s'occuperait de l'anti-guérilla urbaine », affirme Dany Toussaint, qui propose que la police se désengage des combats.
Selon lui, les armes détenues par les partisans armés de Lavalas proviennent de policiers, qui seraient actuellement licenciés. Ces hommes seraient d’anciens membres de l’USGPN (unité de sécurité générale du palais national), des agents révoqués de la 14e promotion de la police et des civils restés fidèles à l’ancien président.
>>> La police civile internationale tient une conférence de presse
La mission de stabilisation des Nations unies en Haïti (Minustah) a trois composantes : les casques bleus (militaires), les policiers de la CIVPOL (police civile internationale) et une branche civile non impliquée dans les tâches de maintien de l’ordre. Le commissaire de la police David Beer, qui commande la CIVPOL a tenu une conférence de presse.
Il a rappelé que la mission première de la CIVPOL est d’« établir un environnement sécuritaire en Haïti et le développement, la formation et la professionnalisation de la police haïtienne », suivant le mandat du conseil de sécurité des Nations unies. Actuellement, la CIVPOL comporte « 1238 officiers sur un effectif total de 1622 attendus ». Lorsque ses effectifs seront au complet, 45 nations y seront représentées.
David Beer a annoncé le lancement prochain d’un programme de recensement de la population carcérale d’Haïti. « La compétence d’organisations non gouvernementales sera mise à contribution dans ce volet », a indiqué David Beer. L’initiative fait suite à des accusations de disparitions à l’encontre des autorités pénitentiaires.
Le chef de la CIVPOL a également annoncé « la mise en fonction d’une ligne téléphonique afin que la population civile puisse fournir des renseignements, de façon anonyme, pour renforcer le travail des enquêteurs de la CIVPOL et ceux de la PNH (police nationale d’Haïti) ». « C’est aussi un moyen mis à la disposition de la population pour porter plainte, le cas échéant, contre des policiers de la police civile des Nations unies (CIVPOL) ou contre la police locale », a précisé le commissaire Beer.
>>> EN BREF
Gérard Latortue et le ministre des travaux publics, Fritz Adrien, ont annoncé l’ouverture de grands travaux d’infrastructure à haute intensité de main-d’œuvre dans le pays. Vingt-six contrats ont été signés avec des firmes locales. Sept mille emplois devraient être ainsi créés d’ici quatre mois. .
Aux Gonaïves, une fillette de 6 ans a été tuée par balles dans des circonstances peu claires. Un membre de l’ex Front révolutionnaire des Gonaïves, Ferdinand Wilfort, alias Ti Will, a été mis en cause.
Le ministre de la Justice Bernard Gousse confirme la volonté du gouvernement d’intenter une action judiciaire contre Aristide pour violation des droits de l’homme et dilapidation des fonds publics. Mais avant qu’Interpol soit saisi, une plainte doit être déposée en Haïti même. Dans une interview à Radio Vision 2000, Bernard Gousse a révélé que des preuves de transactions bancaires douteuses d’au moins 100 mille dollars américains ont été trouvées.
Les chambres froides de la morgue de l'hôpital général de Port-au-Prince sont en panne de plusieurs semaines. Celles commandées à l'étranger ne seraient toujours pas arrivées. Selon l’AHP, des cadavres en putréfaction d'adultes et d'enfants ont été vus à proximité de la morgue. Le Ministère de la Santé dit qu’un ordre formel avait été passé pour la fermeture de la morgue en attendant que touts les problèmes soient réglés.
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