Une Semaine en Haïti – n° 728 – Lundi
13 Décembre 2004
Interrogation sur le nombre de morts lors de la mutinerie au pénitencier national
Nouvelles victimes dans plusieurs quartiers de la capitale
Les casques bleus vont renforcer leur présence à Port-au-Prince
Rumeurs sur la disparition d’une partie du dossier judiciaire de Jean Dominique
Les douaniers en grève obtiennent partiellement satisfaction
>>> Interrogation sur le nombre de morts lors de la mutinerie au pénitencier national
Le 1er décembre, la mutinerie au pénitencier national et la répression qui s’en est suivie ont fait huit morts et de nombreux blessés, selon la police, qui ajoute que le but de la révolte était de permettre l’évasion de prisonniers membres de Lavalas. Mais un détenu, dénommé Ted Nazaire, qui a été libéré deux jours après ces événements, affirme que la police anti-émeute et les employés de l'Administration pénitentiaire nationale se sont livrés à une véritable tuerie. Il dit n'avoir eu la vie sauve que par miracle après s'être réfugié dans un dépôt. Dans une interview donnée à la station Radio Solidarité et à l’agence Reuters, il a déclaré avoir vu au moins 15 cadavres dans la seule zone où il se trouvait. Il estime qu’au moins 60 prisonniers ont été tués, étant donné les nombreux trajets effectués par les ambulances.
Il a indiqué par ailleurs que des responsables du pénitencier national ont exercé des pressions sur lui pour qu'il ne parle pas à la presse de ce qu'il a vu et vécu. "Mercredi et jeudi, des hommes, apparemment des policiers en civil, sont venus dans mon quartier pour chercher à me récupérer", a affirmé Ted Nazaire, 24 ans qui doit se cacher.
Gérard Latortue a annoncé qu’une enquête allait être menée. Nous voulons connaître la vérité, parce que, a-t-il déclaré, “nous savons que dans beaucoup de pays, la police est capable de mal agir”.
>>> Nouvelles victimes dans plusieurs quartiers de la capitale
Dread Mackenzie, chef d'une bande d'hommes armés soutenant l'ex-président Aristide a été tué dans la nuit de dimanche à lundi à Delmas. Cinq autres membres de sa bande ont également été tués, selon la police. Ils seraient morts lors d’affrontements entre deux bandes de "chimères", "l'Armée Scie à métaux" et "l'Armée d'enfer". Dread Mackenzie, était recherché par la police.
Des incidents ont éclaté lundi matin dans le quartier de Bel-Air, faisant au moins trois morts, selon les casques bleus présents sur place.
A Delmas, un partisan d’Aristide, Jean Anthony dit « Sonnen » a publiquement déclaré la guerre à la police pour récupérer ses voitures saisies par des unités de la police. Il a menacé d’assassiner le directeur départemental de l’Ouest de la police, Renan Etienne. Disposant de plusieurs dizaines d’hommes armés, « Sonnen » est accusé par des organismes de droits humains d’avoir participé à des actes criminels sous l’ancien régime.
Trois policiers ont été blessés par balles mardi soir dans l'attaque du commissariat de Cazeau. Mercredi, des hommes armés ont tenté d'incendier le marché Tête Boeuf, un des grands marchés populaires du centre de la capitale. Ils ont tiré de nombreux coups de feu, blessant un marchand au cou.
>>> Les casques bleus vont renforcer leur présence à Port-au-Prince
Lors de son point de presse hebdomadaire le représentant de l’ONU en Haïti, Juan Gabriel Valdes a annoncé que dans les prochains jours, 1200 soldats brésiliens seront déployés dans le centre-ville de Port-au-Prince. Des soldats du Sri Lanka seront postés à Carrefour tandis que 150 policiers jordaniens renforceront l’effectif de sécurité dans la capitale. Les effectifs de la Minustah devraient bientôt atteindre le nombre prévu par le Conseil de sécurité. D’ici la fin du mois de décembre, plus de 6000 soldats et près de 2000 policiers internationaux seront présents dans le pays.
Maintenant que les forces nécessaires sont disponibles à Port-au-Prince, nous allons montrer à la population haïtienne que nous sommes décidés à utiliser la force pour affronter les bandits et désarmer les groupes illégaux, a averti le diplomate chilien. Il a cependant souligné que les problèmes de sécurité en Haïti ne pouvaient pas se résoudre simplement par la force, mais avec un effort considérable dans le temps pour isoler ceux qui veulent utiliser la violence, les affronter si nécessaire et finalement les désarmer. Les opérations de la Minustah seront menées conjointement avec la police haïtienne, a précisé le responsable de la mission de l’Onu.
Dans une interview accordée au journal Le Matin, il a déclaré qu’il faut faire la distinction « entre le type de criminalité qui va continuer parce qu’elle est le résultat de la pauvreté et de l’exclusion de secteurs – une criminalité qui est la même partout en Amérique Latine – et les activités des groupes qui veulent maintenir le pays dans le chaos et confronter l’État délibérément ».
Il a par ailleurs déclaré : « Si on aborde la lutte contre l’impunité sans pouvoir judiciaire – et c’est ce qui se passe actuellement – c’est tout simplement de la persécution politique. Et il n’est pas acceptable que l’État mette en prison des personnes sans charge et les y maintienne sans charge ! »
Dans une interview accordée à Radio Métropole, le général Heleno a déclaré que les propos qu’il avait tenus au Brésil la semaine précédente au sujet de l’emploi de la violence contre les groupes armés avaient été déformés. Il a précisé qu’il ne voulait pas utiliser la violence de «manière indiscriminée » et que la solution aux problèmes de la violence dans les bidonvilles est complexe. Interrogé sur la dénonciation des pressions exercées par les Etats-Unis, la France et le Canada, le général Heleno aurait dit que sa déclaration avait été sortie de son contexte.
>>> Rumeurs sur la disparition d’une partie du dossier judiciaire de Jean Dominique
Jeudi, la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR), a dénoncé la disparition de 166 pièces sur 196 dans le dossier judiciaire du journaliste Jean Dominique, assassiné le 3 avril 2000.
Selon le directeur de la NCHR, Pierre Espérance, les documents disparus se trouvaient au Greffe de la Cour de Cassation. Trois semaines après la disparition des dossiers "des policiers se seraient rendus à la Cour et auraient interrogé pendant trois heures, la responsable du Greffe.
Alerté par ces affirmations, le secrétaire général de l'Association des journalistes haïtiens (AJH), Guyler Delva, s’est rendu au tribunal pour se renseigner. Il affirme avoir lui-même constaté que le dossier en question n'a pas disparu. Le malentendu viendrait du fait qu’un juge avait décidé de ne pas acheminer tous les documents à la cour de Cassation. Des juges seraient en train de vérifier pièce par pièce que le dossier est intact.
>>> Les douaniers en grève obtiennent partiellement satisfaction
Les employés des douanes de Port-au-Prince se sont mis en grève le 1er décembre pour protester contre le refus des autorités d’augmenter leur salaire. Ils demandaient à bénéficier de la grille salariale élaborée pour toute l'administration. Ce mouvement s’est doublé d’une journée de grève des dockers à Port-au-Prince, conduisant au renvoi aux Etats-Unis de 158 conteneurs d'aide humanitaire. Ces deux grèves ont provoqué de vives réactions dans les milieux patronaux. La présidente de l’Association des industries d’Haïti, Marie-Claude Bayard, a parlé d’assassinat économique et déclaré que les douaniers pourraient perdre leur emploi s’ils persistaient dans leur mouvement. Le président de la chambre de Commerce et d'Industrie d'Haïti, Réginald Boulos, a dénoncé le "caractère sauvage" des grévistes ayant refusé de débarquer les 158 conteneurs. Le premier ministre Gérard Latortue a menacé d’utiliser la manière forte pour mettre fin au mouvement tout en se disant ouvert.
Les douaniers ont finalement annoncé avoir signé un accord avec le gouvernement pour la reprise des activités. Un document en six points prévoit une augmentation mensuelle de la masse salariale de 1,2 millions de gourdes sur les 6 millions réclamés. Plus de 60% des recettes de l’Etat sont collectées par les douanes.
>>> EN BREF
Le chef du Front de Résistance des Gonaïves, Butter Métayer, a été arrêté à son arrivée à Miami. Il vivait aux Etats-Unis avant le meurtre de son frère, Amiot Métayer. Son avocat a indiqué qu’il était reproché à son client d’être resté trop longtemps en dehors des Etats-Unis et de plus être en règle. Il a admis que Butter Métayer a également subi un long interrogatoire sur d’autres sujets.
Neuf groupes de quartiers populaires, dont Village de Dieu et Cité Soleil, ont publié une lettre ouverte à Amnesty International. Ils reprochent à la dernière mission d’Amnesty de ne pas « avoir pris la peine d’enquêter auprès de ceux qui, jour et nuit, et surtout dans les quartiers pauvres, subissent les abus et les violences innommables des chimères partisans de l’ex-président Aristide ». Ils expliquent que « suite à cette violence un exode massif a commencé vers d’autres quartiers de la capitale. Et beaucoup d’entre nous ne sont pas retournés chez eux depuis le30 septembre ». Selon eux, le nombre de victimes dans le Village de Dieu s’élève à quarante-cinq.
L’augmentation des prix des produits pétroliers enregistrés en début de semaine dernière crée des conflits entre chauffeurs de transport en commun et passagers, selon Haiti Press Network. Le diesel est passé de 76 à 83 gourdes le gallon.
Le Canada a organisé vendredi et samedi à Montréal une conférence de la diaspora haïtienne. Le gouvernement canadien avait invité entre 350 et 400 personnes, dont Gérard Latortue et plusieurs membres de son gouvernement, ainsi que des représentants des principaux partis politiques, y compris Fanmi Lavalas. A cette occasion, le premier ministre canadien Paul Martin a annoncé que son pays allait jouer un rôle clé dans la reconstruction de l’appareil judiciaire haïtien. Son conseiller spécial pour les questions haïtiennes, Denis Coderre, s’est dit favorable à un accompagnement d’Haïti sur le long terme par la communauté internationale. Il a précisé qu’une présence sur le long terme ne veut pas dire protectorat.